Les portes de la grande salle de réunion circulaire s'ouvrirent dans un grincement sinistre, prolongé et plaintif. Puis, entrant dans la pièce d'un pas décidé, l'homme nommé Androanni s'arrêta en son centre, éclairé par des rayons de lumière provenant de plusieurs endroits du plafond en pierre lisse, et convergeant là où il s'était positionné.
Les portes furent refermées derrière lui par deux gardes, et il fixa à travers son masque lisse l'obscurité profonde qui faisait disparaître le fond de la pièce. Son masque qui paraissait opaque de l'extérieur possédait à l'intérieur une surface translucide lui permettant de tout voir sans obstruction, comme s'il avait toujours eu le visage découvert. Cependant, sa surface d'habitude plate et parfaite avait été perturbée par une grosse entaille sur son côté droit ; laissant passer air, lumière, et regards. Depuis ce dégât, il avait été pris de migraines récurrentes, et se doutait qu'elles devaient être liées aux dommages que cet autre homme avait causés ; aussi la lumière blanche intense qui atterrissait directement sur sa pupille bleue était des plus désagréables.
Toutefois, ce qui l'incommodait plus que la lumière et ses migraines était le fait que leur opération de récupération de matériaux avait échoué à cause de l'intervention militaire sur la salle d'enchères. Résultat, ils avaient perdu un de leurs fournisseurs réguliers, mais aussi l'occasion de s'emparer de nombreux individus à forte affinité pour le mana en une seule fois.
Il ne savait pas encore ce que son maître allait lui demander en le convoquant ainsi, mais il était à peu près sûr que cela allait porter sur la collecte de nouveaux matériaux pour pallier à la perte du stock en provenance d'Ylesse.
Le sol - lui aussi en pierre - de la pièce trembla très légèrement, les quelques graviers amenés par les bottes des membres du Cercle rebondissant et roulant à la surface des grandes dalles sombres. Puis, une autre secousse survint, agitant à nouveau la poussière et les petits cailloux partout autour d'Androanni. Et encore une autre, plus proche, fit résonner un bruit sourd et lourd dans toute la pièce.
Son maître approchait, dans toute son imposante carrure. Ses pas, terribles et inquiétants, annonçaient d'eux-mêmes sa présence ; si bien qu'il n'eut pas besoin d'entrer dans la lumière pour se montrer.
Le frisson intense que ressentit Androanni fut suffisant pour qu'il mette immédiatement un genou à terre et baisse la tête en signe de respect.
« Maître Varpalect, j'ai répondu à votre appel aussi vite que possible. » Déclara l'homme masqué.
Il entendit encore un, peut-être deux pas, et le silence et le vent envahirent la pièce.
« Tu me déçois, Androanni, » gronda alors depuis la zone d'ombre une voix aussi profonde que le tonnerre.
L'interpellé baissa encore plus la tête, en signe de repentance. Il ne trembla pas de peur, malgré le ton menaçant de la voix.
« À cause de ta négligence, nous avons perdu des matériaux de première importance, » continua calmement la voix pleine d'éclairs.
« Je vous ai déçu, maître, » confirma Androanni. « Mais si vous m'en laissez la possibilité, je réparerai ma faute, et dépasserai de très loin vos attentes. »
Un rire lent et grave retentit dans la pièce et heurta les murs arqués, renvoyant un écho déformé et saccadé qui pénétra le corps de l'homme masqué.
Il en était convaincu : son maître ne riait pas parce qu'il trouvait la situation drôle, ou pour détendre l'atmosphère. Il ne riait pas non plus parce qu'il se moquait de son subordonnée. En réalité, il riait parce qu'il se délectait de la déclaration qui venait de lui être faite.
« Je n'en doute pas un instant, » gronda à nouveau la grosse voix. « C'est pourquoi j'ai déjà trouvé ta prochaine cible. »
Aussitôt, les rayons de lumière jusqu'alors braqués sur Androanni bougèrent tous en même temps pour se redresser et se diriger contre le mur de gauche, et projetèrent alors une image contre la pierre.
