Au départ, Wynblow était absolument sûre qu'elle devait se cacher rapidement.
Elle était encore blessée, et dans une forêt où il était difficile de voler à cause des troncs très rapprochés des arbres, rencontrer un être humain était le pire qui puisse arriver.
Qui disait être humain, disait alerte donnée aux forces de frappe de l'empire, et donc l'envoi d'une brigade d'extermination si aucun chasseur n'était disponible pour la terrasser.
Même si elle avait commencé à faire confiance à Ewan, elle savait parfaitement qu'il était un cas à part, et que quiconque apercevant un dragon n'y verrait là qu'on monstre à abattre.
Toutefois, quand elle avait entendu la voix hésitante et pleine de détresse de l'humain qui l'avait surprise, elle s'était figée sur place.
Elle avait pour habitude de ne pas se mêler des affaires humaines pour une question de préservation de soi. Mais cette voix, appartenant à une femme semblant âgée et isolée, avait quelque peu bousculé les principes de Wynblow.
C'était une personne seule, donc c'était déjà moins menaçant.
Non, un humain restait un humain, quoi qu'il arrive.
Elle ne pouvait pas se permettre de se révéler au grand jour, au risque de voir sa présence signalée à des exterminateurs de monstres.
Elle commença alors à rouvrir ses grandes ailes pour prendre une première impulsion et s'envoler, quand la voix se fit à nouveau entendre.
« J'arrive pas à… Me relever... » Dit la vieille dame.
Wynblow fronça les sourcils – ou du moins, les deux bosses écailleuses situées au-dessus de ses yeux – et replia lentement ses ailes.
Elle avait envie d'aider cette personne qui lui faisait pitié. Tant pis pour la discrétion, elle trouverait une autre clairière pour aller se poser plus loin.
Avec précautions, elle descendit la pente prononcée où de l'herbe haute et sèche laissait peu à peu place à un fin et bas tapis d'herbe touffue d'un vert éclatant, avant de changer pour de grandes broussailles de bruyère et autres arbustes au bois tordu et sec.
Juste au plis entre deux flancs de colline, près du panier retourné qui sortait des fourrés, se trouvait une vieille dame coincée entre deux amas de branches, face vers le bas et les pieds suspendus à plusieurs centimètres du sol.
Elle avait dû faire une sacrée chute, pour terminer dans une telle position sans pouvoir bouger.
« Il… Il y a quelqu'un ? » Demanda-t-elle, ce qui stoppa net Wynblow dans son approche.
L'être humain avait dû entendre les pierres et les cailloux dégringoler ou se tasser sous les pas lourds de Wynblow, et se rendre compte que quelqu'un l'approchait.
Ce n'est plus comme si la dragonne pouvait encore cacher sa présence.
« Vous… Avez besoin d'aide ? » Demanda-t-elle à la vieille femme.
Elle était un peu rassurée que l'humaine ne puisse pas tourner sa tête pour la regarder, sans quoi elle aurait sûrement hurlé de terreur en voyant l'immense tête épineuse d'un dragon la surplomber.
« Ah… Oui ! Je n'arrive pas à me dégager ! » Supplia la vieille femme, ses cheveux gris coiffés en chignon rebondissant légèrement avec ses mouvements.
En y regardant de plus près, il était clair qu'elle n'arriverait pas à se dégager toute seule, ce qui fit soupirer Wynblow.
Avec précaution, la dragonne approcha encore un peu, tenant en équilibre sur la partie de plus en plus pentue de la zone vallonnée.
« Si… Si je vous aide, ne regardez pas vers moi, d'accord ? » Demanda-t-elle avec anxiété.
« Ne... Pas vous regarder ? » Demanda la vieille femme, un peu confuse.
« J'ai une apparence… Plutôt désagréable à regarder, alors faites ça pour moi, ok ? » Négocia Wynblow.
