Les rumeurs circulaient dans les villages reculés comme un souffle d'orage avant la tempête. Le nom de Maximilien de Montclair était sur toutes les lèvres, murmuré avec une méfiance teintée de crainte. Cet homme, figure emblématique des plantations et de la politique locale, venait de faire voter une série de décrets visant à éradiquer le « problème marron ». Ces nouvelles lois, cruelles et implacables, promettaient des récompenses pour chaque esclave fugitif capturé ou tué, et des châtiments exemplaires pour ceux qui osaient les abriter.
Aniaba écoutait attentivement ces nouvelles, assis au milieu des villageois rassemblés autour d'un feu. Victor, accoudé à une table en bois rudimentaire, préparait un cataplasme pour une blessure mineure que Marie-Louise avait récemment réouverte. La jeune femme, bien qu'affaiblie, intervenait avec des observations précises, son grigri toujours autour de son cou comme un talisman protecteur.
Un vieil homme se leva, sa voix tremblante de colère.
— Montclair… Cet homme est un fléau pour nos terres. Il a déjà fait raser trois villages, accusés d'avoir caché des marrons. Ses hommes… des monstres !
Marie-Louise baissa les yeux, visiblement mal à l'aise. Aniaba remarqua son silence inhabituel et lui posa une main sur l'épaule.
— Tu le connais ? demanda-t-il doucement.
Elle hocha lentement la tête, les larmes aux yeux.
— J'étais… sous son autorité, murmura-t-elle. Quand j'ai fui, c'est lui qui a envoyé ces hommes pour me rattraper.
Un silence pesant s'installa, interrompu uniquement par le craquement du feu. Victor, visiblement troublé, posa son cataplasme et fixa Aniaba.
— S'il est vraiment celui qui a envoyé ces chasseurs, alors il ne s'arrêtera pas là. Il reviendra, avec plus d'hommes, plus de violence.
Aniaba serra les poings, son expression se durcissant.
— Alors nous devons aller à lui avant qu'il ne vienne à nous. Je veux voir cet homme, comprendre ce qu'il est.
Le vieil homme protesta.
— Vous ne pouvez pas affronter Montclair directement. Il est bien protégé par les planteurs et leurs milices. Et il a des amis influents… jusqu'à Versailles, dit-on.
Aniaba haussa un sourcil à cette mention. Versailles… là où il avait autrefois évolué en prince respecté. Mais cette pensée était éphémère, balayée par la détermination qui animait son regard.
— Tout homme peut être atteint. Je le trouverai. Mais avant cela, je dois savoir tout ce qu'il y a à savoir sur lui. Parlez-moi de lui.
Le vieil homme soupira et reprit la parole, son ton plus résigné.
— Maximilien de Montclair est le président de la coopérative des planteurs. C'est un homme éduqué, toujours prêt à justifier ses actes par des discours savants. Mais ne vous y trompez pas : il est cruel. Il prétend vouloir civiliser ces terres, mais tout ce qu'il veut, c'est les exploiter.
Victor intervint, le regard sombre.
— Si nous voulons vraiment affaiblir Montclair, ce n'est pas seulement lui que nous devons viser, mais le système qu'il représente. Ses lois, ses alliances, ses profits… Tout cela doit s'effondrer.
Aniaba hocha lentement la tête. L'image d'un homme arrogant, assis au sommet d'un système oppressif, se dessinait dans son esprit. Mais il savait que le vaincre n'impliquait pas seulement de le tuer. Cela signifiait détruire tout ce qu'il représentait.
— Alors commençons par là, dit Aniaba. Trouvons ses faiblesses, ses ennemis. Chaque homme puissant a des ombres qu'il préfère cacher.
Marie-Louise, réunissant son courage, leva les yeux.
— Si vous allez à lui, je viens avec vous. Je connais ses terres, ses hommes. Et… je ne veux pas fuir toute ma vie.
Aniaba fixa la jeune femme avec intensité, puis hocha lentement la tête.
— Alors nous irons ensemble. Mais souviens-toi, ce chemin sera pavé de sang.
Marie-Louise ne broncha pas. Victor, de son côté, ramassa ses affaires, préparant également sa propre contribution.
— Vous aurez besoin de plus que des mots et des muscles, dit-il. Laissez-moi m'assurer que vous ne mourrez pas trop vite.
Alors que la nuit tombait sur le village, un plan commençait à se dessiner. Le nom de Maximilien de Montclair flottait dans l'air, un rappel constant de l'homme qu'ils allaient affronter. Mais au fond d'eux, ils savaient que ce n'était que le début d'une guerre bien plus grande.