La libération massive des esclaves de Port-au-Prince avait frappé la ville comme une onde de choc. La réaction fut immédiate et brutale. Dès l'aube, le port était en ébullition, les marchands et les propriétaires d'esclaves criant leur indignation devant le chaos laissé par l'homme mystérieux responsable de cette opération audacieuse. Les entrepôts incendiés n'étaient plus que des carcasses fumantes, et les quais étaient jonchés de débris. Mais pire encore était la perte de main-d'œuvre humaine, un coup économique qui ébranlait directement les fondations du système esclavagiste local.
Dans l'hôtel de ville, le maire et le gouverneur se faisaient face dans une salle de réunion tendue. Les documents étalés sur la table portaient les rapports des événements de la nuit précédente. Le maire, un homme ventripotent au visage rougeaud, tambourinait nerveusement sur la table.
— C'est une humiliation ! Une catastrophe ! rugit-il. Comment avons-nous pu laisser cela arriver ?
Le gouverneur, un homme plus mince, mais au regard froid et calculateur, ne réagit pas immédiatement. Il fixait un plan de la ville, ses doigts traçant distraitement les routes menant aux zones où les esclaves avaient été libérés.
— Il s'agit d'un acte de guerre, dit-il finalement, sa voix glaciale perçant le brouhaha de la salle. Ce n'est pas qu'une rébellion. C'est une attaque directe contre notre autorité.
— Et qu'allons-nous faire ?! Ces marrons vont se disperser dans les montagnes et organiser d'autres attaques ! Nous devons réagir, et vite !
Le gouverneur leva une main pour faire taire le maire.
— Nous allons réagir. Mais pas dans la précipitation. Si nous voulons écraser cette menace, nous devons frapper de manière stratégique. Il est temps de déployer toutes nos ressources, y compris celles que nous avons hésité à utiliser jusqu'ici.
Le maire fronça les sourcils, ses mains moites s'agrippant à une serviette pour essuyer son front.
— Vous parlez des chasseurs…
— Précisément. Cadet Roche et ses hommes. Ils sont brutaux, oui, mais ils sont aussi éminemment efficaces. Si quelqu'un peut traquer cet homme et ramener les marrons qu'il a libérés, c'est bien eux.
Pendant ce temps, dans les quartiers des chasseurs d'esclaves, Cadet Roche était déjà informé des événements. Il sirotait un verre de rhum dans son bureau, ses bottes poussiéreuses posées sur son bureau massif. Le collier d'oreilles qu'il arborait pendait paresseusement autour de son cou, une démonstration macabre de son passé sanglant.
Ses hommes étaient rassemblés dans la pièce voisine, échauffés par les rumeurs de la chasse à venir. Un messager entra, portant une lettre scellée. Cadet Roche la déplia avec un sourire en coin, parcourant les lignes d'un regard rapide.
— Messieurs, dit-il en se levant, un sourire carnassier étendant ses lèvres. Il semble que notre talent soit enfin apprécié à sa juste valeur.
Un murmure d'excitation parcourut l'assemblée. L'équipe de chasseurs était composée de criminels endurcis, de mercenaires et d'anciens soldats, chacun étant plus redoutable que le dernier. Leur réputation était basée sur leur capacité à traquer leurs cibles avec une efficacité impitoyable, utilisant des pièges, des embuscades et des tactiques de terreur pour briser leurs proies avant de les capturer.
— Nous avons une mission : traquer celui qui a osé humilier cette ville et libérer ces esclaves. Cet homme se cache peut-être dans les montagnes ou parmi les marrons, mais il est seul. Et seul, il ne peut pas nous échapper.
Un des chasseurs ricana.
— S'il est aussi bon que les rumeurs le disent, il devrait être amusant à traquer. Mais s'il est seul, il sera à nous avant la fin de la semaine.
Cadet Roche leva son verre en guise de toast.
— À la chasse, messieurs.
Et ainsi, la chasse commença. Mais cette fois, ce n'était pas seulement les marrons qui étaient ciblés. L'homme inconnu, responsable de cet affront, était devenu une cible prioritaire, et le système esclavagiste, humilié et blessé, était prêt à tout pour restaurer son autorité.