Après la pause de midi, nous avons remballé nos affaires. Ciri, calme et silencieuse, s'était installée sur Ablette, tandis que je marchais à côté de Geralt, qui tenait les rênes du cheval. Le soleil commençait à descendre, projetant des ombres plus longues sur le chemin, et l'air était encore tiède mais un peu lourd, chargé d'une tension que je n'arrivais pas à expliquer.
Nous approchions du village, et à mesure que nous avancions, les maisons avaient l'air de plus en plus délabrées. Certaines étaient abandonnées, d'autres semblaient avoir été attaquées, leurs fenêtres brisées, les portes battant légèrement sous l'effet du vent. En arrivant sur la place centrale, je vis que plusieurs villageois s'étaient rassemblés. Ils murmuraient entre eux, jetant des regards nerveux dans notre direction.
« Que se passe-t-il ? » demandai-je en les observant.
Geralt, attentif, se contenta de murmurer à mi-voix : « Reste sur tes gardes. »
Il se tourna ensuite vers Ciri, restée un peu en retrait. « Ciri, garde Ablette ici. »
Elle hocha la tête sans rien dire, mais je voyais dans son regard qu'elle était ailleurs, probablement encore en train de penser à des choses qui la tourmentaient. J'avais envie de lui dire quelque chose, de lui montrer que j'étais là, mais avant que je puisse bouger, la main ferme de Geralt se posa sur mon épaule. Il me lança un regard sérieux.
« Elle doit faire face à tout ça seule. Elle sait que tu es là si elle a besoin, mais pour l'instant, elle doit apprendre à affronter ses propres démons. »
Je hochai la tête, même si ça ne me plaisait pas. Geralt avait une façon directe de voir les choses, presque froide, mais au fond de moi, je savais qu'il avait raison. Il me testait aussi, et je devais apprendre à accepter les leçons qu'il m'offrait, même si elles étaient dures.
Nous avancions vers le groupe, et les murmures des villageois devinrent plus clairs.
« Que va-t-on faire ? » disait l'un, la voix tremblante.
« C'est un monstre, je vous dis… »
« Seul un autre monstre peut l'arrêter. »
Leurs voix s'arrêtèrent quand ils nous virent. Un vieil homme s'avança, sûrement le maire. Ses vêtements étaient usés, et son visage marqué par l'angoisse. Il jeta un coup d'œil rapide vers Geralt avant de reculer légèrement, effrayé en voyant ses yeux de sorceleur.
« Un… un mutant ! » balbutia-t-il.
« Un mutant, ici ?! » chuchota un autre, comme s'il n'en croyait pas ses yeux.
Un villageois murmura quelque chose au maire : « Avec la guerre, il y a des nécrophages partout. Ils viennent en meutes. Peut-être qu'ils peuvent s'en occuper… »
Je pris une grande inspiration, sentant les regards peser sur nous. Je me tournai vers le maire, essayant de paraître sûr de moi.
« Quel monstre vous pose des problèmes ? » demandai-je.
Le maire hésita, observant ses concitoyens avant de me répondre, la voix un peu tremblante. « C'est une bête… sur quatre pattes. Elle rode près des maisons la nuit, et… on a réussi à la piéger dans la grange. »
Il pointa du doigt une vieille grange un peu plus loin, une structure délabrée, avec un chariot en travers de la porte pour bloquer l'entrée. Un frisson me parcourut, mais je serrai les poings pour masquer mon appréhension.
Geralt se tournant légèrement vers moi. « Aiden, tu veux prendre ce contrat ? »
Surpris, je levai les yeux vers lui. Il était rare qu'il me demande mon avis comme ça, lui qui semblait toujours savoir exactement quoi faire.
« Oui, » répondis-je après une seconde d'hésitation. « Je suis prêt. »
Geralt hocha la tête, un léger sourire au coin des lèvres, comme s'il jaugeait ma réponse. Il ne me disait jamais clairement ce qu'il pensait, mais ce regard, même rapide, ressemblait à une forme de test. J'avais l'impression qu'il attendait de voir si j'allais me montrer à la hauteur.
Geralt sortit alors son épée en argent et la tendit dans ma direction. Le poids de la lame froide dans ma main me surprit. Je levai les yeux vers lui, cherchant une explication.
« C'est ton contrat, Aiden, » dit-il, calme et sûr de lui. « C'est à toi de t'en charger. Mais si ça tourne mal, j'interviendrai. »
Le vent s'était levé, soulevant un peu de poussière. Le soleil déclinait derrière les maisons, jetant une ombre menaçante sur la grange. L'atmosphère s'était faite plus oppressante. Le maire murmura d'une voix basse :
« La bête… elle laisse des marques étranges, comme des griffes tordues. Et elle pousse des cris… des cris qui vous glacent le sang. »
Mon cœur battait plus vite à chaque mot. La grange devant moi paraissait sombre et menaçante. Sentant le regard de Geralt peser sur moi, je pris une profonde inspiration, serrant la garde de l'épée. C'était mon premier véritable test, et je ne pouvais pas échouer sous les yeux de Geralt.
