Les chasseurs regardèrent avec inquiétude le bras humain, de couleur pale et aux doigts tordus, et dont le sang séché avait coloré les lames d'herbes à proximité immédiate.
« Ça veut dire quelqu'un s'est fait dévorer ? » Demanda l'alchimiste.
« Soit ça, soit il s'est fait arracher le bras à coups de dents... » Observa l'expert en combat à distance et en pièges. « Mais je ne me souviens pas avoir vu de signalement pouvant correspondre à une morsure aussi impressionnante.»
Géandre, lui, se demandait si le bras appartenait à un des chasseurs dont il avait pu suivre un instant les traces dans la forêt, et se remémora l'arbre transpercé de part et part et tâché de sang.
Peut-être que l'affrontement entre chasseurs et monstre avait dégénéré, et il pensa que la personne qui y avait laissé un bras n'était probablement pas douée pour la chasse.
C'était totalement stupide de se laisser prendre par surprise, et encore plus de ne pas prendre la bonne décision – fuir sans se retourner – au bon moment.
Heureusement pour eux, leur groupe actuel était suffisamment compétent pour parer toutes les éventualités, même étranges et inhabituelles. Si un monstre les chargeait, ils pouvaient encaisser le coup ou fuir assez vite. Si un autre type de bête, carnivore, rôdait dans les parages, ils seraient juste un peu plus vigilants.
« Hé ! Regardez ça ! » S'exclama l'épéiste, qui s'était un peu éloigné du groupe, avec une expression sérieuse.
Les cinq autres personnes lui lancèrent des regards intrigués, et il les invita d'un signe de la main à ce qu'ils le rejoignent.
Délaissant le bras sectionné, les chasseurs rejoignirent l'épéiste, et l'alchimiste sentit un haut le cœur menacer son déjeuner de remonter dans sa gorge.
Une expression de dégoût passa également sur les visages de Géandre et du chasseur spécialiste en défense.
Ils en avaient vu des choses, avec leur expérience de chasseur, mais même ce genre de vision restait absolument horrible et révulsant.
Au milieu des hautes herbes, se trouvait un torse d'homme ensanglanté, sans tête ni bras ni partie en dessous du nombril. Le corps semblait avoir été démembré, mais quelque chose de particulier alerta le spécialiste en combat longue distance.
« C'est une autre personne, » observa-t-il.
« Comment ça ? » Demanda l'épéiste.
« Regardez les vêtements, » dit-il en désignant la tunique de couleur beige et noire. « Ça ne correspond pas du tout au morceau de manche du bras sectionné. »
« Ça veut dire que deux personnes n'ont pas réussi à s'échapper ? » Déduisit Géandre.
Avec un air grave, il bondit sur un petit rocher à proximité immédiate pour commencer à regarder autour d'eux et ayant une vue dégagée ; et les secondes passant, son visage s'assombrit encore plus.
« Je pense… Que personne n'a réussi à s'échapper... » Dit-il en fronçant les sourcils.
La femme alchimiste devint livide, le sang se drainant entièrement de son visage, tandis que Valshesia resserra sa main autour de sa lance.
Tout autour du groupe, se trouvaient des morceaux de corps humains dispersés dans toute la clairière, et dont la présence avait jusqu'alors été dissimulée par les hautes herbes.
« Ils ont été massacrés ?! » Couina l'alchimiste, apeurée.
Géandre claqua sa langue. Cette fille était un mauvais choix pour leur équipe, si elle ne pouvait pas supporter une vue aussi macabre.
Ce genre de choses pouvait arriver au cours d'une chasse, et chacun en était pleinement conscient ; bien que l'alchimiste avait certainement dû travailler à un comptoir ou dans une boutique avant de se lancer dans ce genre d'activité. Elle était sûrement trop fragile pour s'être déjà mise volontairement dans des situations dangereuses, et avait dû jusqu'à présent éviter les requêtes trop importantes.
Toutefois, même les autres chasseurs qui semblaient avoir plus d'expérience qu'elle avaient eu l'estomac retourné par cette vision. Même Géandre lui-même.
Pourtant, il avait déjà vu des corps écrasés, criblés de flèches, carbonisés. Il y en avait toujours, dès lors que le rang de menace d'un monstre dépassait des niveaux normaux : des villageois innocents pris pour cible, des chasseurs imprudents ayant sous-estimé leur proie, des soldats qui s'étaient retrouvés à court de mana ou encore des voyageurs ayant joué de malchance. Mais des corps démembrés et dévorés ? Même lui n'était pas habitué à ce genre de vision, et il déglutit avec difficulté.
