Une vingtaine de jour plus tard, le groupe avançant dans la forêt remarqua que celle-ci devenait de moins en moins dense et les arbres diminuaient en taille sensiblement. La présence d'animaux sauvages se réduisait elle aussi. Il devenait aisé de voir qu'ils arrivaient à la fin de leur traversé de la forêt. Cela créait cependant un nouveau problème.
Si la forêt était dangereuse à cause des risques d'embuscades, avancer à découvert rendrait la présence d'Asgorath atrocement visible, avec toutes les conséquences imaginables pour lui et les deux jeunes. La présence d'un démon dans le pays mettrait en branle toute la puissance militaire du pays, ou peu s'en faut, à moins que ce soit l'un des monstres qui se cachaient à l'intérieur.
Le démon réfléchit tout en marchant à une manière d'éviter d'être découvert. Il aurait pu se camoufler à l'aide d'une toge comme celle que les assassins possédaient. Il n'avait malheureusement rien de semblable pour se dissimuler. Les vêtements qu'il portait actuellement avaient été volés aux gardes du camp de concentration et dans les villages qu'il avait visités durant la nuit.
Mais rien de ce qu'il portait à ce moment ou qu'il possédait ne servirait à grand-chose. Se cacher et se dissimuler étaient impossible. Le Kzhan'La ne voyait aucune méthode susceptible de fonctionner. Inquiet sur la marche à suivre, le démon fronça les sourcils.
« Il y a un problème Asgorath ? demanda doucement Jenny en voyant son visage.
-Oui. En fait, répondit-il, comment suis-je censé vous protéger lorsque nous irons dans un village ? Je ne peux pas vous suivre. Un démon libre apparaissant comme ça serait … … » Asgorath se tut brusquement et s'arrêta. Plaçant sa main sur sa bouche, il prit un air songeur et étonné. Quelques instants après, une lumière traversa son regard quand il reprit : « Un démon libre. Elle est là l'astuce ! Jenny, est-ce qu'il y a des individus qui gardent à leurs côtés des démons comme esclaves personnels ?
-Il y a quelques personnes comme cela, oui, déclara-t-elle prudemment. Généralement, seuls des nobles puissants se servent de démons comme esclaves ou … … des seigneurs avec des goûts particuliers, et qui sont très mal vus de la part des autres. Et ces démons sont en plus faibles et appartiennent à des races démoniaques bas de gamme. Avoir un Kzhan'La comme esclave … … je ne crois pas que ce soit déjà arrivé.
-Oui mais vous avez eu beaucoup de Kzhan'La capturé ?
-Non. Ils meurent tous durant les combats, dit Samuel d'une voix assez cruelle. La plupart des soldats Kzhan'La sont puissants et donc très difficiles à capturer. Je ne pense pas que les autorités savaient que toi et ta mère étiez prisonniers. Sinon, elles auraient sûrement voulu vous utiliser pour faire un échange ou obtenir des informations de vous.
-Effectivement, si les Kzhan'La capturés sont rares, vous voir avec un en tant qu'esclave laissera une forte impression dans l'esprit des villageois, pensa l'intéressé à voix haute.
-Tu n'as pas à t'en faire à ce sujet, affirma Jenny. A part ceux qui font partie de l'armée ou qui ont un poste assez important, ou encore qui, comme nous, viennent d'une famille avec une certaine importance, personne ne sait rien des distinctions entre les différentes races démoniaques. Ils seront incapables de dire que tu es un Kzhan'La.
-Si tu le dis. Tu es humaine, et c'est ton pays, ta compréhension des habitants est forcément bien plus grande que la mienne, commenta le réincarné. Maintenant, il me faut quelque chose à camoufler comme un collier d'asservissement.
-Un collier d'asservissement ? répéta la jeune fille.
-Oui, acquiesça le démon. C'est ce qu'il nous mettait dans le camp de concentration. Tu as quelque chose qui ressemblerait ?
-Je ne sais pas pour les camps de concentration mais les démons esclaves n'en ont pas, affirma la fille des Xiao. Ils ont un sceau qui les empêche de désobéir aux ordres de leurs maîtres ou de s'en prendre à eux.
-Un sceau ? Quel genre de sceau ? interrogea Asgorath.
-C'est un mécanisme magique qui restreint une âme. Cela ne laisse aucune marque sur le corps mais un Arcaniste puissant devrait normalement être capable de sentir les lignes d'énergie spirituelle contraignant l'âme du sujet.
-Parfait, parfait. Dans ce cas, je jouerai le rôle de votre esclave dans les villages pendant que je vous protégerai. Ces assassins n'ont sûrement pas abandonné et, s'ils doivent vous attendre quelque part, ce sera dans l'un des villages sur le reste du chemin. D'ailleurs, il reste combien de temps de trajet ?
-Je pense qu'il devra rester deux semaines de trajet une fois que nous serons arrivés au premier village. Il s'appelle … euh, Pelro je crois. Oui, c'est ça, Pelro.