« D'accord, » dis-je, tentant de cacher mon appréhension et de me montrer à la hauteur.
Geralt et moi approchions de la grange. Des grognements s'en échappaient, remplis de rage et de faim. La grande porte n'était clairement pas une bonne option. Je parcourus du regard les environs et aperçus une fenêtre entrouverte un peu plus haut. Une vieille échelle était posée contre un chariot à côté. Mon cœur battait plus vite ; j'avais l'impression que chaque décision comptait. Je pris l'échelle et la plaçai sous la fenêtre, essayant de ne pas montrer ma nervosité. Geralt, lui, fixait le chariot, l'air pensif.
« Geralt, tu fais quoi ? » murmurai-je, incertain.
« Rien, » répondit-il simplement. Puis, sans se presser, il s'approcha de l'échelle et monta en premier. Je pris une grande inspiration et le suivis.
À peine entré dans la grange, une odeur immonde de chair pourrie et de décomposition me frappa, me donnant la nausée. Je dus lutter pour ne pas vomir. En baissant les yeux, je découvris quatre cadavres étendus au sol, leurs membres tordus et éparpillés dans des positions étranges. Deux goules, le visage baigné de sang, étaient penchées dessus, déchiquetant la chair et broyant les os. Le bruit sec et répugnant de leurs mâchoires faisait remonter un frisson le long de ma colonne vertébrale.
« Le maire ne nous a pas dit qu'il y avait des morts ici... » soufflai-je, dégoûté.
Geralt se pencha légèrement vers moi, parlant d'une voix calme, comme s'il faisait un simple constat. « Ce sont des goules, des nécrophages. Elles sentent les cadavres à des kilomètres. Leurs griffes peuvent percer les armures sans difficulté. » Il sortit une petite bouteille de sa sacoche et me la tendit. « C'est de l'huile contre les nécrophages. Enduis ta lame avec, ça agit comme un poison pour elles. Ça les affaiblira à chaque coup. »
Je pris la bouteille et versai l'huile sur ma lame, essayant de garder mes mains stables malgré le stress. La lame semblait luire étrangement dans la lumière grise de la grange, ajoutant un sentiment de danger au moment. Mon cœur battait de plus en plus fort. C'était mon premier vrai combat face à ces créatures, et l'idée de décevoir Geralt ou de faire un faux pas me tordait l'estomac.
Alors que je me préparais à descendre, Geralt posa une main ferme sur mon épaule, me forçant à le regarder dans les yeux. « Ne fais pas de mouvements inutiles. Ne les considère pas comme des humains. Elles sont des chasseuses, elles traquent leur proie sans pitié. »
J'hochai la tête, tentant de retenir son conseil. Ce n'était pas des créatures avec qui on pouvait jouer, et elles attendaient sûrement la moindre erreur. Mon esprit bouillonnait, entre la peur et la détermination. J'avais la sensation que tout pouvait basculer en une seconde.
Je descendis l'échelle en silence et me cachai derrière une botte de foin. Mon esprit s'emballait. C'était mon moment, je devais réfléchir vite et garder le contrôle. J'avais l'avantage de la surprise. Mais alors que je planifiais mon premier coup, une sensation de danger se glissa en moi. Sans réfléchir, je me jetai au sol. Une goule bondit dans ma direction et atterrit là où je me tenais une seconde plus tôt.
Mon cœur battait si fort que j'avais l'impression qu'il allait exploser. Mon instinct m'avait sauvé, mais j'avais aussi commis une erreur : avec la douleur de ma blessure précédente, j'avais oublié qu'elles pouvaient sentir le sang. Elles attendaient simplement que je fasse un faux pas.
Je grognai intérieurement, m'accusant d'avoir été stupide et trop sûr de moi. Ce n'était pas un simple exercice. Chaque mouvement comptait, chaque hésitation pouvait me coûter cher. Je continuai d'esquiver, mais l'espace se réduisait. Une des griffes de la goule m'effleura l'épaule, et la douleur me fit serrer les dents. Je reculai de quelques pas, le regard rivé sur les deux goules qui m'observaient, leurs yeux remplis de cette faim insatiable.
J'essayai de me calmer, de faire taire la peur qui grondait en moi. Je pris une profonde inspiration. C'est alors que je remarquai un détail : l'une des goules boitait légèrement, une patte blessée. Elle serait plus lente à sauter sur moi. C'était une opportunité, mais il fallait l'utiliser intelligemment.
Je saisis une botte de foin et la lançai sur la goule non blessée, la forçant à reculer légèrement. L'autre goule, celle qui boitait, bondit vers moi, prête à me mordre. C'était ce que j'espérais. Je fis un pas en arrière, et la créature atterrit lourdement juste devant moi, incapable de se redresser à temps. Sans hésiter, je levai mon épée et la plantai dans sa tête.
