La forêt était toujours aussi oppressante, chaque bruit semblant amplifié par le silence qui suivait. Marie-Louise avait du mal à suivre Aniaba, son corps endolori ralentissant sa marche. Sa respiration était saccadée, et son flanc gauche la faisait souffrir. La blessure, bien qu'évitant des organes vitaux, saignait encore, et ses forces l'abandonneraient bientôt si rien n'était fait.
— Aniaba… murmura-t-elle, sa voix faible. Je… je ne peux plus…
L'homme s'arrêta, se tournant vers elle avec une expression qui mêlait irritation et inquiétude. Il était clair qu'il n'était pas habitué à attendre ou à s'adapter à une autre personne. Mais la vision de Marie-Louise, appuyée contre un arbre, le visage pale et les lèvres tremblantes, l'obligea à prendre une décision.
— Tu as besoin de soins, dit-il, son ton plus direct que bienveillant.
— Je… oui, mais… où irons-nous ? Je… Je ne peux pas…
Aniaba leva une main pour la faire taire. Ses yeux balayaient les environs, cherchant une solution. Puis il se souvint de quelque chose : un petit village qu'il avait aperçu lors de leur progression, un lieu modeste mais avec une population qui pourrait inclure un soignant ou un apothicaire. Il passa un bras sous celui de Marie-Louise, la soutenant avec une force qui semblait infinie par comparaison à sa fragilité.
— Viens. Nous trouverons quelqu'un.
Le village apparaissait enfin au loin, niché au creux d'une vallée. Les cases de bois et de chaume étaient regroupées autour d'une place centrale, où une petite foule s'était formée pour des échanges marchands. Les habitants, majoritairement des esclaves affranchis et des paysans, portaient des visages méfiants lorsqu'Aniaba et Marie-Louise apparurent au bord du sentier.
La présence d'Aniaba était imposante. Sa carrure, combinée à l'éclat sauvage de son regard, attirait les regards, mais pas les gestes de bienvenue. Les conversations se turent, et les habitants se dispersèrent lentement, préférant l'observer de loin.
— Où est le médecin ? tonna Aniaba, sa voix coupant l'air comme une lame.
Personne ne répondit. Certains habitants se contentèrent de baisser les yeux, prétendant ne pas avoir entendu. Mais un vieil homme, assis près d'une table où il épluchait des racines, leva une main tremblante et pointa une case un peu éloignée des autres.
— Là-bas… murmura-t-il. C'est chez Victor.
Aniaba hocha la tête, tirant Marie-Louise avec lui. Ils atteignirent la case rapidement, et il frappa contre la porte avec une force qui fit trembler les murs de bois.
La porte s'ouvrit, révélant un homme dans la vingtaine, de taille moyenne, au teint mulâtre, les yeux fatigués mais alertes. Victor, habillé simplement mais avec une certaine propreté, observa les deux visiteurs avec une curiosité prudente.
— Vous… vous avez besoin de quelque chose ? demanda-t-il d'une voix neutre.
Aniaba n'hésita pas. Il poussa Marie-Louise légèrement en avant.
— Elle est blessée. Soigne-la.
Victor fronça les sourcils, observant la jeune femme avant de lever les yeux vers Aniaba.
— Entrez. Posez-la ici, dit-il finalement en désignant une table en bois.
Aniaba laissa Marie-Louise s'installer, mais son regard restait fixé sur Victor, évaluant chacun de ses gestes. Victor sembla le remarquer et se retourna brusquement après avoir rassemblé quelques herbes et instruments.
— Si tu veux que je la soigne, recule, dit-il d'un ton ferme. Je ne travaille pas sous pression.
Aniaba fit un pas en arrière, mais ses yeux restèrent plantés sur Victor comme un fauve prêt à bondir. Le médecin se mit au travail, nettoyant la plaie avec une décoction d'herbes avant de la recoudre avec une précision mécanique. Marie-Louise grimaça, mais ne cria pas.
Lorsque le travail fut terminé, Victor s'essuya les mains et se tourna vers Aniaba.
— C'est fait. Elle a besoin de repos, mais elle survivra. Maintenant, à mon tour de poser une question : qui êtes-vous, et pourquoi amenez-vous une jeune femme blessée ici, en plein milieu de la nuit ?
Aniaba croisa les bras, son visage sombre.
— Je suis celui qui veille sur elle. C'est tout ce que tu as besoin de savoir.
Victor haussa un sourcil, mais ne répondit pas. Il pouvait sentir la tension dans l'air et savait que poser d'autres questions pourrait le mettre en danger.
Marie-Louise, allongée sur la table, murmura doucement.
— Merci… Victor.
Le médecin esquissa un faible sourire avant de répliquer :
— Récupère vite. Ce monde n'est pas indulgent envers les faibles.
Aniaba posa une main lourde sur l'épaule de Victor, le fixant dans les yeux avec une intensité glaçante.
— Tu as fait ton travail. Si elle meurt, je reviendrai.
Victor soutint son regard, mais une lueur d'inquiétude traversa ses traits. Aniaba tourna les talons, s'installant près de la porte comme un gardien silencieux. La nuit s'était épaissie, mais le chemin de ces trois âmes était loin d'être terminé.