Dans un luxueux et calme bureau se trouvait un jeune homme. Ses habits étaient nobles, ornés de quelques apparats ici et là, bien qu'ils paraissent pauvres en comparaison à ce que l'on pourrait imaginer d'une tenu porté par un individu de sang bleu. Il était assis face à un bureau, lisant l'un des nombreux documents y étant entreposés. Son expression était calme, mais ce n'était qu'une façade. Il regarda l'assistante qui était à ses côtés, espérant avoir mal lu ce qu'il tenait en main prise de léger spams.
" Avons-nous encore perdu du terrain ?'"
" Oui maître. J'en suis navrée. "
Répondit la sublime femme en se penchant légèrement. Ses longs cheveux bruns dissimulaient les restes limés et maquiller de ce qui était la corne noire d'un démon. Toutefois, ses vêtements ne pouvaient totalement masquer la peau d'un noir abyssale présente sur une infime partie de ses jambes.
Le noble garda une stature stoïque, conforme à son rang. Il n'avait cependant qu'une envie, jeter toute la paperasse accumulée sur son bureau dans un accès de colère.
[ Depuis le début de cette invasion nous ne faisons que perdre encore et encore ! Le moral est au plus bas, mes troupes sont presque anéanti, et même mon domaine sera bientôt entièrement sous leur joug…pourquoi ce damné de roi n'arrive pas à les repousser ! ]
Il ne détestait pas foncièrement l'homme qu'il servait. Toutefois, le fait que celui-ci ait tardé à ne serait-ce qu'à songé aider son petit fief l'avait fortement agacé. L'aide apportée ayant été inutile fut la cerise sur le gâteau, le faisant même douter de sa loyauté déjà faiblie envers celui qu'il pensait tout-puissant. De plus…
[ Et bien, j'imagine qu'il a déjà remarqué mes plans, où se méfie de moi. L'argent ne pouvait pas le tenir à l'écart pour toujours…]
Le processus de penser du jeune homme se stoppa l'espace d'un instant, le laissant se recentrer sur ce qui comptait réellement.
[ La défaite est inenvisageable. Ils seront bientôt aux portes de Skystead et les tuerons tous…Je ne pourrai jamais réaliser notre rêve. Il est hors de question de baisser les bras maintenant.]
Il regarda par l'une des fenêtres qu'arborait la pièce ses soldats. Parmi eux, l'écrasante majorité était constituée de semi-humains possédant divers attributs animaux. Il y avait également une unique soubrette nettoyant la cour de sa propriété. Elle possédait des caractéristiques similaires à son assistante, qu'il se mit à fixer. Son regard était devenu plus doux. Toutefois, il n'eut pas le temps de réfléchir plus longtemps.
" Veuillez me pardonner monsieur le comte ! Sergent Raftir au rapport. Nos soldats viennent de remarquer du mouvement dans la forêt des calamités ! "
" Parler, que se passe-t-il ? "
[ Comme si j'avais besoin d'un autre problème.]
Déclara le jeune comte, se tournant vers le messager peinant à reprendre son souffle. Celui-ci avait aperçu l'assistante, ne parvenant que de peu à réprimer un regard empli de mépris et de dégoût.
" Bien. Les Golems de fer y habitant ont commencé à bouger. Les démons comptent profiter de la confusion de la guerre pour attaquer !"
L'assistante tressaillit à peine perceptiblement, la confusion teintant son visage.
" Ils se préparent à attaquer ? Combien sont-ils ? Je veux un rapport détaillé de leur force."
Répondit le comte, son expression changeant imperceptiblement. Il était à cran et manquait déjà clairement de temps pour contrer l'invasion de l'empire du phénix rouge, alors devoir réagir à une autre menace sonnait comme le glas de la fin à ses oreilles. La situation ne semblait que pouvoir empirer. Du moins, c'était avant que le messager ne lui réponde, devenant plus hésitant.
" Aucune force de combat n'a été vue, mais ils…ils construisent des bâtiments à une vitesse effrayante ! Ils y auraient même le début d'un rempart autour des ruines. Et quelques-uns d'entre eux s'enfonceraient même dans la forêt."
L'expression du noble sombra dans la confusion. Il se frotta le menton un instant, faisant signe au subordonné.
" Vous pouvez disposer. Dites aux gardes de ne laisser personne entrer un certain temps."
" Oui."
