Le rythme des pas du duo était rapide et soutenu, mais pourtant incroyablement silencieux en dépit du décor sylvestre dans lequel ils évoluaient. Seule l'odeur de la décomposition émanant des pantins de Salvatoris pouvait trahir leur position. Cependant, cette odeur avait plutôt pour effet de dissuader les monstres de s'approcher, préférant à la place des proies n'étant pas déjà morte depuis bien longtemps dont les forêts regorgeaient.
Grâce à cela, Alice et Salvatoris sortirent rapidement des bois dans lesquels ils s'étaient enfoncés, traversant tout aussi rapidement la petite plaine les séparant du village où avait toujours résidé Salvatoris. Le village où se trouvait sa mère blessée qu'il avait laissée sans même un mot.
Le décor environnant était pittoresque, quelques champs auraient pu être installés dans ces plaines, mais sa proximité avec les monstres avait rendu cela impossible, créant cette sorte de délimitation où tout humain ou monstre s'y aventurant pouvait être vu d'aussi loin qu'on pouvait l'imaginer.
La culpabilité semblait ronger Salvatoris alors qu'il s'approchait plus doucement de l'entrée de son village. Comment pouvait-il avoir oublié sa seule famille dans cette situation ? Sa mère avait été blessée alors que l'armée de l'empire du phénix rouge, la nation frontalière au royaume de Drack, avait ravagé leur village en emportant les jeunes femmes. Et lui, il était parti sans même penser à sa mère, obnubilée par Alice et les connaissances qu'elle contenait. C'est incompréhensible, impardonnable.
Comme si Alice semblait pouvoir lire dans ses pensées, elle lui adressa la parole alors qu'ils arrivaient au seuil de l'entrée du petit village médiéval. Les traces de sang bordant les maisons faites de pierre et de bois partis en fumée lors de la bataille semblaient avoir été nettoyées, mais les rues n'avaient pas récupéré leurs activités habituelles. Seuls les échos lointains du passé semblaient s'y refléter dans les yeux de Salvatoris. Celui d'un petit village empli de vie. Le drapeau du phénix rouge continuait de toner au sommet du village, accentuant d'autant plus la douleur de Salvatorirs.
"Ça va aller, vous êtes une famille non ? Je suis sûre que tout ira bien."
Elle ne savait rien de ce qu'avait fait Salvatoris, cependant, elle pouvait lire dans ses expressions comme dans un livre ouvert. Une expression emplie de regret, et de haine de soi. Salvatoris avait l'impression d'avoir déjà entendu cette phrase, comme si Alice lui avait déjà dit par le passé. Toutefois, ils se firent interrompre par un homme les apostrophant. Il portait un vieux gambaison surmonter d'une armure incomplète et dépareillée. Son torse était composé d'une armure en cuir bouillie, alors que ses guêtres étaient faites d'acier, là ou rien d'autre ne protégeait ses bras tenant fermement une lance, signe qu'il était un milicien défendant ce petit hameau isolé.
" Halte. Les étrangers ne sont plus autorisés à rester ici, nous n'avons pas assez de vivre pour vous. Et gardez vos morts-vivants éloignés d'ici. "
Sa voix était froide, ne comportant aucune gentillesse ou empathie, mais sa position comportait la droiture d'un militaire persuadé de faire ce qui était juste.
" Je suis Salvatoris, le fils d'Hildaya ! J'ai été absent quelque temps... "
Le garde scruta alors la figure du jeune homme enroulé d'une tunique rapiécé par endroit, ses yeux s'écarquillant légèrement alors qu'il le regardait réellement pour la première fois depuis le début de la conversation.
