Le soleil se levait sur les côtes du royaume du Kongo, baignant les collines verdoyantes d'une lumière dorée. Le navire qui transportait Aniaba approchait lentement d'un avant-poste français. Les eaux calmes du matin contrastaient violemment avec la tension palpable à bord. Aniaba, toujours enchaîné, sentait chaque oscillation du navire comme un rappel cruel de son impuissance temporaire. Pourtant, son esprit restait aiguisé, scrutant chaque geste, chaque mot autour de lui.
Lorsqu'ils atteignirent le quai, des soldats français se tenaient alignés, surveillant avec indifférence le transfert des prisonniers. Aniaba fut tiré hors de la cale, ses liens entravant ses mouvements. Il gardait la tête haute, même si ses poignets et chevilles portaient les marques des chaînes.
— Celui-là, dit un officier français en désignant Aniaba, ne sera pas mélangé avec les autres. Il a une valeur spéciale.
Aniaba fut conduit à bord d'un autre navire, beaucoup plus vaste. L'odeur était étouffante, un mélange de sel, de sueur et de peur. Ce bateau était un négrier, préparé pour transporter des dizaines d'âmes vers des marchés lointains. Alors qu'il passait devant les cales bondées, Aniaba aperçut des visages terrorisés, des hommes, des femmes, des enfants entassés sans espoir de fuite.
Du fait de son rang, Aniaba fut enfermé dans une cellule isolée. Ce traitement privilégié était une humiliation en soi : il n'était plus qu'un captif avec un semblant de dignité, une vitrine à vendre. Assis sur le sol froid, il entendait les bruits étouffés des autres prisonniers à travers les parois de bois.
Une nuit, alors que le bateau était encore ancré, Aniaba entendit des voix qui perçaient le silence. C'était un murmure venu de la cale principale, où les esclaves étaient entassés. Il tendit l'oreille, captant des bribes de conversation.
— On dit que le prince devait revenir, souffla une voix féminine fatiguée mais pleine d'espoir. Notre terre a besoin de lui.
— Des promesses, des rumeurs, répliqua une autre voix, plus amère. Aucun prince ne viendra. Regarde autour de toi. Nous sommes seuls.
Aniaba ferma les yeux, sentant la lourdeur de leurs mots. Ces voix parlaient peut-être de lui, mais il était maintenant un homme captif, dépossédé de son pouvoir. Ce moment raviva sa détermination. Il n'était pas seul dans sa chute; il portait avec lui l'espoir de ceux qui souffraient.
Plus tard, alors que l'obscurité s'épaississait, un murmure différent s'éleva parmi les marins. Ils parlaient à voix basse, mais leurs mots portaient une lourdeur que les murs de bois ne pouvaient retenir.
— Tu as entendu ce qu'on dit ? souffla l'un d'eux. Le prince a été vendu par l'un des siens. Peut-être même par sa propre famille.
— Un pacte avec les Français, murmura un autre. Trahison pour une poignée d'or. Ces rois ne valent pas mieux que nous.
Aniaba réprima un frisson. Les mots des marins étaient comme des lames glacées qui perçaient sa résolution. Si cela était vrai, alors sa chute était le fruit d'une dépravation plus profonde qu'il ne l'avait imaginée. Mais au lieu de le briser, cette révélation embrasa en lui une colère froide, une détermination renouvelée à rétablir son honneur et celui de son peuple.
Le matin suivant, le navire leva l'ancre. Aniaba sentit la coque vibrer alors que les voiles s'emplissaient du vent. Le négrier s'éloignait des côtes du Kongo, emportant avec lui des âmes brisées, des destins volés, et un prince déchu qui jurait de transformer cette injustice en une révolte inévitable.