Aniaba marchait dans l'obscurité, la nuit était profonde et étouffante. Les résidus de sa confrontation récente le hantaient encore : le froid glacial qui avait parcouru son corps lorsqu'il avait appelé les morts, la voix rauque et décharnée de l'homme qu'il avait tué, et surtout, les fragments d'informations qu'il avait obtenus. Tout cela tournait dans son esprit comme une spirale infernale.
Il avait trouvé refuge dans une vieille maison abandonnée à la périphérie de Port-au-Prince. L'endroit était sombre, rongé par l'humidité et la moisissure, mais il était isolé, un lieu idéal pour se cacher et réfléchir. Aniaba s'assit sur un vieux fauteuil dont le tissu était déchiré, le regard perdu dans l'ombre mouvante des flammes de la bougie qu'il avait allumée.
« Montclair… un ordre d'éradiquer les menaces… » murmura-t-il pour lui-même. Ces mots résonnaient dans sa tête, lourds de sens et de mystère. Qui étaient ces menaces ? Lui ? Les marrons ? Ou quelque chose de bien plus grand ?
Le silence fut rompu par un grattement discret. Aniaba se redressa, tendu. Il n'était pas seul. Il attrapa un poignard qu'il avait récupéré sur l'un des hommes qu'il avait tués et se prépara à frapper. Mais avant qu'il ne puisse réagir, une silhouette émergea de l'ombre.
C'était une femme, enveloppée dans une cape sombre. Ses traits étaient délicats mais marqués par une étrange intensité. Ses yeux brillaient d'une lueur presque surnaturelle, et un petit sourire effleura ses lèvres.
— Tu t'agites dans l'obscurité, prince. Mais sais-tu seulement contre quoi tu te bats ? demanda-t-elle d'une voix douce, mais teintée de sarcasme.
Aniaba la fixa, ses sens en alerte.
— Qui es-tu ? Que veux-tu ?
Elle avança lentement, levant les mains en signe de paix.
— Je suis une messagère, répondit-elle simplement. Les Loas m'ont envoyée.
Aniaba haussa un sourcil, sceptique.
— Les Loas ? Pourquoi m'enverraient-ils quelqu'un ?
La femme s'assit sur un tabouret près de lui, sans attendre son autorisation.
— Parce que tu es leur main, leur émissaire. Mais tu marches à l'aveugle. Les forces que tu affrontes ne sont pas que celles des hommes. Montclair est une pièce d'un jeu bien plus grand.
Aniaba sentit un frisson parcourir son échine. Il avait déjé pressenti cela, mais l'entendre confirmé par une étrangère le troublait.
— Si tu sais tant de choses, parle. Qu'est-ce que Montclair prépare ?
Elle le fixa, son sourire s'élargissant.
— Montclair n'est qu'un pion, mais un pion ambitieux. Il a passé un pacte. Pas avec les Loas, mais avec des forces qui leur sont opposées. Il cherche à asservir non seulement ton peuple, mais également les âmes des morts.
Aniaba sentit son sang se glacer. Les âmes des morts… Ces mots éveillèrent en lui des souvenirs des promesses du Baron Samedi et des pouvoirs qui lui avaient été accordés.
— Pourquoi les Loas ne l'arrêtement-ils pas eux-mêmes ?
La femme pencha la tête, comme amusée par sa question.
— Les Loas ne peuvent intervenir directement. Ils ont besoin d'un champion. Et ce champion, c'est toi.
Aniaba resta silencieux, pesant ses paroles. Il était à la fois flatté et accablé par cette révélation. Mais il savait une chose : il ne pouvait pas se permettre d'être un simple outil.
— Si je dois être leur main, alors je dois comprendre tout ce que cela implique, dit-il fermement. Les Loas m'ont donné des pouvoirs, mais je dois apprendre à les maîtriser.
La femme se leva, un air approbateur sur le visage.
— Alors viens. Il y a quelqu'un qui peut t'enseigner. Mais sache ceci : le chemin vers la vérité est pavé de sacrifices. Es-tu prêt à payer le prix ?
Aniaba ne répondit pas immédiatement. Il fixa la flamme vacillante de la bougie, ses pensées se tournant vers les vies qu'il avait déjà prises et celles qu'il aurait à prendre. Enfin, il releva les yeux.
— Montre-moi le chemin.
La femme hocha la tête et se dirigea vers la porte. Aniaba la suivit, laissant derrière lui les ombres de la maison abandonnée. Dehors, la nuit était toujours aussi profonde, mais une étrange clarté semblait éclairer leur chemin. Le prince des morts était sur le point de découvrir les secrets des Loas, mais aussi de se confronter aux abîmes de son propre âme.