Il était doué pour pister des créatures, et aussi pour en dresser ; ce qui lui permettait de savoir avec précision quel animal laissait quelle forme d'empreinte ou de dent. Il pouvait aussi identifier des monstres grâce à des poils ou des plumes laissées derrière eux, ou parfois par leur hurlement, quand il s'agissait de créatures n'ayant pas peur de donner leur position.
Néanmoins, le cas présent l'intriguait plus que tout, et il observait maintenant en détail un bout de jambe de femme trouvé à quelques mètres de là.
« Restez sur vos gardes, » ordonna-t-il tout en tournant et retournant la jambe livide et molle dans ses mains.
Il était sûr d'avoir suivi la piste du Béhémoth jusqu'ici, et les empreintes de pattes à griffes épaisses comme l'impact circulaire sur l'arbre prouvaient bien que c'était cette créature qui était venue jusqu'ici. Il suspectait que le groupe de chasseurs avait ensuite été surpris par un autre monstre, trop distraits par leur propre traque pour faire attention à leur environnement.
Cependant, les traces de dents en forme de scie et les deux sillons qui les flanquaient ne lui rappelaient aucun carnivore évoluant sur le Mont Larshen, et envahi d'une pensée perturbante, il serra la mâchoire.
« Qu'est-ce qu'on va faire ? » Demanda craintivement l'alchimiste. « Est-ce qu'on doit ramener… 'ça' avec nous ? »
« Il faut bien signaler la présence des corps, » argumenta l'épéiste. « mais s'ils sont trop nombreux on peut toujours prévenir l'armée qui enverra une patrouille sur place pour faire le ménage. »
Aux yeux de Géandre, les coups de dents qui avaient arraché la chair étaient profonds mais trop réguliers pour qu'il s'agisse uniquement de rangées de canines.
S'il en croyait ce qu'il voyait, ce n'était pas un animal mangeur de viande qui avait causé ces blessures.
« Est-ce que ça veut dire qu'on doit remettre à plus tard notre chasse ? » Demanda le chasseur équipé d'une armure lourde. « J'ai pas envie de devoir encore refaire tout ce chemin. »
« Moi non plus. Et je refuse que la récompense nous passe sous le nez à cause de ça, » ajouta l'épéiste.
Un énorme craquement de bois claqua dans la forêt, comme si un tronc venait d'être brisé net en deux, et leur parvint à travers l'étendue d'herbes hautes.
Valshesia leur fit immédiatement signe de se taire, un doigt posé sur sa bouche, quand soudain, un grognement rauque s'éleva depuis l'autre côté de la clairière.
« RUUUIIIIRGH. »
En face d'eux, une grosse silhouette se faufila lentement entre les arbres, en brisant dans des craquements sinistres des branches avec son corps poilu et en poussant des cailloux et du gravier avec ses pattes munies de quatre griffes ressemblant à des sabots. Elle se gonflait et se dégonflait en même temps que la créature de taille imposante respirait bruyamment puis inspirait en soufflant fort comme un bœuf.
Là où ses poils étaient suffisamment courts, aux épaules et aux hanches, les muscles anormalement gros du Béhémoth étaient parsemés de veines saillantes et palpitantes.
Du sang séché tâchait les longs poils de la créature, ses grandes cornes, mais aussi sa petite gueule, et Géandre eut un haut le cœur.
Les yeux violets et exorbités de la créature se fixèrent sur le groupe, et le sang du jeune dompteur de monstres ne fit qu'un tour.
« Il va charger ! » Cria-t-il.
Le groupe de chasseurs n'attendit pas de voir cette prédiction se réaliser, que déjà, ils se dispersaient pour se répartir dans toutes les directions. Le but était avant tout de ne plus former une cible compacte et unique, mais bien plusieurs petites cibles très mobiles que la créature aurait du mal à approcher.
L'alchimiste et l'expert en combat distant se mirent à l'abri près d'arbres au tronc bien épais et sous couvert du feuillage environnant, tandis que l'homme en armure lourde se mit volontairement en travers du chemin de la bête. Ce dernier entonna un chant, et trois cercles magiques apparurent puis disparurent rapidement devant lui, les uns après les autres.
Il venait de lancer un enchantement pour renforcer son équipement, ainsi que deux sorts de renforcement physique sur lui-même ; preuve de sa maîtrise impressionnante des arts de la défense.
Géandre et Valshesia partirent sur le côté droit, tandis que l'épéiste partit vers le côté gauche pour se rapprocher sans pour autant être à proximité immédiate des deux combattants à distance. Une fois la créature stoppée dans sa course par leur tank, une attaque en pinces par plusieurs côtés à la fois serait l'idéal.
Entendant les lourds pas du Béhémoth fouler le sol sans effort et avec violence, il se retourna brièvement pour savoir où il était, et vit la bête heurter de plein fouet le chasseur blindé.
Cependant, ce dernier ne put bloquer complètement l'impact, et l'inévitable arriva.
