De plus en plus de gaz s'échappait d'Asgorath. Il se divisa en d'innombrables tentacules noirs. Chacune se mouvait vers les rats lentement, à l'instar d'un serpent. Le miasme semblait presque vivant. Les tentacules frottèrent les murs. Ces derniers s'effritèrent comme une boule de sable entre des doigts. A part le Kzhan'La, rien ne semblait pouvoir y résister, que ce soit vivant ou non. En quelques minutes, tous les rats moururent, leur vie arrachée pour nourrir le miasme et soigner le démon.
Une fois toute la vermine morte, le gaz noir entoura le réincarné, formant un cocon protecteur pendant qu'il se rétablissait. Sous l'influence de la vie absorbée, les organes principaux se régénèrent, les chairs se raccrochèrent et les os se reformèrent. Le cœur, sous cette influence, repartit de plus belle, battant plus vite et plus fort. De longues minutes furent nécessaires pour soigner les blessures internes et que le corps se rattache. Des vignes sanglantes de muscles et de viandes se tortillères et s'attrapèrent entre elles, formant des ponts qui relièrent les hanches et les rapprochèrent. Les yeux se reformèrent dans les orbites. Les restes des rats morts dans le corps furent décomposés à un niveau atomique et servirent de ressources à la reconstruction du corps.
Les dommages les plus graves guéris, le gaz se déploya de nouveau. Presque toute l'énergie absorbée avait été utilisée pour la récupération. Le gaz en voulait plus, il avait besoin de plus, de beaucoup plus. Il s'attaqua aux murs de la prison et à la porte en bois, les réduisant en poussière. Il fallut du temps, mais le miasme réussit à détruire la porte et les murs de pierre se fissurèrent sous son effet corrosif. Il s'échappa par les failles créées, à la recherche de nouvelles proies. Il rampa le long du sol et des murs, ne laissant comme traces de son passage que de légers sillons serpentins. Il s'insinua dans les cellules, trouvant parfois des prisonniers qui ne virent même pas la mort les frapper. Bien que faibles, chaque prisonnier offrait bien plus d'énergie vitale que tous les rats consommés. Dévorant avidement l'énergie, le miasme se développa exponentiellement. Il emplit les couloirs, marée d'un noir absolu ne laissant que des os là où elle passait.
Toujours dans sa cellule, Asgorath tremblait de tous ses membres. Des halètements durs et graves, comme venus de l'Autre Monde, s'échappaient de sa bouche. Ses yeux s'ouvrirent. Autrefois bruns, ils étaient devenus entièrement noires. Il n'y avait rien dans ses yeux. Pas la moindre trace de chaleur ou de conscience. Il n'y avait absolument rien. C'étaient des trous sans fond. Un noir absolu et glacial, comme capables d'arracher l'âme de ceux qui y plongeraient le regard y résidait. Les tremblements diminuèrent puis cessèrent. Le corps était complètement rétabli. Bien qu'inconscient, le démon bougea légèrement et se leva. Il resta debout, immobile, quelques secondes. Seule sa poitrine se mouvait, gonflant et se dégonflant au rythme de la respiration, unique trace de vie. Les muscles se contractaient et se décontractaient ensemble dans une harmonie rude. Les halètements sourds et brusques se transformèrent et devinrent une respiration lente et saccadée. Rapidement elle devint fluide et contrôlée. A chaque expiration, la fumée noire qui parcourait les couloirs et dévorait toute vie sortait de sa bouche.
Il leva la tête. Un son presque inaudible s'échappa et gagna en intensité, devenant un rugissement puissant qui fit trembler les murs et résonna dans tout le camp. Les gardes et les prisonniers se figèrent en l'entendant, incapable de comprendre d'où il venait et ce qui se passait. Ce puissant rugissement les effraya tous. C'était le rugissement d'un prédateur. Mais pas n'importe quel prédateur. Un prédateur naturel à toute forme de vie. Un prédateur absolu. Les plus faibles mentalement s'urinèrent dessus ou s'évanouirent. Même les plus forts ne pouvaient que rester figer. Ce hurlement était celui d'un tueur né. Il contenait une rage et une haine sans égales. Sous son influence, le gaz noir s'excita et se répandit partout bien plus vite. Il était si avide de se nourrir. Si avide que les os laissés auparavant disparurent.
