Kahn se concentra sur l'écriture et pris le morceau de bois que Sulk lui tendait.
Il se mit à imiter son ami, et son esprit repoussa peu à peu l'image de la fille aux yeux verts en profondeur, sans l'effacer.
Kahn pris assez vite le coup de main, après avoir appris à tenir correctement le bout de bois.
A la lueur du cristal, on pouvait observer sur la table un couche épaisse de poussière, striée de caractères.
Lorsque Sulk mit fin à la première leçon, Kahn avait appris à écrire toute sorte de combinaison de chiffres, ainsi que des mots importants comme 'mine', 'roche', mais aussi 'manger' et 'boire'.
Près d'un quart de la nuit s'était écoulé lorsque une fois la table nettoyée, les deux garçons se couchèrent en silence.
Les garçons ne s'en aperçurent pas, mais à l'autre bout de la salle, quelqu'un ne dormais pas.
Lingi réfléchissait.
Elle pensait à Sulk.
Sulk l'obsédait, il lui semblait le voir dès qu'elle fermait les yeux.
Elle repensa aux choses de l'amour, dont sa mère lui avait parlé. Elle tira sur la ficelle discrète qui lui entourait le cou.
Son seul ornement était ce collier invisible.
Elle le cachait durant la journée, et même Banna ignorait son existence.
De sous sa robe elle fit sortir le bout de la ficelle.
Un pendant l'ornait.
Il était identique en tout point à celui que portait Sulk.
Elle avait gravé des bijoux jumeaux. L'un était pour Sulk et l'autre pour elle.
Ce soir là elle se fit la promesse de n'aimer que Sulk. Elle jura de lui appartenir un jour, elle serait à lui et lui à elle.
Elle embrassa le jade tiède avant de le remettre bien en sécurité contre son cœur.
Cette nuit là elle fit des rêves doux dont elle ne voudrait jamais se réveiller.
De l'autre côté de la salle voûtée, Sulk se couchait en silence.
La natte de paille crissa légèrement sous son poids.
Il ignora le son de sa couche, ainsi que le ronflement occasionnel des autres mineurs.
Avant de fermer les yeux, il jeta un petit coup d'œil à Arega qui dormait paisiblement et avait l'air heureuse dans son sommeil.
Sulk se concentra progressivement, et isola ses sens.
Bientôt son ouïe fut parfaitement scellée, hermétiquement. Il fit de même avec ses autre sens, mis à part le toucher.
Une fois fermé du monde extérieur, Sulk étendit son esprit à l'intérieur de son corps. Il trouva son méridien, le vaisseau doré qu'il avait parcouru la veille.
Progressivement il imposa à son énergie, guidée par sa conscience, d'en faire le tour.
A chaque passage, le méridien semblait se renforcer, se solidifier. Le parcours de son énergie était comme un courant.
Plus elle tournait, plus elle était entraînée, continuant de tourner de plus belle.
Sulk se sentait bien, apaisé.
Il rétracta son esprit lentement, laissant son énergie tourner librement, puis se focalisa sur son espace mental.
Le visage de Yahzin l'y attendait, impassible. Sulk réfléchit un instant avant d'ouvrir la bouche.
"La réponse est non."
C'était Yahzin qui avait parlé, anticipant les mots de Sulk.
"Tu veux que j'aide ton ami le gamin muet.
- Il s'appelle Kahn.
- Oui je sais, mais je me fiche du nom de ce gamin insignifiant.
- Mais il a besoin de notre aide. Avec la Foudre de Silam, il pourrait devenir plus fort, se défendre.
- Et se mettre à dos tous les gardes de la mine ? Comme toi, il est à leur merci. C'est plus facile pour lui d'endurer en silence.
- Et le silence ? La Foudre pourrait le guérir et réparer sa langue ! Ne me dis pas que c'est impossible. Tu sais comme moi que ma colonne vertébrale était cassée. Même Arch le pensait. Et il m'a dit que c'était irréparable, et pourtant la Foudre m'a appris à la guérir. "
Yahzin souffla un court instant avant de répondre.
"Ecoute petit. J'ai passé peut-être des centaines de milliers d'années coincé dans un caillou. J'ai utilisé une magie bien plus puissante que moi pour échapper à la mort. Toute l'énergie que j'avais accumulé s'est dispersée lorsque je t'ai transmis la Foudre Éternelle. Mais je n'avais pas le choix car ma survie dépend de ta puissance et tu étais en danger.