-Très bien. En avant vers Pelro. »
Ils marchèrent encore une journée avant de sortir complètement de la forêt et d'atteindre les alentours du village de Pelro. Ceux-ci étaient un ensemble de fermes avec des maisons et des étables, dans lesquelles travaillaient des paysans. Des animaux similaires à des chevaux et des vaches étaient élevés, mais ceux ressemblant à des chevaux de deux mètres de haut mais avec une peau ressemblant plus à du cuir de grizzly. De plus, les yeux semblaient plus perçants que ceux de chevaux de la Terre.
Les vaches, elles, faisaient un mètre cinquante au garrot mais probablement plus d'une tonne. Probablement mille deux cents ou mille trois cents kilogrammes. Les bêtes étaient massives et puissantes, de véritables bêtes de sommes, et outre pour la production de viandes, ces animaux faisaient de splendides travailleurs pour aider les paysans.
Au loin, Asgorath vit le village. Il s'agissait d'une bourgade avec une ou deux dizaine de milliers d'habitants, contrairement à ce que pensait le réincarné. Il avait pensé que le village ne comporterait que mille personnes au plus, deux mille à la rigueur. Pelro avait une taille supérieure à ce qu'il pensait.
Par contre il ressemblait bien à l'idée qu'il s'en faisait : un village de style médiéval avec une palissade ceinturant la ville. Cette palissade mesurait trois mètres et demi de haut pour un mètre de large et était faite en bois, bien qu'elle était renforcée avec des pierres et que la construction avait été réalisée avec brio. Le démon hocha de la tête. Dans un village si grand, même s'ils ne trouvaient pas de carriole, ils devraient pouvoir obtenir des chevaux, ou ce qui y ressemblaient, pour voyager. Sans oublier des vivres, et peut-être des armes et armures.
Arrivant en zone habitée, le réincarné se plaça derrière les deux jeunes nobles et prit une attitude soumise et respectueuse comme un bon serviteur. Le groupe avait deux heures de marche avant d'arriver aux portes de Pelro. Les paysans ne virent pas les trois individus et, la plupart étant occupé à travailler, ne firent pas attention aux nouveaux arrivants. Les enfants en revanche remarquèrent rapidement les trois, et que l'un des trois était une créature étrange. Au début intrigué, ils pointèrent du doigt Asgorath avant d'appeler leurs parents afin de savoir ce qu'était cette étrange créature écaillée.
C'est à ce moment que des cries hystériques retentirent, en provenance des paysans, comme ceux-ci reconnaissaient le Kzhan'La et son statut de démon. Alors qu'ils criaient, ils s'enfuirent et coururent se cacher en emmenant leurs enfants. Mais l'être qui les effrayait tant se contenta de suivre les deux jeunes, toujours en maintenant une distance respectueuse. Les humains ne se calmèrent qu'après de très longues minutes et que la source de leur effroi soit suffisamment éloignée pour ne plus se sentir en danger. Ils se remettaient alors au travail avec des sueurs froides coulant partout tout en continuant de regarder dans la direction vers laquelle le monstre était parti.
Cette scène recommença tout le long du chemin vers le centre du bourg. Asgorath ne put s'empêcher de soupirer et de secouer légèrement la tête à ce spectacle sans que personne ne le remarque. La vue de ces réactions avait un goût amer. Il s'y attendait. Il était un démon et tous les humains craignaient les démons. Il était certain qu'en voir un causerait de telles réactions, mais savoir quelque chose et le voir, le vivre était deux choses fondamentalement différentes. Comme savoir que perdre quelqu'un de cher provoquerait une forte douleur mais que l'on ne comprenait vraiment la force de cette douleur qu'après avoir perdu cette personne.
Malgré tout, cette expérience n'atteint que très légèrement le réincarné. Dans sa vie passée, sa devise était "Ta vie c'est la tienne, pas celle des autres, alors on s'en fout de ce qu'ils pensent." et il continuait à l'appliquer dans ce monde. La seule différence était que pour l'appliquer ici, il aurait besoin de puissance. Après tout, c'était la seule chose importante dans ce monde.
Jenny, Samuel et Asgorath marchèrent en direction de Pelro, dédaignant les réactions des paysans à leur passage. Ils s'approchèrent rapidement de la porte où se trouvaient quatre gardes, deux à l'entrée et deux sur le mur. Ils portaient une armure de maille classique grise. Ceux aux sols étaient armés d'une lance alors que les autres avaient dans leurs mains un arc. Ils surveillaient nonchalamment la route et les voyageurs, ouvrant des bagages de temps à autres pour vérifier qu'il n'y avait rien de dangereux ou d'interdit.
« Stop ! Ne bougez plus ! » s'écria l'un des gardes, un homme d'âge moyen et d'apparence rude. A l'instant où il cria, il leva sa lance, rapidement imité par ses collègues bien qu'ils ne comprenaient pas ce qu'il se passait. « Que faites-vous avec un démon ? Merde ! Jérôme, sonne l'alerte ! Ramène toute la garde ici !»
