Les premiers rayons du soleil éclairaient la plaine de Saint-Roch. Une fine brume s'élevait du sol, enveloppant la vallée d'une atmosphère presque mystique. De part et d'autre du champ de bataille, deux armées se faisaient face, immobiles mais chargées de tension. Les bannières aux couleurs vives claquaient sous un vent froid, rappelant à chacun la cause pour laquelle il se battait.
Edwyn, monté sur son cheval noir, parcourait les rangs de ses troupes. Ses yeux, durs et perçants, allaient de soldat en soldat, cherchant à capturer dans leurs regards la détermination ou la peur. À ses côtés, Bastien, son fidèle capitaine, murmurait les derniers ajustements.
— Nos hommes sont prêts, monseigneur. Mais l'armée d'Eudes a pris position sur les hauteurs. Ils comptent sur leur avantage.
— Alors, nous les en délogerons, répondit Edwyn d'un ton tranchant.
Les deux frères, chacun dans son camp, contemplaient ces terres qu'ils revendiquaient comme leur droit.
Edwyn, debout devant son armée, brandit son épée vers le ciel. "Par le sang de mon père, je jure de protéger Vannes contre tous les traîtres, même si ce traître porte mon nom."
De l'autre côté, Eudes, dans l'ombre d'une forêt, prononça des mots similaires à ses alliés. "Cette guerre n'est pas celle de l'ambition, mais celle de la justice. Je ne laisserai pas un homme aveuglé par sa colère détruire ce que notre père a bâti."
Mais alors que les tambours de guerre résonnaient, une vérité devenait de plus en plus claire : aucun des deux ne pouvait gagner sans détruire ce qui leur était cher.
À l'horizon, l'armée d'Eudes s'étirait en une ligne imposante. Des cavaliers aux armures scintillantes montaient la garde, tandis que les fantassins serraient leurs armes, échangeant des prières à voix basse. Au centre, Eudes, vêtu d'une cape écarlate, dominait ses troupes avec l'assurance d'un homme convaincu de son triomphe.
Les tambours retentirent soudain, brisant le silence. Chaque battement résonnait comme le compte à rebours d'une tragédie inévitable. Edwyn leva son épée, et un cri de guerre s'éleva de ses lignes.
— Pour la Vannes !
L'armée se mit en marche.
Le premier choc fut brutal. Les flèches fusèrent dans le ciel, dessinant des arcs mortels avant de s'abattre sur les soldats d'Edwyn. Les boucliers se levèrent, mais beaucoup tombèrent avant d'avoir atteint la ligne ennemie. Le vacarme des flèches se mêlait aux cris de douleur et au fracas des armures.
Edwyn, au centre de l'avant-garde, menait ses hommes droit vers la ligne de défense d'Eudes. Lorsque les deux armées se percutèrent, le sol trembla sous l'impact. Les épées s'entrechoquèrent dans un concert métallique, et les hurlements de rage et de souffrance emplirent l'air.
Bastien combattait à quelques mètres d'Edwyn, sa hache fendant l'air avec une précision meurtrière. Mais pour chaque ennemi abattu, un autre surgissait. Le champ de bataille se transformait en un chaos indescriptible, où le sang éclaboussait indistinctement amis et ennemis.
Au centre, Edwyn cherchait désespérément Eudes. Leur confrontation était inévitable, une question de destinée. Il fendit les rangs adverses avec une férocité calculée, chaque coup rapprochant un peu plus les deux frères.
Eudes apparut finalement, son épée brillant sous la lumière pâle du matin. Leurs regards se croisèrent, et le temps sembla suspendu.
— Edwyn ! tonna Eudes, sa voix mêlant défi et colère. — Tu n'es qu'un traître, indigne de cette terre !
— Et toi, un homme aveuglé par sa soif de pouvoir !
Leur duel éclata avec une violence inouïe. Les coups pleuvaient, rapides et impitoyables. Chaque attaque semblait porter le poids de leurs années de rivalité. Autour d'eux, le combat continuait, mais pour les deux frères, le monde entier s'était réduit à cette lutte.
Finalement, Edwyn trouva une ouverture. Son épée transperça le flanc d'Eudes, qui tomba à genoux, son arme glissant de ses mains.
— Pardonne-moi, frère, murmura Edwyn en le regardant s'écrouler.
Eudes s'effondra, son visage figé dans une expression de défi éternel.
Le silence qui suivit la bataille était presque assourdissant. Là où quelques heures plus tôt se dressaient deux armées fières, il ne restait qu'un champ jonché de corps et de débris. Les survivants d'Edwyn se regroupaient, éteints, tandis que les blessés appelaient à l'aide.
Edwyn, immobile au centre du carnage, regardait les restes de l'armée de son frère. Le poids de la victoire pesait lourd sur ses épaules.
Bastien s'approcha, le visage grave.
— Monseigneur, la bataille est terminée. Nos pertes sont lourdes, mais la victoire est nôtre.
Edwyn acquiesça sans un mot. Ses yeux s'attardèrent sur le corps sans vie d'Eudes. Il s'agenouilla auprès de lui, plongeant dans des pensées qu'il ne partagea avec personne.
Au campement, installé à quelques lieues du champ de bataille, une atmosphère morne régnait. Les soldats victorieux ne célébraient pas ; la guerre leur avait pris bien plus qu'elle ne leur avait offert.
Dans sa tente, Edwyn contemplait une carte de la Bretagne, ses pensées tournées vers l'avenir. Bastien entra sans bruit.
— Monseigneur, les vassaux d'Eudes demandent audience. Ils souhaitent connaître votre décision.
— Faites-les venir.
Edwyn les reçut dans une salle improvisée. Les chefs ennemis, abattus, s'attendaient à un châtiment sévère. Mais Edwyn surprit tout le monde.
— Je ne veux pas régner sur des cendres, déclara-t-il. — Ralliez-vous à moi, et vous trouverez en moi un seigneur juste. Persistez dans la rébellion, et vous partagerez le sort d'Eudes.
La plupart acceptèrent cette offre, mais certains partirent dans l'exil, jurant de venger leur seigneur déchu.
De retour au château familial, Edwyn pénétra dans la salle du trône, désormais sienne. Le lieu, autrefois plein de vie, semblait froid et austère. Assis sur le siège qu'occupait jadis son père, il sentit le poids des responsabilités s'abattre sur lui.
Les nobles présents prêtèrent serment de fidélité, mais Edwyn savait que cette loyauté serait fragile. Il se leva et déclara d'une voix forte :
— Une bataille est gagnée. Mais la guerre pour reconstruire notre royaume ne fait que commencer.