Le silence de la nuit était presque assourdissant après le carnage qui venait de s'écouler dans la clairière. Les corps mutilés des chasseurs jonchaient le sol, leur sang se mélangeant à la terre humide. Les entrailles déversées étaient encore fumantes dans l'air frais, une odeur mélangeant métal, bile et désastre. Aniaba se tenait debout, sa poitrine se soulevant à chaque respiration profonde, ses muscles tendus comme s'il s'apprêtait à frapper encore. Mais il n'y avait plus personne à affronter.
Marie-Louise était figée. Elle n'osait pas bouger ni même respirer trop fort. Le visage d'Aniaba, qui avait semblé si noble et si impressionnant lorsqu'il était apparu des ombres, était déformé par une rage froide, presque surnaturelle. Elle avait vu des hommes mourir avant, mais jamais de cette manière. Ce n'était pas une simple exécution. C'était un déchaînement de fureur.
Aniaba s'éloigna des cadavres, marchant lentement vers un point ombragé de la forêt. Il s'agenouilla dans l'herbe humide, posant les mains au sol, et ferma les yeux. Pendant un instant, il sembla que toute la clairière retenait son souffle. Puis il murmura quelque chose, une prière ou une supplique, les mots indistincts mais chargés d'émotion.
Marie-Louise, tremblante, osa enfin bouger. Elle s'approcha de lui à pas lents, ses mains serrées autour de son grigri comme pour se protéger de l'aura intimidante de cet homme. Lorsqu'elle fut assez proche, elle s'arrêta, hésitant.
— Qui… qui es-tu vraiment ? demanda-t-elle finalement, sa voix à peine un souffle.
Aniaba ouvrit les yeux mais ne releva pas la tête. Il fixa le sol devant lui, son visage empreint d'une fatigue profonde.
— Un homme en quête de justice, répondit-il, sa voix rauque mais étonnamment calme.
— Justice ? C'est ça que tu appelles justice ? Ce que tu as fait… c'était… sauvage, souffla-t-elle, incapable de détourner les yeux des cadavres.
Aniaba releva lentement la tête et planta son regard dans celui de Marie-Louise. Ses yeux, encore rouges de rage, semblaient sonder son âme.
— Ils n'auraient montré aucune pitié, dit-il froidement. Ce que j'ai fait était nécessaire. Leur existence ne méritait pas autre chose.
Marie-Louise serra son grigri plus fort, ses doigts devenant blancs. Elle voulait répliquer, mais les mots restèrent bloqués dans sa gorge. Une partie d'elle savait qu'il avait raison. Ces hommes étaient des monstres, des prédateurs qui n'auraient jamais arrêté de tuer et de tourmenter les faibles. Mais la manière dont Aniaba avait agi… elle n'était pas prête à l'accepter.
Un long silence s'installa entre eux. Aniaba se releva lentement, sa carrure imposante dominant la clairière. Il fit un pas vers Marie-Louise, qui recula instinctivement.
— Je ne te ferai pas de mal, dit-il doucement, bien que sa voix portait encore une note d'obscurité. Tu n'as rien à craindre de moi.
Elle le regarda avec méfiance, mais il n'y avait plus de rage dans ses yeux, seulement une tristesse profonde.
— Pourquoi étais-tu seule ? demanda-t-il, changeant de sujet pour éviter le gouffre qui menaçait de les engloutir tous les deux.
Marie-Louise hésita avant de répondre.
— J'ai fui. Ceux… ceux qui m'ont achetée… Ils étaient pires que des bêtes. J'ai profité d'un moment d'inattention pour m'échapper. Mais je savais qu'ils me retrouveraient.
Aniaba hocha lentement la tête. Il connaissait trop bien ce genre d'histoires. Hispaniola était une terre de souffrance, et chaque visage qu'il croisait semblait porteur de la même douleur.
— Tu n'as nulle part où aller, murmura-t-il.
Marie-Louise baissa les yeux, les larmes montant à ses paupières.
— Non. Mais je ne veux pas mourir.
Aniaba tendit une main vers elle. Elle hésita, puis l'attrapa avec une légère tremblement. Il la releva doucement, ses gestes désormais empreints d'une étrange douceur, en contraste violent avec la brutalité qu'il avait montrée plus tôt.
— Alors reste avec moi, dit-il. Mais sache une chose : le chemin que je prends est pavé de sang et de larmes. Si tu me suis, tu verras d'autres horreurs. Peut-être pire que ce que tu viens de voir.
Marie-Louise fixa son regard dans celui d'Aniaba. Elle savait qu'il disait vrai. Mais elle était seule, terrifiée, et cet homme, aussi effrayant soit-il, était la seule chose qui se tenait entre elle et une mort certaine.
— Je n'ai pas le choix, murmura-t-elle finalement.
Aniaba hocha la tête, un éclat d'empathie traversant son regard. Puis il se retourna, marchant lentement vers la forêt. Marie-Louise le suivit, gardant une distance prudente. Les ombres les engloutirent, et la clairière, avec ses horreurs, fut laissée derrière.