Le mot démon provoqua une panique générale parmi les individus écoutant. Ils se ruèrent tous dans la ville en abandonnant tout sur place et sans jeter un regard derrière. Heureusement, il n'y avait que peu de personnes devant la porte, sinon, dans leur fuite, des personnes se seraient blessées. Les gardes aussi étaient effrayés et ébranlés, mais ils restèrent à leur poste. La peur se lisait dans leurs yeux et leurs jambes tremblaient, mais ils restaient devant la porte et les habitants, pour les protéger.
« On se calme, déclara Jenny en soupirant. Il n'est pas dangereux. C'est mon esclave.
-Votre esclave, madame ?
-Oui, mon esclave, confirma la jeune fille avant de se tourner vers Asgorath. Allez toi, agenouilles toi !
Le démon obéit dans l'instant comme un esclave servile. Il s'agenouilla sans un mot ou un regard et attendit que Jenny lui donne un nouvel ordre. Celle-ci regarda les gardes hautainement et avec condescendance alors que ces derniers étaient tombés sous le choc devant ce qu'ils voyaient. Un démon s'agenouillant suite à l'ordre d'une petite fille ? Ils savaient que de puissants clans et sectes avaient des démons comme esclaves mais ce n'était pas quelque chose que l'on pouvait voir dans un petit village comme Pelro. Le démon les avait grandement effrayés, et la petite fille pouvant le contrôler les inquiétait énormément.
« Alors, vous nous laissez passer ? cria la jeune fille, interrompant leurs pensées. Je n'ai pas que cela à faire, et comme vous le voyez, ce démon est mon esclave.
-Désolé madame, bredouilla le garde qui les avait interceptés. Je … je vais vous laisser passer. Oui, je suppose que je peux vous laisser passer vu que c'est votre esclave.
-Laisser passer qui ? tonna une voix alors qu'un homme dans une armure de plate accourait, la lame au vent.
-Cap … Capitaine, balbutia de nouveau l'homme, vous voyez, en fait … euh, le démon que l'on avait vu était en fait un esclave de madame.
-Un démon comme esclave ? Tu as une preuve ?
-Eh bien elle lui a ordonné de s'agenouiller et il l'a fait, répondit le garde.
-Mmh … et vous êtes ?
-Je m'appelle Jenny Xiao et à côté de moi c'est mon frère, Samuel.
-Et ce démon ? continua d'interroger le capitaine.
-Vous nommez vos objets, vous ?
-Très bien, vous pouvez passer, déclara l'homme après quelques minutes de réflexions. Mais qu'il n'y ait qu'un seul problème avec cette saloperie et je ferai tomber vos têtes. Aussi, personne n'acceptera ce monstre chez lui, et je ne veux pas le voir trainer dans mes rues la nuit. Compris ?
-Il n'y a pas des écuries ou des étables ici ? répliqua la jeune fille
-Eh bien, si.
- Ça lui suffira largement. Allez, lève-toi ! »
Sur ces mots, Jenny donna un coup de pied dans le ventre du Kzhan'La et entra dans la ville d'un pas conquérant en regardant de haut les gardes et les habitants, à la manière d'une jeune fille noble imbue d'elle-même. Samuel la suivit en imitant sa démarche et son attitude tandis qu'Asgorath se relevait et marchait derrière les deux nobles, la tête baissée et faisant comme si il n'avait pas été frappé. Une fois dans le village, le groupe alla d'abord à la recherche d'une auberge.
Il n'y en avait pas beaucoup, et elles n'étaient pas faites pour les nobles, mais ils finirent par en trouver une qui satisfaisait les demandes des Xiao, et qui laissait le démon dormir dans l'écurie où les chevaux étaient gardés. L'auberge, appelée le «Sommeil d'Or», était le lieu où la plupart des marchands se retrouvaient et avait donc une ambiance assez bonne et tranquille. Le Kzhan'La ne savait pas grand-chose sur le propriétaire mais à l'aide de son énergie spirituelle, qu'il utilisa pour couvrir l'entièreté de l'auberge, il ne découvrit rien de dangereux.
L'auberge trouvée, ils se baladèrent dans le village. Ses habitants restaient éloignés au maximum d'eux, permettant au groupe de ne pas souffrir de la foule. Ils achetèrent sans difficulté de la nourriture et de l'eau pour le reste de leur voyage. Même si Jenny et Samuel étaient les descendants d'une famille noble sur le déclin, ils possédaient suffisamment d'argent de poche pour acheter énormément de choses. Les problèmes d'approvisionnement réglés, le groupe se dépêcha et alla voir un éleveur de chevaux qui en revendait certains dans le village. Un cheval coutait plusieurs pièces d'argent.
Or, un individu lambda n'en utilisait pas plus d'une ou deux dans toute sa vie. Ce n'était pas quelque chose que n'importe qui pouvait se payer dans des villages de ce type. A part les marchands qui souhaitaient changer de chevaux et les personnes importantes des alentours, peu en avait les moyens. Et un cheval durait normalement quelques années. Pour toutes ces raisons, il n'y avait qu'un éleveur et marchand de chevaux dans toute la région. Malgré une faible demande, il gagnait assez bien sa vie en exportant ses chevaux vers des plus grandes villes.