« Oublie les lots que nous avons perdus à Ylesse, » dit son maître. « J'ai enfin trouvé le matériau ultime pour notre projet. »
Se relevant, Androanni de tourna alors vers l'image créée sur le mur, et l'observa avec attention.
La migraine qui jusqu'à présent s'était apaisée dans son crâne commença à se déchaîner au moment même où il posa les yeux sur l'étrange écran.
« Elle s'en enfin montrée, alors c'est ta priorité absolue, Androanni. C'est elle que je veux, et personne d'autre. » Ajouta son maître.
Non, ce n'était plus qu'un simple mal de tête. Androanni pouvait le sentir. C'était comme une lame qui lui transperçait le crâne, de part en part ; si bien que l'intense douleur lui fit empoigner ses cheveux sur le haut de sa tête, en même temps qu'il se pencha en avant.
Il entendit alors son maître claquer sa langue.
« J'ai presque failli oublier... » Déclara-t-il.
Une lueur enveloppa alors le masque qu'Androanni portait, et ce dernier vit le matériau se reconstituer devant son œil bleu pour reprendre sa forme initiale.
Plus de fissure… Et plus de douleur.
Apaisé, il se redressa ; relâchant sa poigne sur ses propres cheveux.
« N'oublie pas que si ce masque vient à être détruit, tout ce qui t'attends c'est la mort, » lui rappela son maître, sa voix sifflant comme mille serpents.
Il n'avait pas oublié, non, que son seul salut était son maître ; et que sans lui, il n'aurait jamais pu survivre aussi longtemps.
« Vous avez toute ma gratitude, maître. » Le remercia-t-il sans attendre.
« Tu sais donc que j'attends beaucoup de résultats de ta part, » insista son maître. « Alors tu sais aussi ce que cela implique, si jamais tu faillis à ta tâche. »
Les lourds bruits de pas retentirent à nouveau, signe que son maître prenait congé ; le laissant seul dans la pièce. Androanni sut qu'il s'éloignait de plus en plus de lui car l'intense sensation de froid qui avait envahi l'air un peu plus tôt était à présent en train de s'estomper, suivant le corps depuis lequel elle irradiait.
Le message était clair : soit il ramenait sa cible, soit il mourrait.
Androanni jeta un dernier regard à l'image projetée sur le mur de la grande salle de réunion, détaillant les traits de sa nouvelle cible : un Salamander en train de voler dans les airs.
La mission qui l'attendait allait se révéler ardue, d'autant plus que l'apparence du matériau ultime se précisait ; des dents acérées, des pics pointus, des écailles luisantes, et deux yeux couleur émeraude qui se démarquaient très nettement sur la peau couleur argent qui les sertissait.
Jusqu'à présent, son maître n'avait jamais insisté à ce point pour ramener une créature aussi imposante dans leur repaire. Capturer un dragon, mort ou vif, n'était pas non plus une moindre affaire.
Cependant, si c'était le seul et unique ingrédient qu'il leur fallait, se pouvait-il que son maître l'eut attendu tout ce temps ? Cela voulait-il dire que le possédait permettrait enfin d'accomplir sa volonté ?
Androanni regarda droit dans les yeux le sujet immobile ; l'image, prise depuis encore plus haut dans les airs. Qu'est-ce qui rendant ce dragon aussi particulier aux yeux de son maître ? Était-ce parce que les dragons étaient devenus rares, et qu'ils possédaient naturellement un grande affinité pour la magie ? Ou y avait-il une autre raison dont il ignorait tout pour l'instant ?
Peut-être que cette raison qui lui échappait était aussi à l'origine de cette violente douleur qu'il avait ressentie dans son crâne…
Dirigeant son attention vers le coin inférieur droit du cliché, il observa la carte étrangement précise du continent, et reconnut immédiatement l'endroit qui avait été désigné par un point jaune brillant pour indiquer l'endroit où l'image avait été prise : le Mont Larshen.
Sans perdre un instant, il sortit à son tour de la pièce.
Il en était convaincu. Plus vite il ramènerait ce matériau, et plus vite tout pourrait changer.
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