Un bref éclat de satisfaction me traversa. J'avais réussi. Mais mon moment de fierté fut de courte durée. La deuxième goule bondit sur moi, ses griffes lacérant mon épaule et ma jambe. La douleur était vive, mais je me débattis, la repoussant avec un coup de pied. Elle retomba sur une fourche laissée au sol, et je saisis ma chance. D'un coup rapide, j'achevai la créature.
Haletant, en proie à la douleur et à l'épuisement, j'entendis des pas s'approcher. Levant les yeux, je vis Geralt, qui me fixait comme d'habitude, avec son expression impassible.
« Ton style de combat est fait pour tuer des humains, pas des monstres. C'est pour ça que tu étais en difficulté. »
Je déglutis, me préparant à d'autres critiques.
« Tu es trop confiant. Tu fonces sans assez réfléchir. Souviens-toi : la connaissance est un pouvoir. » Il me regarda de haut en bas avant de conclure : « La seule chose qui t'a vraiment aidé ici, c'est ton instinct. Il est fort. Tu as su t'adapter. »
Je crus qu'il allait me complimenter, mais il se contenta de dire : « Je te donne cinq sur vingt. »
« Hein ? Seulement ça ? » demandai-je, surpris.
« Oui. Et encore, j'ai été généreux. Mais il y a une raison. »
À cet instant, la porte de la grange s'ouvrit, et les villageois entrèrent, armés de fourches. Ils nous fixaient avec des sourires en coin, comme s'ils avaient attendu ce moment. Complètement perdu, je balbutiai :
« Pourquoi… ? »
Un homme éclata de rire. « Gamin, t'es vraiment naïf ! Ha ha ! »
Je sentis la colère et la honte monter en moi. « Vous n'étiez pas des villageois en détresse… »
Ils éclatèrent tous de rire, moqueurs. Je baissai la tête, frustré de m'être fait avoir. Geralt posa alors une main sur mon épaule. Je levai les yeux et le vis accroupi à côté de moi.
« Ce n'est pas grave. Tu as encore beaucoup à apprendre, » dit-il calmement. « Mais c'est comme ça qu'on progresse. On fait des erreurs, et on apprend à ne plus les répéter. »
Je baissai la tête, encore un peu vexé. Mais en même temps, je sentais une nouvelle détermination naître en moi.
L'un des bandits, impatient, s'avança. « Bon, c'est fini le bavardage ? » Il regarda Geralt avec mépris. « Je pensais que les sorceleurs étaient plus malins que ça. T'as suivi ce gamin comme un idiot. »
Geralt haussa un sourcil, indifférent. « Vous vous trompez. Grâce à vous, il a appris une leçon importante. »
Le chef des bandits soupira. « Peu importe. Finissons-en. »
Sans attendre, Geralt dégaina son épée en acier. Il jeta un coup d'œil aux fourches, murmurant pour lui-même : « Qu'est-ce que je hais les fourches… »
Puis il se lança sur eux. Ce fut un massacre rapide et sans pitié.
Une fois dehors, les bandits éliminés et les corps brûlés pour éviter d'attirer d'autres goules, Geralt me guida vers un chariot. Dedans, je vis des marchandises volées. Près de la porte d'une maison, une traînée de sang marquait le sol. Ce n'étaient clairement pas des villageois en détresse.
Geralt se tourna vers moi. « Il y a une chose importante que tu dois comprendre, » dit-il d'un ton grave. « Je n'ai rien dit plus tôt, parce que je voulais que tu réalises par toi-même. »
Il posa une main sur mon épaule. « Fais toujours attention aux faits, Aiden. Laisse-les te guider. Écoute ce que les gens disent, mais ne les crois pas aveuglément. Les mots peuvent mentir, pas les faits. »
Je hochai la tête, encore un peu honteux, mais cette fois plus déterminé. C'était une vraie leçon. Geralt me tapota la tête, presque comme un père.
« Allez, viens. Il est temps de partir. Repose-toi, tu en auras besoin. »
Je hochai la tête, le cœur un peu plus léger. Dans ses yeux, il dut voir que j'avais compris la leçon. Alors qu'il s'éloignait, un sourire fugace passa sur son visage, que je n'eus pas le temps de voir.
Il murmura presque pour lui-même : « Et voilà, ta plus grande qualité : tu apprends vite, et tu ne te décourages pas. »
Puis, levant les yeux vers le ciel, une ombre de tristesse traversa son regard.
« Je t'envie, Aiden, » murmura-t-il, comme s'il parlait à quelqu'un d'autre. « Moi, j'ai abandonné. »
Il soupira, chassant ce souvenir, et partit vers le campement, prêt à méditer.
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