L'homme en armure lourde poussa un horrible hurlement de douleur, et se retrouva projeté comme une poupée de chiffon à plusieurs mètres de là ; roulant dans l'herbe avant de s'arrêter mollement pour ressembler à un tas de bois brisé jeté au sol.
Leur tank n'avait pas réussi à encaisser le choc, et était sûrement inconscient, si ce n'est pire.
Toutefois, le dresseur de monstres n'avait pas le temps de s'attarder à s'assurer que l'autre chasseur allait bien. Il y avait bien plus urgent, car à présent le Béhémoth, masse de muscles que rien ne pouvait arrêter, leur fonçait droit dessus, à lui et à Valshesia.
Il n'eut pas l'occasion de s'écarter de la lancière que déjà, la créature les avait rejoints avec une rapidité fulgurante et inhabituelle pour un monstre de son gabarit. Ses deux immenses cornes n'étaient plus très loin de les embrocher, et le jeune homme dût prendre une décision.
Géandre saisit une des plaques suspendues autour de son cou – une de couleur argentée et de forme ovale – et tout en la tenant en l'air, il cria un nom.
« Basquias ! »
Dans un flash de lumière, une forme apparut dans les airs. Au départ pas plus petite qu'un grain de blé, elle augmenta soudainement de volume en une fraction de seconde pour adopter une forme animale dotée de quatre pattes et d'une longue queue fine sur toute sa longueur et touffue sur son extrémité.
Encore une seconde, et la lumière se dissipa pour laisser place à un énorme tigre blanc donné d'une crinière volumineuse, d'un pelage très épais et à deux dents de sabre sortant de sa gueule et pointant vers le bas. Puis, l'animal ouvrit deux petits yeux jaunes, et avec ses grosses pattes musculaires, bondit vers le Béhémoth en rugissant pour lui asséner une morsure profonde au cou.
La grosse créature, soudainement attaquée, dévia sur le côté droit et s'enfonça dans un bosquet en détruisant tout sur son passage ; ses deux immenses cornes manquant d'embrocher les deux chasseurs.
Il n'avait pas prévu d'utiliser aussi rapidement une de ses invocations, et avait tout juste le temps d'appeler l'énorme tigre pour lui permettre de se sauver, lui et Valshesia.
« Géandre, qu'est-ce qu'on fait ?! » Cria un des autres chasseurs, l'épéiste.
Un hurlement félin retentit, et le dresseur de monstres sut que la créature qu'il venait d'invoquer continuait de se battre avec férocité contre l'étrange Béhémoth.
Non, cette situation était plus qu'inhabituelle. Le monstre semblait bien plus gros que prévu, en plus d'être totalement imprévisible. Le fait que la bête avait aussi sûrement attaqué les autres chasseurs et les avait dévorés n'était pas quelque chose que les Béhémoths faisaient. Ils vous piétinaient, vous projetaient contre les arbres ou la pierre pour vous broyer les os, ou vous embrochaient de leurs cornes ; mais même s'ils venaient par accident à vous mordre, ils ne vous dévoraient pas, tout simplement parce que les Béhémoths n'étaient pas carnivores. Leurs dents acérées servaient avant tout à arracher et à détruire l'écorce des arbres pour atteindre les insectes s'y cachant, tout comme à briser des branches pour atteindre des feuilles plus vertes en hauteur.
L'image des morceaux de corps semés dans les herbes lui revint en mémoire.
Dans la situation où ils se trouvaient, la créature semblait encore plus féroce et meurtrière que jamais. Cependant, Géandre sentait qu'ils pouvaient toujours tenter leur chance. Tous ensemble, ils devaient bien pouvoir abattre une créature de rang 20 ou 25, aussi il ne comptait pas faire une croix sur la récompense. S'ils se mettaient à l'attaquer pendant que le tigre blanc occupait le Béhémoth, ils pouvaient coincer ce dernier pour attaquer son cou laissé à découvert. Ensuite, ils pourraient-
Il sentit une main soudainement saisir avec fermeté son poignet gauche, et tournant la tête sur le côté, vit que Valshesia lui décochait un regard à la fois inquiet et sévère. Il n'eut pas besoin de mots, les yeux de la femme exprimant qu'elle cherchait à le ramener au moment présent pour qu'il agisse au lieu de réfléchir sans fin. Cela fonctionna, et le jeune homme reprit ses esprits après cette claque mentale.
Peut-être devait-il mettre son égo de côté, et privilégier la sécurité de tout le monde.
« Formation défensive ! » Hurla Géandre.
Au chapitre précédent et à celui-ci, j'ai énormément écrit. Plus que d'habitude! Ce qui signifie que je m'amuse comme une folle à écrire cet arc. Peut-être que la violence m'amuse? *frissons*
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