章節 6: Chapitre 6
Le voyage à bord du négrier était un enfer que les mots seuls ne pouvaient capturer. L'air était saturé d'une puanteur insupportable, un mélange de sueur rance, de vomissures, d'urine et d'excréments qui semblait s'infiltrer jusque dans les pores. La cale était plongée dans une obscurité presque totale, ponctuée seulement par des lueurs provenant des interstices des planches. Les gémissements des malades et des mourants remplissaient l'espace, créant une symphonie macabre de souffrance.
Dans cette promiscuité forcée, les maladies se propageaient rapidement. Fièvres, dysenteries et infections emportaient quotidiennement des vies. Pour ceux qui survivaient, chaque décès était perçu comme une libération, un échappatoire à un cauchemar sans fin. Les corps des morts étaient parfois laissés dans la cale pendant des heures, leurs cadavres rigides servant de rappel sinistre du sort qui attendait les autres.
Les officiers, bien que précis dans leur gestion de la "marchandise", étaient des monstres d'une autre sorte. Ils descendaient régulièrement dans la cale, choisissant les plus belles femmes parmi les captifs. Sous des prétextes hypocrites de nettoyage ou d'évaluation, ils les faisaient monter sur le pont et les emmenaient dans leurs quartiers. Lorsque ces femmes revenaient, elles étaient différentes, leurs corps meurtris et leurs regards vides, comme si ce qu'elles avaient subi les avait tuées à l'intérieur. Des murmures circulaient parmi les captifs : certaines ne résistaient pas longtemps après leur retour.
Mais l'horreur ne se limitait pas aux officiers. Parfois, des marins descendaient à leur tour dans la cale. L'absence de lois ou de conséquences leur donnait une licence totale pour satisfaire leurs instincts les plus vils. Devant tous, ils s'en prenaient à des femmes, des fillettes, et parfois même de jeunes garçons. Les autres captifs, terrifiés et impuissants, se recroquevillaient, priant pour que leur tour n'arrive pas.
Une nuit, alors qu'un marin abusait encore d'une victime sous les regards horrifiés des autres, Aniaba ne put plus se taire. La rage, alimentée par des jours d'impuissance et d'injustice, explosa en invectives dirigées contre les marins.
— Vous n'êtes rien d'autre que des bêtes ! Des monstres sans honneur ! rugit-il depuis sa cellule.
Le marin, surpris par la voix pleine de haine, tourna lentement la tête vers Aniaba, un rictus cruel se dessinant sur ses lèvres. Quelques instants plus tard, plusieurs marins se réunirent, entraîneraient Aniaba hors de sa cellule et le passèrent violemment à tabac. Les coups pleuvaient sans relâche, leurs poings et leurs bottes s'acharnant sur son corps jusqu'à ce que plusieurs os se brisent.
Quand les officiers apprirent ce qui s'était passé, leur colère éclata. Ils avaient été très clairs sur un point : la "marchandise", en particulier Aniaba, devait être conservée en bon état pour obtenir un prix élevé à destination. Les marins responsables furent eux-mêmes battus et débarqués au port le plus proche, une punition d'une rare sévérité. Mais pour Aniaba, le mal était déjà fait.
À mesure que les jours passaient, son corps souffrait de terribles fièvres. Parfois brûlant, parfois glacé, il tremblait convulsivement, luttant pour chaque respiration. Les plaies et fractures causées par le tabassage s'infectèrent, rendant chaque mouvement un supplice. Il était incapable de se nourrir correctement, son estomac rejetant le peu qu'il pouvait avaler.
Dans ces moments d'agonie, Aniaba sentait la mort se rapprocher, comme une présence invisible mais palpable. Elle avait l'odeur de la terre fraîchement retournée, celle des sépultures et de rhum. Chaque inspiration semblait l'entraîner un peu plus près de cet abîme sombre. Pourtant, au fond de son âme, une étincelle subsistait. Même dans cet état, il refusait de se laisser emporter sans avoir laissé une marque, sans avoir réclamé justice pour ceux qui partageaient son destin.
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