章節 22: Chapitre 22
Aniaba suivit la prêtresse dans le silence de la nuit. Son allure était gracieuse et mystérieuse, sa cape flottant doucement dans l'air, tandis que ses pieds semblaient à peine toucher le sol. Elle ne lui avait pas encore dit son nom, mais sa présence imposait un respect instinctif. Leur chemin serpentait à travers les bois, s'éloignant de Port-au-Prince et de ses lumières vacillantes.
Ils arrivèrent finalement devant une clairière illuminée par la lueur vacillante de dizaines de bougies disposées en cercle. Au centre, une petite cabane en bois semblait tenir debout par miracle, envahie par les lianes et les fleurs tropicales. L'air était imprégné d'arômes complexes : des épices, des herbes, et quelque chose de plus ancien, une essence mystique qui éveillait les sens d'Aniaba.
La prêtresse se retourna enfin pour lui faire face. Sous sa cape, son visage était gravé par les années, mais ses yeux étaient vifs, presque éblouissants. Elle dégageait une force tranquille, mais indéniablement puissante.
— Entre, dit-elle d'une voix basse mais autoritaire. Le moment est venu pour toi de comprendre.
Aniaba hocha la tête et entra dans la cabane. L'intérieur était étroit mais soigneusement arrangé. Des fioles, des plumes, des os et des fétiches pendaient du plafond ou étaient disposés sur des étagères. Une grande table occupait le centre, recouverte de symboles gravés et de bols remplis de poudres colorées.
La prêtresse s'assit en face de lui, son regard perçant cherchant son âme.
— Tu te demandes qui je suis, commença-t-elle. Mon nom est Mambo Nyala. Je suis la dernière prêtresse vaudou des Caraïbes. Choisie par Papa Legba lui-même pour protéger les savoirs des Loas.
Aniaba fronça les sourcils.
— La dernière ? Pourquoi ?
Nyala soupira, ses mains parcourant machinalement les objets sur la table.
— Ils nous traquent. Tous ceux qui montrent une aptitude pour la magie parmi les esclaves sont exterminés. Ils disent que nous sommes des sorciers, des menaces pour leur ordre. Mais ce n'est pas eux que je crains. Ce sont les forces qui utilisent leur avidité et leur peur pour nous éradiquer.
Elle se pencha vers lui, sa voix devenant plus intense.
— Toi, Aniaba, tu es différent. Le Baron Samedi t'a choisi, mais tu dois comprendre ce que cela signifie. Ton titre, « La Main des Loas », n'est pas qu'un honneur. C'est une charge, un poids.
Elle sortit une petite fiole d'un tiroir et la versa dans un bol en terre cuite. La mixture était noire, épaisse, et dégageait une odeur puissante de terre humide et de fer.
— Bois ceci, dit-elle en créole, un ton solennel dans la voix. « Ténin èt bwa. »
Aniaba hésita. La lueur des bougies éclairait son visage tendu alors qu'il considérait ses options. Mais il se rappela pourquoi il était là. Sans un mot, il prit le bol et but. Le liquide glissa dans sa gorge comme une vague glacée, et soudain, le monde sembla basculer.
Les visions l'assaillirent immédiatement. Il se vit au milieu d'une bataille, son corps éclairé par une lueur cramoisie, terrifiant ses ennemis qui fuyaient devant lui. Puis, l'image changea. Il était entouré d'hommes et de femmes qui levaient les poings en signe de défiance, galvanisés par sa présence.
Mais les visions prirent un tour plus sombre. Il se vit frappant sans fin, tuant, étranglant. Sa rage croissait avec chaque vie qu'il prenait, jusqu'à ce qu'il ne soit plus qu'une créature de sang et de fureur. Son propre reflet le fixa alors : un monstre, les yeux injectés de haine, une bête incapable de reconnaissance ou de remords.
La voix de Nyala le ramena à la réalité.
— Ce que tu as vu est vrai. Ton pouvoir peut terrifier tes ennemis, galvaniser tes alliés. Mais plus tu tues, plus tu risques de perdre ce que tu es. Si tu laisses la rage te dévorer, le prince que tu es disparaîtra. Il ne restera qu'une créature de destruction.
Aniaba trembla, des larmes silencieuses coulant sur son visage. Les visions l'avaient ébranlé au plus profond de son être.
— Comment… Comment puis-je contrer cela ?
Nyala posa une main sur la sienne, sa poigne étonnamment ferme.
— Tu dois te rappeler qui tu es, à chaque instant. Et plus tu sauves de vies, plus tu protèges, plus tu regagneras le contrôle. C'est là la clé pour équilibrer la balance.
Aniaba acquiesça lentement, ses pensées tourbillonnant alors qu'il intégré les leçons de la prêtresse. Il savait que le chemin devant lui serait parsemé d'épreuves, mais il devait être à la hauteur de ce qu'on attendait de lui.
Nyala se leva et alla chercher un autre bol, rempli d'un mélange différent. Elle le lui tendit avec un sourire.
— Tiens, et bois encore. Le savoir ne suffit pas. Tu dois voir davantage pour comprendre pleinement.
Aniaba hocha la tête et prit le bol, préparé à plonger une fois de plus dans les abysses de son destin.
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