Le miasme se jeta sur les postes de garde en même temps. Comme les prisonniers, ils ne virent pas leur destin mortel approché. Le miasme s'accumula dans les geôles et la prison, l'emplissant entièrement. Puis, sous l'ordre d'un second rugissement, il sortit à la façon d'un geyser par les portes, les fenêtres et chaque fissure existante. De noirs geysers gazeux furent propulsés un peu partout autour de la prison. Certains des gardes, soldats et prisonniers se trouvèrent là où ils apparurent. Sous les regards horrifiés de leurs camarades, ils se décomposèrent à une vitesse folle, ne laissant rien derrière eux. Terrifiés, incapables de comprendre ce qui arrivaient, tous les habitants du camp paniquèrent.
Si la plupart essayait de s'enfuir, quelques individus tentèrent de se débarrasser de l'envahisseur. Les sabres des gardes fendirent l'air vers les miasmes ou tirèrent des flèches. Certains utilisèrent des lances pour le percer. Sans aucun résultat. Des sorts furent lancés. Ils pénétrèrent le gaz et là, toute leur énergie fut extraite et nourrie le noir brouillard. Les attaquants ne durèrent pas longtemps et finirent comme repas pour le gaz. Malheureusement pour les autres, les fuyards, ils ne pouvaient échapper aux tentacules de gaz noir qui se propageaient absolument partout.
Grâce à toute l'énergie dévorée, le gaz se développa incroyablement vite, à un point tel que le camp, au niveau du sol, fut recouvert moins de cinq minutes après l'apparition des geysers. Presque tout le monde fut tué. Les rares survivants ne l'étaient que par un caprice du destin qui les avait mis en hauteur. Mais, alors qu'ils pensaient être sauvés, le miasme remua et bouillonna, se soulevant comme une mer déchainée et engloutissant des huttes.
Grâce à tous ces morts, le démon devenu fou absorba une quantité phénoménale d'énergie. Non seulement cela fini de le soigner, mais cela renforça aussi son corps. Ses écailles durcirent et brillèrent sous les changements, prenant une teinte rouge plus sombre. Ses os se solidifièrent et ses muscles, en plus de devenir plus puissant, se densifièrent et devinrent plus flexibles. Ses sens s'amplifièrent. Si sa vue, autrefois très bonne, devenait lentement encore meilleure.
Asgorath sortit de sa cellule et marcha dans les couloirs vers la sortie. Il ne faisait pas attention aux quelques squelettes présents, écrasant même certains par mégarde. Il avait le dos droit et le menton relevé, marchant d'un pas nonchalant, mais son aura débordait de danger et de mort. Il ressemblait plus à un dieu maléfique qu'à tout autre chose. Il avançait calmement, toujours au même rythme. Sa respiration suivait et, chacun de ses expirations créait du gaz noir.
Tout autour de lui, les êtres vivants s'écroulaient. Les hommes et les animaux, d'abord, puis les plantes. Ce fut ensuite les objets inanimés en bois comme les tables, portes, chaises et autres meubles. Après, ce fut au tour des bâtiments en pierre, complètement corrodés par le miasme. Il ne sortit de la prison qu'un long moment après le nuage noir ait enveloppée tout le camp de concentration. Imperceptiblement, celui-ci se mit à tourner en cercle avec le Kzhan'La comme centre. C'était très léger, mais le mouvement existait. Et sa vitesse augmentait lentement.
Instinctivement, l'ancien prisonnier se dirigea vers la tour où résidaient ses bourreaux. Les occupants du rez-de-chaussée étaient tous morts, mais il y avait encore des gardes aux étages supérieurs. Sans jamais se presser, il marchait, annonciateur de mort. Il entra dans la tour et grimpa les escaliers, un pas après l'autre, la terrible trainée noire dans son sillage, le gardant tel un terrible et horrifiant protecteur. Il grimpa sans s'arrêter et, sur son chemin, il croisa des soldats.
