Une fois le bruit de la porte refermée, Sulk s'assit en tailleur.
Après la visite de Mujin et Arch, il était enfin seul de nouveau.
A moins que le Roi de la mine ne revienne durant le mois, il allait passer les trente journées suivantes dans la solitude.
Se plongeant dans son esprit, il se tourna vers la sphère noire qui était silencieuse.
Heureusement il n'était pas vraiment seul. Yahzin était avec lui.
Depuis ses premiers souvenirs, Sulk n'avait pas été vraiment seul dans sa vie.
Sa mère, Arega, avait toujours été présente.
Ce qui se rapprochait le plus de la solitude avait été lors de ses dix ans quand il avait commencé à travailler pour soulager la pression qui reposait sur les épaules de sa mère.
Il avait alors pour la première fois quitté le confort de la salle basse du quartier d'habitation de sa branche de la mine.
Il avait vu la mine et les profondeurs, qui lui avaient paru immenses et terrifiantes au début.
Peu à peu il s'était fait au silence et à la pression invisible qu'il semblait régner au fond des tunnels du dernier niveau.
Les visages émaciés des mineurs au travail lui avaient paru plus vivants et il avait appris à endurer le rythme du travail.
Puis était venu Yahzin, entré par magie dans son esprit.
Depuis ce moment ses nuits avaient été plus mouvementées et ses journées moins monotones.
Il avait ensuite rencontré Kahn, et enfin avait renoué contact avec Lingi, son amie d'enfance dont il s'était plus ou moins éloigné en allant travailler.
Sulk souffla un grand coup. Peut-être que depuis qu'il s'était fait des amis, la solitude l'affecterait encore plus.
Par habitude Sulk balaya son corps avec son esprit.
Son sixième sens qui était une projection de son esprit en dehors de la sphère de sa conscience lui permettait de ressentir chaque particule de son corps, chaque coin de sa peau, ainsi que le monde extérieur, mais moins précisément.
Cette fois-ci lorsqu'il observa brièvement son environnement, Sulk fut surpris de découvrir un petit rouleau coincé dans l'arrière de son pagne, sous la ceinture.
Un tour rapide dans sa mémoire lui apprit d'où venait l'objet que son esprit venait de trouver.
Lors de sa dernière accolade, Arch l'avait en effet serré contre lui, et sa main tremblante lui avait glissé quelque chose sous la ceinture.
Le contact avec le vieil homme, ainsi que les sentiments de ce dernier, couplé avec sa vue troublée de larmes avait retenu l'esprit du garçon, qui n'avait pas fait attention.
En déroulant le morceau de parchemin, Sulk se mit à sourire tout seul dans sa cellule.
L'écriture fine et saccadée du vieux mineur barrait un morceau de parchemin légèrement jauni, qui devait avoir près de dix fois l'âge de Arch au moins.
Sur ce message pouvait se voir un dessin que Sulk reconnut immédiatement.
C'était un plan de la mine, vue en coupe, comme si quelqu'un avait fendu la terre pour dessiner les tunnels sinueux de la mine sur la surface jaunie.
Comme indiquée par les quelques lignes de Arch, un point d'encre fraîche indiquait l'endroit ou se trouvait Sulk.
Comme Sulk l'avait deviné, le couloir qui le séparait du tronc de la mine était perdu au milieu de la cavité centrale.
Depuis toutes les années que Sulk avait vécu dans la mine, il n'avait jamais pu monter plus haut que le premier niveau de la mine, où la plateforme était descendue afin d'être chargée.
Sulk avait souvent levé les yeux vers la surface lorsqu'il était sur la lourde plateforme carrée de bois.
En fait à chaque fois qu'il avait vidé son sac à dos de la poussière et des débris qu'il contenait, il avait levé les yeux, espérant apercevoir ce qui se trouvait au dessus de la mine du Nord de Kvara.
Mais le puits dans lequel le monte charge descendait était toujours obscur et sombre, et même avec sa vue améliorée lors des mois récents il n'avait pas pu apercevoir le haut du puits.
Il comprit maintenant pourquoi.
Sur le plan fourni par Arch se trouvait l'ensemble de la mine avec ses cinq niveaux, le cinquième ayant été rajouté récemment vu la qualité de l'encre.
Plus Sulk remontait ses yeux sur le papier, plus il voyait que l'encre devenait vieille.
Il était évident que chaque vanir, avec sa connaissance poussée de la roche, avait à travers les âges complété le plan de la mine. Lorsque son regard passa le premier niveau, les yeux de Sulk s'écarquillèrent légèrement.
Il voyait devant lui sur ce papier l'étendue du puits que traversait la plateforme à chaque montée et descente.
Si chaque niveau de la mine avait paru imposant à Sulk auparavant, ils lui paraissaient désormais bien plus petits.
Le col surplombant le tronc central de la mine était plus grand que cinq fois l'ensemble de ce qu'il avait vu de la mine !
Plusieurs fois au cours des années Sulk avait observé le trou semblant sans fond qui était le gouffre central de la mine.
Sur les parois il avait vu un grand nombre d'échelles, et à vrai dire il avait eu peur d'utiliser ces échelles avant qu'il n'en fut obligé pour gagner du temps en travaillant.
Il les voyait parfaitement dans sa mémoire, chaque échelle faisait près de six fois sa taille, et seulement pour aller d'un niveau à un autre.
Après un rapide calcul, Sulk compta que la partie de la mine qu'il avait arpenté faisait près de trente fois sa taille.
Et maintenant il comprenait que toute la mine se trouvait non pas sous la surface mais bien à plus de cent cinquante fois sa taille de la surface.
Après avoir évalué la distance le séparant de la surface, la tête de Sulk se mit à tourner.
Une sensation oppressante tenta de s'emparer de lui, mais son esprit la repoussa assez vite.
Le plafond de roche semblait si proche, et si épais, lorsqu'il pensait au poids de toute la pierre qu'il avait sur la tête.
Sulk regarda encore une fois le parchemin avant de le plier soigneusement et de le poser avec le reste de ses bien sur le sol.
Le point d'encre noir sur le plan indiquait précisément une galerie, l'unique se trouvant à peu près à mi-chemin entre la mine et la surface.
Il était coincé dans une cellule à priori inviolable, située loin de la surface, et loin des autres mineurs et de ses amis.
En cet instant précis, toutes les idées que Sulk avait eu en considérant s'échapper partirent en fumée, comme dissipée par une brise froide faisant des frissons dans le dos.
Alors qu'il fermait les yeux, toujours assis en tailleurs, son esprit se mit à parler à Yahzin.