" On te pensait mort ?! Le chef nous a dit que tu étais parti en direction du territoire des golems de fer et de la liche à peine après être revenu. Que c'est-il passé pour qu- "
L'homme stoppa soudainement sa phrase. Son regard était désormais braqué sur la jeune femme l'accompagnant. Maintenant qu'il y pensait, personne ne pouvait avoir de cheveux roses, alors qui était elle ? Il pensa d'abord à une héroïne invoqué d'un autre monde, car bien que ce phénomène soit rare, certains héros se voyait paré de ce genre de couleur de cheveux. Cependant, il effaça rapidement cette hypothèse de son esprit quand il vit sa peau vieillie, clairement non-naturelle, ainsi qu'une chose métallique transperçant ses habilles encore maladroitement fixée. Cette femme n'était pas humaine, non, c'était...
Hurla l'homme, braquant instantanément sa lance en direction d'Alice. Il se prépara presque immédiatement à provoquer une poussée en direction d'Alice, espérant la transpercer. Toutefois, le cri de Salvatoris le fit ralentir, une multitude de questions passant dans sa tête.
" Arrêtez, elle n'est pas méchante ! C'est mon amie ! Ils sont comme nous !"
" Ton amie ?! Elle tue les nôtres depuis des générations ! Ce ne sont que des monstres qui auraient dû sombrer avec l'ancien empire ! Ce ne sont que des suppôts démoniaques ! "
" Tu fraternises avec eux. Tu es avec les démons ! Voilà pourquoi tu dis ça ! Le chef n'aurait jamais dû faire confiance à un homme béni par le dieu des morts ! "
Beugla frénétiquement le milicien, attaquant Alice sans le moindre remord alors que la terreur se lisait dans ses yeux. Après tout, il avait raison, les deux camps n'avaient fait que s'entre-tuer depuis leur création. Attendre d'une personne saine d'esprit qu'elle écoute un nécromancien, les mages ayant la pire réputation imaginable tout en étant les plus proches des démons, et accepte que cette guerre permanente était simplement un malentendu ou je ne sais quoi, relevait purement de l'idéalisme.
Voyant l'attaque hostile arrivée, Alice recula légèrement sa jambe droite, esquivant avec un timing exquis la lance la visant. Elle saisit ensuite le bras du pauvre homme ayant eu la folie de l'attaquer, le soulevant littéralement tout en tordant son bras dans un sens n'étant clairement pas naturel, alors qu'elle le rejetait avec force sur le sol. Le craquement horrifiant provenant du bras du Milicien fit mal à tous ceux l'ayant entendu, et son cri le suivant de près ne fit que renforcer cette impression. Une partie de son os sortait du bras du garde, cloué au sol alors qu'il hurlait en essayant difficilement de se relever.
Sa résilience était tout bonnement impressionnante, lui permettant de se tenir à nouveau devant Alice et Salvatoris. Son dos était arqué, ses jambes tremblaient, mais sa volonté semblait inflexible alors qu'il hurlait si fort que tout le village pouvait l'entendre.
" Je ne vous laisserais pas détruire le peu qu'ils nous restent démon ! Je protégerais nos familles ! "
Ce milicien semblait presque éblouissant. Il était parfaitement digne d'être qualifié de protagoniste de roman alors qu'il saisissait de son bras gauche sa lance, attaquant une nouvelle fois Alice dans l'espoir de pouvoir gagner suffisamment de temps pour que d'autres miliciens puissent venir ici à leur tour, et faire évacuer les civiles derrière lui. Si Alice avait été un monstre, le monstre qu'il pensait qu'elle était, le sort du village entier reposerait sur ces désormais frêles épaules. Il était de son devoir de protéger ceux qui ne pouvaient pas le faire eux même.
Voyant son attaque pouvant à peine renversée un château de sable tant elle était faible, Alice ne riposta même pas, adressant simplement un regard à Salvatoris, resté médusé quant au désastre que représentait cette situation.
"Arrête Alice... On s'en va..."