Ils regardèrent le démon et un frisson d'effroi les parcouru. Une fraction de seconde leur avait suffi à comprendre. Le miasme noir qui détruisait tout provenait de lui. Le monstre qu'ils avaient sous les yeux l'expulsait avec ses expirations. Ils dégainèrent leurs épées, sachant que leur seule chance de survie résidait dans la mort de l'adversaire. Ils attaquèrent Asgorath mais celui-ci ne les remarqua même pas et continua d'avancer. Ils étaient invisibles pour lui. Les épées filèrent et en une frappe, les soldats essayèrent de le trancher en deux. Un craquement métallique retentit comme les épées se brisèrent contre les écailles, ne laissant pas une rayure.
Les attaquants n'eurent pas le temps d'être surpris. Le démon réagit instantanément à l'attaque. Ses mains se dirigèrent vers eux à une effroyable vitesse, les griffes dehors. Sans difficulté, elles pénétrèrent dans les gorges et les transpercèrent parfaitement, détruisant les colonnes vertébrales et ressortant par la nuque. Continuant d'avancer, le Kzhan'La les abandonna sur le sol alors qu'ils se vidaient de leur sang. Ils n'eurent pas le temps de souffrir. Le gaz suivant Asgorath les dévora. Leurs compagnons, plus haut, les suivirent rapidement dans la mort.
Le jeune démon trouva finalement ses proies, ou plutôt une, dans l'une des salles de gardes. C'était Larde, le prêtre pervers et sadique. Marc Aryl n'était pas là. Il était probablement parti pendant que le Kzhan'La se faisait dévorer vivant par les rats. Celui-ci le remarqua mais s'y désintéressa. Il s'était transformé en un prédateur et un tueur froid. Si l'une de ses proies n'était pas ici, il n'aurait qu'à la chercher plus tard.
Des gardes se présentèrent devant le prêtre, prêts à le protéger. L'ecclésiastique se mit à chanter un sort destiné à renforcer ses alliés et affaiblir ses ennemis. A cet instant, un son glaçant sortit de la bouche d'Asgorath. Ce son était à la fois un rire psychotique glacial et un rugissement haineux explosif. Il effraya les gardes au plus haut point. Il terrifia le prêtre plus encore, tellement qu'il perdit le contrôle de son mana et ne put achever son sort. Les humains étaient tous paralysés par ce rire-rugissement.
Asgorath bondit. Son corps, renforcé par l'aura vitale absorbée, était bien plus puissant et dangereux qu'avant. L'expression 'machine de guerre' semblait faite pour lui, à cet instant. Les soldats ne purent rien faire pour se défendre. En fait, ils ne le virent pas bouger. Ses griffes fendirent l'air et déchirèrent leurs gorges comme du papier. Ses bras frappaient dans tous les sens, déchiquetant tout. Moins d'une minute plus tard, il s'arrêta et les gardes s'effondrèrent. Ils n'étaient pas morts, mais leurs torses et leurs visages ressemblaient désormais à de la viande hachée. Leur sang coulait abondamment et ils ne leur restaient plus beaucoup de temps à vivre.
Une attaque survint de derrière le démon fou. La dague se brisa mais elle parvint à pénétra les écailles et à le blesser. L'attaquant sentit un regain d'espoir. Si son adversaire pouvait être blessé, alors il pouvait mourir. Cet espoir ne dura cependant pas comme, sous ses yeux stupéfiés, la plaie se régénérait. Le démon se tourna et attaqua avec ses griffes mais, malgré sa vitesse, il ne toucha l'humain. Celui-ci se prépara et bondit à nouveau sur Asgorath. Dans un hurlement, celui-ci produit des serpents électriques tout autour de son corps qui, dans la seconde de leur création, se jetèrent sur l'humain. Ils s'entortillèrent autour de lui, véritables chaînes, tout en l'électrocutant. Toujours en train de hurler, il produit une quantité immense d'électricité qui foudroya son ennemi si fort que sa peau brula et craquela. Tous les gardes étaient morts.