Celui-ci s'exécuta immédiatement, quittant la pièce aussi vite qu'il était venu.
" Sierra, as-tu une idée de leur mouvement ?"
Demanda le compte en retournant s'asseoir, esquissant rapidement une petite carte de la forêt où se trouvaient les androïdes. Il y ajouta un petit point, sans doute leur emplacement, avant d'en dessiner un autre plus éloigné au Sud-est. Sa ville. Dans le court espace les séparant se trouvait une ligne, symbolisant l'avancée les troupes qu'il affrontait via de petites flèches. Toutes semblaient se rapprocher de son emplacement. Si le seigneur de la province tombait, toutes ses troupes sombreraient dans le chaos le temps que le roi puisse en prendre possession. Or, ces armées seraient anéanties ou auraient déserté bien avant de retrouver un semblant de commandement.
Un sceau s'activa sur la poitrine à peine découverte de son assistante. Il était identique à celui qui parut sur la main gauche du compte.
" Je suis désolé maître Théodore… depuis qu'ils ont perdu la guerre aux côtés de mes grands-parents ils auraient dû faire profil bas, comme les miens."
Elle marqua un temps d'arrêt, réfléchissant sérieusement à ses prochains mots tout en étudiant chaque conséquence que pourrait engendrer l'activité des androïdes.
" Le fait qu'il y ait du mouvement indique qu'un événement important s'est produit, mais ça ne viendrait certainement pas de mes semblables. Je pense que les attaquer serait imprudent. Mais s'ils dressent une armée pour nous affronter et qu'on ne réagit pas…je ne sais pas si on pourra tenir…"
Une demi-démone. Voilà ce qu'était Sierra. Les démons étaient systématiquement traqués et tués en raison de leur race, les demi-démons n'y faisant pas exception. Elle ne devait sa survie qu'à un seul homme, Théodore. Il avait fait d'elle une esclave au lieu de l'exécuter sur-le-champ, prétextant vouloir "s'amuser" avec elle. Le sceau sur sa poitrine était bien plus qu'une marque. C'était une appartenance, l'assurance qu'elle ne mentirait ou ne se soulèverait contre son maître. Bien que jamais cette idée ne lui ait traversé l'esprit. En échange, elle lui avait conté ce qu'elle savait sur le monde d'avant. Et bien que Théodore n'y croyait pas en sa totalité, refusant de voir les dieux comme des malfaiteurs, il était indéniable que le monde n'était pas aussi blanc et noir qu'il le pensait autrefois. Il avait une confiance absolue en elle, ainsi que ses semblables, faisant de lui une exception, une anomalie.
" C'est vrai. Et quand bien même, je n'ai pas suffisamment de soldats pour lancer une frappe préventive. Nous sommes coincés…"
La voix de Théodore était empreinte de sa réflexion. Il avait quelque peu abandonné sa posture noble, sachant que personne ne pourrait entrer le temps de cette discussion.
[ Nous avons besoin de plus d'hommes ou nous serons anéantis par l'une des deux factions. Au diable tous les autres, il est hors de question qu'ils touchent à Sierra. ]
[ Il faut trouver quelque chose pour arrêter le phénix rouge. S'ils viennent ici, ils exécuteront sur-le-champ Théodore à cause de moi ! ]
Avaient pensé les deux. À aucun moment ils n'avaient pensé à leur propre destin en cas d'occupation ennemis, se focalisant sur celui de l'autre personne dans la pièce. De plus, la possibilité d'une occupation par les synthétiques était négligeable. Le vrai problème était l'empire du phénix rouge.
Même le peuple n'était pas la priorité de Théodore. Il aimait son peuple, il l'estimait. Et c'est justement pour ça qu'il n'y pensait pas. Il savait que le peuple trouverait un moyen de s'en sortir. Après tout, même les rois étaient de simples roturiers avant d'accéder au pouvoir. La personne présente devant lui, cependant, n'aurait aucun endroit où se réfugier si jamais ils venaient à tout perdre. De même, un noble ne pouvait facilement abandonner ses terres et espérer un jour mener une vie confortable. Il perdrait l'estime de ses sujets, et même celles de ses semblables, devenant un lâche méprisé de tous. Du moins, c'était en envisageant que Théodore abandonne les terres auxquelles il était tant attaché pour vivre tel un paria, ou pire, un simple brigand.
