La cale du navire était étroitement fermée, plongée dans une obscurité oppressante que seules de faibles lueurs filtrant par des interstices éclairaient par moments. Aniaba, assis contre une paroi en bois humide, la tête baissée, sentait le poids de ses chaînes cliquetant à chaque mouvement. Le sel de l'océan brûlait ses plaies, mais son esprit était ailleurs, perdu entre la douleur de la trahison et une rage froide qui montait en lui comme une marée inévitable.
Les heures passèrent, ou peut-être étaient-ce des jours. Dans ce vide temporel, Aniaba revisita chaque événement qui avait mené à cet instant. Le visage de ses fidèles tombés lui revenait, leurs cris étouffés par le fracas des lames. Il les avait conduits vers leur perte, mais cette pensée était rapidement supplantée par une autre : il n'était pas encore fini. Il devait survivre, non pour lui-même, mais pour honorer leur sacrifice et réclamer ce qui lui était dû.
Un jour, peut-être une nuit, la porte grinçante de la cale s'ouvrit, laissant entrer une vive lumière qui fit plisser les yeux d'Aniaba. Deux hommes en armes entrèrent, le regard dur, et tirèrent le prisonnier hors de l'obscurité. Traîné sur le pont, il fut confronté au capitaine de ce navire maudit, un homme à la silhouette imposante et au visage marqué par des cicatrices profondes.
— Prince Aniaba, déclara le capitaine d'une voix rauque. Votre audace est admirable, mais elle vous a conduit à votre perte. Sachez que votre vie ne m'intéresse pas autant que ce que vous représentez.
Aniaba releva la tête, son regard transperçant le capitaine. Malgré les chaînes, malgré la saleté qui marquait son visage, il dégageait une noblesse intacte.
— Et que représente-t-on pour un homme tel que vous ? Une épine dans le pied d'un tyran ? Une idée trop grande pour que vous puissiez l'étouffer ?
Le capitaine ricana, s'approchant d'Aniaba pour mieux le toiser.
— Vous êtes un symbole. Mais les symboles peuvent être brisés, et les hommes, remplacés. Votre peuple vous a peut-être vénéré, mais ils apprendront à obéir à d'autres. Vous, en revanche, vous ne verrez jamais ce jour.
Aniaba se redressa autant que ses liens le permettaient. Il n'avait pas peur. La flamme qui brillait en lui était bien trop vive pour être éteinte par de simples mots.
— Vous ne comprenez rien à ce que je représente. Mon peuple n'est pas fait pour obéir. Vous pouvez me tuer, mais une tempête se lèvera après moi, et cette tempête détruira tout ce que vous pensez être immuable.
Le capitaine sembla réfléchir un instant, puis détourna le regard avec un sourire.
— Nous verrons, prince. Mais d'ici là, vous serez vendu comme un trophée. Une cage dorée, pour un roi déchu.
Aniaba fut ramené à la cale, mais cette fois, la noirceur ne l'oppressait plus. Elle était une alliée, un voile qui cacherait ses plans. Il avait entendu assez pour comprendre que tout n'était pas perdu. Les hommes du capitaine étaient confiants, trop confiants. Et la confiance pouvait être exploitée.
Dans le silence pesant de la cale, Aniaba murmura un serment à lui-même. Ce navire, ce capitaine, et ces hommes paieraient pour leurs actes. Et quand il mettrait un pied sur la terre ferme, il réécrirait l'histoire de sa liberté.