Pensant que le démon l'oublierait à cause du combat, Larde se cacha dans un coin de la salle et ne fit plus un bruit. Il avait reconnu le démon et savait qu'il s'agissait de celui que Marc et lui avaient torturé pendant une trentaine de jours. Mais il n'était pas dans son état normal. C'était une bête enragée à ce moment. Peut-être survivrait-il si elle ne le voyait pas ?
Malheureusement pour lui, si Asgorath l'avait perdu des yeux, il l'avait instinctivement verrouillé avec son énergie magique. Où qu'il soit, il ne pourrait jamais lui échapper !
Une fois tous les humains armés morts, il se dirigea vers la cachette du prêtre et l'en tira violemment. Ce dernier bafouilla des mots, essayant par tous les moyens de gagner les grâces de son ancienne victime. Mais celle-ci ne comprenait plus la parole et les mots de l'ecclésiastique n'étaient que des sons sans intérêt. Il était inconscient et ne pouvait comprendre ce qu'on lui disait. Néanmoins, cela ne l'empêcha de savoir ce qu'il allait faire à son ancien bourreau.
Sa colère, sa haine et son envie de vengeance étaient tangibles et murent ses jambes et ses bras. Il rétracta toutes ses griffes excepté celle de son index droit. Du bout de la griffe, le réincarné traça une ligne faisant le tour du crâne. Il coupa ensuite dans l'os et retira le haut du crâne, mettant le cerveau du prêtre à l'air libre. Il utilisa naturellement les connaissances apprises dans son ancienne vie.
Des impulsions électriques quittèrent ses mains et parcoururent le cerveau, permettant au démon de le cartographier mentalement. Elles activèrent très légèrement toutes les zones du cerveau de Larde. Après plusieurs minutes et de nombreux essais, Asgorath trouva enfin ce qu'il cherchait. La zone contrôlant le sentiment de la douleur !
De par son ancienne vie, il savait que le cerveau contrôlait chaque partie du corps, chaque sensation, et que certaines zones étaient dédiées au contrôle d'une unique chose. Même l'amour, le sentiment amoureux, était créé grâce à des sécrétions hormonales. Il était inconscient, mais d'une certaine façon il était tout de même capable d'employer ses connaissances comme il le souhaitait et de réfléchir. Il restait toujours impassible, malgré une partie de sa vengeance proche de l'accomplissement.
Des arcs électriques se développant entre les doigts, le Kzhan'La titilla la zone de la douleur de Larde par de petits chocs électriques. De violents accès de douleur parcoururent le prêtre et il hurla. La souffrance qu'il ressentait était très différente de son ancienne victime. C'était de la souffrance pure, sans aucune autre sensation comme celle de la brûlure, du sang qui s'écoulait ou de ses entrailles se faisant dévorer. Le démon manipulait habilement l'électricité, stimulant entièrement la zone de la douleur.
Pour Larde, c'était comme si chaque parcelle du corps souffrait. Afin d'éviter qu'il ne s'évanouisse, Asgorath le força à sécréter de l'adrénaline en grande quantité. Après une dizaine de minutes, l'ecclésiastique se roulait sur le dos et hurlait. Quelques minutes après, de l'écume blanche apparut sur sa bouche et il roulait des yeux. Un peu moins d'une heure après le début de la torture, ses yeux étaient blancs, vitreux et tremblaient pendant qu'il avait la bouche d'un chien enragé.
Il le tortura sans arrêt pendant deux heures, à un tel point que ses nerfs étaient brulés et détruits par les chocs électriques. Agissant à l'instinct, Asgorath tissa de fins et résistants fils de mana qui lui déchirèrent l'intérieur. Ils fouillèrent et cherchèrent, détruisant tous les organes au passage. Le Kzhan'La eu de besoin de quelques minutes avant de trouver ce qu'il voulait.