- Et si moi je la transmettais à Kahn ?
- Hmpf. Vas-y. J'attends de voir la Foudre te prendre tout l'énergie dont elle à besoin. Imagine ton énergie comme le pendant de jade dans tes cheveux.
L'énergie qu'il faudrait à la Foudre pour être transmise serait de la taille d'une montagne. De la taille de toute la production de la mine pendant dix ans.
Si tu forces la Foudre, ton corps sera désintégré par la demande énergétique. Ton esprit sera totalement vidé, et ton âme se dispersera en un clin d'œil.
-...
- Aussi, les porteurs de la Foudre ont besoin d'un physique particulier. La foudre est un phénomène naturel dévastateur. Sa force destructrice est incomparable.
Il faut des années à un disciple du temple de Silam pour s'entraîner assez, physiquement et mentalement, avant que la possession de la Foudre ne lui soit enseignée.
- Et moi ? J'ai déjà un physique spécial ?
- Non. Mais tu m'as moi. On partage le même corps. Pendant des années j'étais un Patriarche du temple de Silam. A mon époque, peu de gens avaient un meilleur contrôle de la Foudre que moi. Même sans un corps à moi, avec seulement ma conscience, c'est un jeu d'enfant que de te protéger de l'intérieur de la Foudre Éternelle.
- Quand est-ce que je pourrai m'en servir pleinement ?
- Quand tu sera prêt. Pas avant. Ça viendra progressivement, mais ton entrainement sera compliqué."
Sulk écoutait attentivement la voix grave et imposante de Yahzin.
"Pourquoi ? A cause de la mine ?
- La foudre vient du ciel. Est-ce que tu vois du ciel, toi ? Bien sûr à cause de la mine idiot.
- Et comment faire alors, Yahzin ?
- C'est simple. Quitter la mine, et s'enfuir. Et seul. Personne ne doit savoir, ni pour moi ni pour la Foudre."
Le ton de Yahzin était solennel.
Il savait ce qu'allait répondre le garçon, mais il était nécessaire pour lui que Sulk quitte la mine.
"Jamais. Tu sais que je ne quitterai jamais ma mère."
Le garçon serra les poings. Il regardait le visage changeant fait d'éclairs argentés avec une détermination apparente.
"Très bien, mais un jour tu devras faire un choix si tu veux apprendre l'étendue du pouvoir de la Foudre Éternelle, qui est parmi les formes les plus pures et puissantes des magies originelles. Ce pouvoir qui a fait pâlir les plus forts guerriers Anciens pendant la grande guerre. Du moins au début..."
Sulk resta silencieux un instant.
Il se méfiait de Yahzin et des paroles manipulatrices qu'il pourrait utiliser pour l'influencer. Mais l'air qu'avait le visage au cœur du nuage noir semblait convaincu, et avec une certaine réminiscence dans le regard.
"Les Anciens ... Qui sont-ils ?
- Le peuple étranger qui a déclenché la guerre. Ils sont arrivés dans notre monde il y a près de dix mille ans avant mon emprisonnement. Ils ont corrompu la Voie en réduisant ton peuple, les tierrans, en esclavage. Ce sont ceux que malheureusement vous appelez ... dieux.
- Les dieux existent vraiment ?!"
La sphère noire gronda et se remplit d'éclairs rugissant pendant un court instant.
Le visage de Yahzin disparut sous la lumière éblouissante des milliers d'éclairs.
Le vacarme était assourdissant mais se calma presque aussi rapidement qu'il était arrivé.
"Les Anciens. Ce ne sont pas des dieux, loin de là. Ils sont comparables à des démons, adeptes de magie viciée, à l'encontre de la nature originelle.
- Et la Foudre Éternelle peut vaincre ces di.. Anciens ?
- Oh oui. Et elle l'aurait fait si nous avions été plus nombreux... Nous les aurions vaincus et forcés à repartir."
Un sourire se dessina sur le visage argenté, à mi chemin entre un sourire barbare et un sourire triste. Il fit froid dans le dos de Sulk.
Yahzin reprit.
"Mais elle peut les vaincre seulement si elle est travaillée en dehors de la mine."
Sur ces mots, le visage de Yahzin se dispersa, en une nuée d'éclairs brillant dans toutes les directions. Sulk resta pensif un long moment, seul.