La mer était calme, mais le vent portait une tension que nul ne pouvait ignorer. Aniaba tenait fermement la barre du bateau marchand, ses yeux fixés sur l'horizon. Derrère lui, les marrons qu'il avait libérés s'amoncelaient sur le pont, leurs regards oscillant entre soulagement et peur. Ils avaient survécu à une nuit de chaos, mais le chemin vers la liberté était encore long.
La petite crique qu'Aniaba avait déterminée comme point de chute était à quelques miles seulement. Il avait calculé chaque détail de cette fuite, mais il ne pouvait s'empêcher de sentir le poids des conséquences de son acte. Sa mémoire était encore marquée par les flammes et les cris, la rage et l'espoir mêlés dans un tourbillon infernal.
Puis, soudainement, le monde sembla s'arrêter. Le vent cessa, les vagues se figèrent, et le bruissement des voix des marrons se mua en un silence absolu. Une obscurité dense, presque palpable, engloutit l'environnement, ne laissant qu'Aniaba et une présence familière.
— Eh bien, mon champion, tu ne fais pas les choses à moitié !
Aniaba se retourna, et là, posé nonchalamment sur le bastingage du bateau, se tenait le Baron Samedi. Vêtu de son habit noir ornementé et de son haut-de-forme, il était hilare, ses dents blanches brillant dans l'obscurité. Il leva son verre à Aniaba comme pour trinquer à son audace.
— Tu as mis un beau coup de pied dans la fourmilière, mon garçon, ricana-t-il. Je suis presque jaloux de ne pas avoir été là pour voir ça en personne.
Aniaba serra les poings, tentant de contenir la rage qui montait en lui. Il savait que le Baron n'était jamais là par hasard.
— Qu'est-ce que tu veux ?
Le Baron sauta gracieusement du bastingage, atterrissant face à Aniaba. Ses yeux étaient emplis d'une malice enfantine, mais son ton devint plus grave.
— Ce n'est pas une question de ce que je veux, mais de ce que tu veux. Vois-tu, ton petit spectacle a fait des vagues — littéralement. La réponse ne va pas tarder. Les chiens de l'enfer sont déjà sur ta piste.
Il fit un geste dramatique, et des images apparurent dans l'air, flottant comme des mirages. Aniaba vit des chasseurs d'esclaves, des soldats, et des navires équipés pour la traque. La vision était terrifiante.
— Je suis ici pour te récompenser, continua le Baron. Parce que, vois-tu, j'aime les audacieux. Tu as le choix entre deux cadeaux. Le premier : des informations sur le coup mené contre toi, sur ceux qui t'ont trahi et tenté de t'effacer. Le second : des informations qui pourraient t'aider à sortir de cette situation présente et sauver les âmes que tu viens de libérer.
Aniaba sentit la tension grimper en lui. La rage était là, prête à exploser. Mais les mots de la Mambo Nyala lui revinrent en mémoire : « Souviens-toi de qui tu es. » Il prit une profonde inspiration, fermant les yeux pour chasser les images de carnage qui dansaient dans son esprit.
— Je veux… je veux savoir comment les sauver, dit-il enfin, sa voix ferme mais teintée d'une pointe d'amertume. Les trahisons peuvent attendre.
Le Baron sourit, visiblement ravi.
— Un choix noble. Je ne m'y attendais pas, mais tu m'impressionnes.
Il claqua des doigts, et les visions changèrent. Cette fois, Aniaba vit des chemins étroits dans les montagnes, des criques cachées et des routes que les chasseurs n'empruntaient jamais. Il vit également une silhouette — un homme, un marron connu pour sa ruse et ses stratégies élaborées. Cet homme pourrait être un allié puissant.
— Suis ces indications, dit le Baron en pointant les images. Et souviens-toi : je tiens toujours mes promesses. Mais chaque choix a un prix.
Avec un dernier ricanement, il disparut, emportant l'obscurité avec lui. Le vent et les vagues reprirent, et les voix des marrons se firent de nouveau entendre. Aniaba se redressa, la tête emplie des visions et de la responsabilité qu'il portait. Il savait que la route serait longue et dangereuse, mais il n'avait plus de doute sur son chemin.