La défaite n'était pas une possibilité.
[ On doit gagner, qu'importe comment. ]
Pensèrent-ils à l'unisson, avant que l'inimaginable ne traverse leurs esprits.
" Ordonne aux gardes de préparer une petite délégation, je prépare mes affaires."
Le visage de Sierra se teinta de surprise. Elle s'apprêtait à soumettre la même idée.
" Oui ! "
La délégation sortant du château était petite, dépourvue de luxe. Ils devaient se déplacer au travers d'une ligne de front, arboré fièrement leur couleur serait un acte de suicide. En revanche, le passage d'un riche bourgeois ne poserait pas le moindre souci, même au plus fanatique des soldats.
* * *
" j'aurai besoin d'une planche ici ! "
" On peut me passer le chalumeau ? Il faudrait souder un peu par là !"
" Attention la charpente est instable, il manque une calle ! "
Ce genre d'exclamation retentissait de toute part proche de ce qui était autrefois la ruine d'un hangar. De petites maisons à peine plus grandes que les minuscules entrepôts bordant le hangar avaient été construites dans un plan ordonné, redonnant vie à la ruine. Les bâtiments, bien que petits, arboraient généralement deux étages, ainsi qu'une esthétique moderne. Pourtant, celle-ci était mixée à une architecture médiévale en raison des moyens rudimentaires utilisés pour la construction, donnant un charme atypique à l'endroit en perpétuelle construction. L'endroit semblait même animer, tous les synthétiques valides ayant été réactivés.
Au milieu de tout cela se trouvait Mélissa, ne pouvant d'écrire ce qu'elle ressentait en voyant la bonne humeur recouvrir ce qui s'apparentait de plus en plus à un hameau qu'une ruine. À côté d'elle, Reiner et Alice discutaient de quoi faire des dernières unités en veille dans le hangar, des sentinelles. Non loin d'eux, Salvatoris organisait ses morts-vivants, créant à la manière de la liche ayant élu domicile à proximité, un véritable système de patrouille réalisé par ses pantins. Tout cela était dans le but d'économiser la batterie des sentinelles en activité, dont la majorité était en attente à ses côtés, en veille. Il se trouvait à proximité de l'esquisse d'une muraille s'arrêtant non loin de l'orée de la forêt, proche de quelques souches d'arbre ayant été abattu.
" Ça commence de plus en plus à prendre forme. Ça fait à peine plus d'une semaine pourtant. "
Murmura Alice, joviale. Elle ne pouvait s'empêcher d'être joyeuse en voyant l'ambiance générale du petit hameau. Ce moment paisible, cette atmosphère, tous ces gens. C'était si agréable après avoir vécu l'enfer. Cependant, elle ne put s'empêcher de jeter un léger regard à dix tombes disposées à quelques mètres d'eux. Chacune se voyait gravée d'une inscription différente.
{ Jeffe }
{ Davis }
{ Clovis Yark }
{ Léo Gersinde }
{ Shin }
{ Térésa }
{ Ray }
{ Emilie }
{ Royden }
{ Lina }
" C'est grâce à tout le monde. Si on n'avait eu aucun professionnel, on n'aurait rien pu faire. "
Répondit Reiner, jouant avec la hache grossièrement réalisée dans ses mains tout en observant également les quelques tombes. Son expression était effondrée, la peine teintant son visage était à peine dissimuler par un sourire. La simple vu de ces tombes lui était affreusement douloureux, au point où il ne faisait pas attention à la hache faite de quelques morceaux de ferraille soudés ensemble dans ses mains. Elle était plus que rustique et primitive, mais c'était amplement suffisant pour un début. De plus, les outils que maniaient ceux qui s'afféraient au travail avaient depuis bien longtemps été troqués pour des ustensiles de meilleure qualité, en acier, réalisés grâce à ce genre d'outils de récupération.
Un homme sortit de la forge travaillant du minerai non loin d'eux. Le bâtiment dont le style faisait écho aux diverses installations ayant été construites autour des maisons. La chaleur qui s'échappait des fours en perpétuelle activité réchauffait les alentours en proie à la saison hivernale, contribuant à donner au hameau son apparence animée.