Murmura-t-il difficilement alors qu'un attroupement d'hommes et de femme portant divers armes, ainsi que des habilles pouvant à peine être qualifié d'armure, commençaient à s'attrouper non loin de là. Le milicien qu'ils avaient rencontré semblait être l'un des rares hommes ayant les capacités de combattre ayant survécu au raid de l'armée du phénix rouge. Sa magie devait être faible, mais il s'était tenu là. Et désormais, c'était tout le village qui était devenu hostile à Salvatoris, le fixant aux côtés d'un "golem de métal", Alice, et du fébrile miliciens. Son apparence était pareille à celle d'un monstre.
Alice hocha la tête, une expression amère inscrite sur son visage. Cependant, alors que Salvatoris s'apprêtait à se retourner également, un murmure lointain le paralysa.
" Je n'aurais jamais dû faire confiance à un nécromancien..."
La voix lointaine semblait âgée, provenant directement du chef du village qui fixait avec un visage complexe Salvatoris. Puis, ce murmure fut rapidement suivi d'un autre, encore et encore.
"Faire ça à sa mère...la pauvre..."
Salvatoris fixa la foule quelques instants. Tous étaient des visages familiers, des amis, des proches. Et parmi eux, il y avait sa mère, retenue par un homme d'âge moyen. Son expression hurlait la tristesse et l'incompréhension alors qu'on l'empêchait de rejoindre son fils. Elle était trop faible pour crier suffisamment fort pour que Salvatoris l'entende, cependant, il avait compris tout ce qu'elle disait. Il n'y avait pas besoin de mot.
Tétanisée par la peur, la foule laissa Salvatoris s'éloigner avec comme seul avertissement quelques murmures étouffés. Puis, quand ils furent assez loin, Salvatoris fit signe à ses pantins de s'arrêter, s'effondrant au sol. Il recroquevilla ses genoux sur son visage. Cette fois-ci, il venait réellement de perdre la dernière attache qu'il avait à ce monde. De lui, il ne restait plus rien.
Peut-être que s'abandonner à ces pensées qui n'étaient pas les siennes serait une bonne idée ? Arrêter d'être Salvatoris, et devenir ce simulacre de Reiner. Pas le véritable Reiner, mais le héros, le véritable héros ayant existé, et pas cette imposture érigée par les dieux dans la légende qu'il aimait tant.
[ Un esclave ayant vécu une vie misérable sous le joug des démons ayant dirigé les armées des dieux dans une croisade sacrée pour éradiquer le mal et sauver le monde... Et un double maléfique du héros... Ah ! La bonne blague ! Comme si c'était possible de faire ça ! On n'a même pas de radio ou le moindre électronique pour se coordonner ! Comment j'ai pu croire en ce monde ! Reiner et son double, Renièr, c'est la même personne. Ils n'ont même pas essayé de trouver un vrai nom ! Comment j'ai pu croire à ces foutaises ! ]
Pensa de tout son être Salvatorirs. Cependant, toutes ses pensées s'effondrèrent alors qu'Alice lui murmurait d'une voix empreinte de culpabilité, ses épaules tremblant légèrement.
"Je suis désolé. Tout ça c'est de ma faute. Si je ne t'avais pas montré tout ça...si j'avais pas ravivé ce conflit...rien de tout ça ne te serait arrivé. Si seulement j'était morte ce jour...si je ne m'étais pas accroché..."
Alice se mit alors à rire pour elle-même, tenant sa tête de sa main droite.
[ J'ai même fait souffrir Mélissa en la quittant à nouveau...je suis vraiment bonne à rien..Sauf à envoyer à la mort ceux qui me font confiance...]
Pensa-t-elle. Alice était dans un état tout aussi minable que Salvatoris. Toutes les questions qu'elle se posait, toute celle que Mélissa avait soulevé, toute la culpabilité d'avoir ruiné la vie de cet homme ayant accepté de l'aider à sauver Reiner, dont lui-même ne connaissait rien mise à part de simple souvenir. Tout celà c'était mélangé, la poussant à réaliser quelque chose :
Peut-être que le problème était son existence depuis le départ ?