" Reiner, cette fois-ci le hangar est vraiment presque à court d'acier, et on a fini de récupérer ce qu'on pouvait des débris. On va vraiment se retrouver coincé avec des stocks de riftine impossible à travailler. "
Déclara l'homme en s'approchant. Il n'avait pas encore lâché le marteau qu'il empoignait fermement. Son apparence ainsi que son armure décrépit avaient presque entièrement été réparées avec de l'acier, le faisant dénoter des autres dont seul quelques parties avaient été modifié de la sorte.
" Merde… Ça pouvait pas durer éternellement. Et pour ceux qu'on a envoyé chercher dans la forêt ? Ils ne t'ont rien dit ? "
Fulmina Reiner, réfléchissant à quoi faire. Cependant, avant qu'il ne puisse recevoir une réponse, les sentinelles désactivées reprirent conscience. Elles formulaient la même phrase d'une voix commune et grésillante.
" Intrus détecté. Intrus détecté, interception. "
Tous ceux ayant entendu leur avertissement se dressèrent. Les androïdes empoignèrent fermement les armes dont aucun ne se séparait, y compris Reiner et Alice, dont le fusil ne quittait jamais leur dos. Seul Salvatoris n'avait gardé que son glaive, ne se sentant pas alaise avec une arme à feu. Chacun des fusils étaient vieux, semblant s'effriter au toucher tant ils avaient été utilisés en plus de leur ancienneté. Cependant, ils semblaient toujours parfaitement fonctionnels, près à rivaliser tout type de magie.
Les sentinelles, étroitement suivies par tous ceux ayant saisi leur arme se précipitèrent dans un coin de la forêt ou un petit sentier rejoignait une route, se stoppant d'une acclamation commune.
" Intrus, veuillez évacuer ce lieu. "
Devant eux se trouvaient une petite délégation d'apparence bourgeoise. Du petit carrosse, un jeune homme ainsi que ce qui s'apparentait à son assistante en sortirent. Devant eux, le cocher était terrifié, se retenant de fuir en fixant les quelques soldats semi-humains équipés d'une armure complète. Les tremblements étaient visibles sur leur corps, ainsi que la marque de l'incompréhension de la langue depuis longtemps oubliée qu'utilisaient les sentinelles.
" Premier avertissement. Deuxième avertissement. Troisième avertissement."
Dirent les robots à une vitesse ne pouvant laisser à aucun être vivant le temps de réagir. Toutefois, quand les androïdes se montrèrent derrière elles, arme braquée sur les humains, le visage de la démone s'éclaircit, la poussant à parler d'une voix incertaine.
" Nous…pas maichents. Ammy. Naigossier."
Sa prononciation était tout aussi incertaine que sa voix. Toutefois, une parole retentit avant de lui répondre parfaitement dans sa langue, surprenant tout autant les humains que l'avaient été les androïdes en entendant l'assistante parlée dans leur langue.
" Intrus autorisé."
À cette simple commande, les sentinelles baissèrent leurs armes.
" Que faîtes vous ici ? Vous n'avez pas l'air surpris de nous trouver. "
C'était Reiner, s'avançant au côté d'Alice, Mélissa, et de Salvatoris afin d'arriver face à ceux ayant fait apparition devant eux. Leurs armes étaient toujours dans leurs mains, mais n'étaient pas braquées sur les humains. Cependant, les morts-vivants ainsi que les androïdes se préparant au combat derrière eux signifiaient clairement que leur amicalité n'était pas inconditionnelle.
" Baissez vos armes."
Demanda le jeune homme d'apparence noble, Théodore. À son ordre, ses soldats rangèrent leurs lances, restant cependant près à un affrontement pouvant se déclarer à tout moment. Mais alors que Théodore allait répondre à la question de Reiner, le coin de ses yeux se fixèrent sur Sierra, tremblante. Ce n'était pas normal, pas après avoir pris contact avec les androïdes.
[ Cette aura…Un démon ? Non…impossible, c'est bien plus fort que ça. Serait-ce le nécromancien à ses côtés ? Mais pourquoi sa magie serait différente de celle qu'il donne à ses autres pantins ? ]
Son esprit tournait à plein régime. C'était un genre de magie qu'elle n'avait jamais vu, si puissante qu'elle en était terrifiante.
[ Cet homme doit être la raison de ces changements. On dirait leur chef, mais pourquoi un humain…]
Déduisit Théodore en observant tour à tour Reiner et la réaction de Sierra, le poussant à déclarer ses intentions sans retenue.
" Je suis ici pour changer le cours d'une guerre."