« D… D'accord, ça ne devrait pas être compliqué à faire... » Répondit la vieille dame.
Bien, si cette femme tenait parole, Wynblow pourrait déguerpir sans demander son reste.
Arquant son cou comme l'aurait fait une de ces grues de chantier en bois, elle commença à approcher sa tête du dos complètement exposé et vulnérable de la vieille femme.
Le tissu des vêtements avait l'ai assez solide pour le pas se déchirer complètement sous le poids de l'humain qui les portait.
Avec précaution, elle saisit entre ses dents l'extrémité de la tunique de la vieille femme, ses canines perçant avec une facilité déconcertante le tissu épais.
Elle sentit légèrement la peau de l'humaine entrer en contact avec les écailles situées sur sa gorge, et se retint de déglutir.
Du moment qu'elle ne faisait rien pouvant la trahir, elle aurait toujours des excuses à donner sur tel ou tel détail.
Doucement, elle remonta sa prise des fourrés, avant de la déposer un peu plus en hauteur, le visage tourné à l'opposé de sa direction.
En touchant à nouveau le sol, la vieille femme poussa un soupir de soulagement, visiblement rassurée d'être enfin libérée de la pénible posture où elle s'était mise.
« M… Merci... » Dit-elle enfin, en commençant à se tourner vers la dragonne.
« Ne me regardez pas ! » S'exclama en grondant Wynblow, un gargouillis s'échappant de sa gorge.
« Ne vous en faites pas, jeune fille... » Continua la vieille femme.
Elle avait terminé de se tourner vers Wynblow, et cette dernière comprit rapidement qu'elle n'aurait probablement rien à craindre de l'humaine en face d'elle.
« … Même si je le voulais, je ne pourrais pas vous regarder. » Dit-elle.
Les yeux de la vieille femme étaient légèrement voilés et sans point d'attention spécifique, fixant continuellement un point invisible en face d'eux.
La vieille femme ne pouvait rien voir, ce qui partagea Wynblow entre deux émotions conflictuelles : le soulagement de ne pas pouvoir être vue, et la culpabilité d'être ravie que la vieille femme soit aveugle.
« Je… Désolée... » Parvint enfin à dire la dragonne.
« Pourquoi êtes vous désolée ? Ce n'est pas comme si vous étiez responsable de mon état... » La rassura la vieille femme. « Et vous m'avez même aidée. »
Pas faux. Mais ça n'empêchait pas la dragonne de se sentir un peu coupable.
Puisque la vieille femme ne pouvait pas voir sa véritable apparence, elle n'avait pas de raison d'être apeurée ; ce qui rassura Wynblow.
« Oh, et… Où sont passées mes affaires ? » Demanda l'humaine.
Ah. Elle voulait sûrement parler du panier resté planté entre les broussailles.
Rapidement, Wynblow saisit à nouveau avec sa gueule le conteneur et son chargement, des branches de bois, avant de le déposer auprès de la vielle femme.
Cette dernière tâta les contours du panier avant de vérifier avec ses mains l'intérieur.
Elle semblait plutôt satisfaite de ne pas avoir perdu trop de morceaux de bois malgré la chute qu'elle avait subie.
Ce qui était le signal pour Wynblow d'enfin s'éclipser.
« Bon… Si vous n'avez plus besoin de moi... » Dit-elle avec précaution.
Toutefois, à peine avait-elle tourné le dos, que la vielle femme poussa un petit geignement.
« Je crois que je me suis foulé la cheville... »
Wynblow fronça à nouveau les 'sourcils'. Dans quels ennuis s'était-elle fourrée en aidant cette personne ?
Avec réticence, elle se tourna à nouveau vers la vielle femme.
« Vous… Avez besoin d'aide pour marcher ? » Grimaça-t-elle en révélant ses canines.
« Oh, ce ne serait pas de refus ! » S'exclama soudainement la vieille femme.
C'était calculé depuis le départ, pas vrai ?
« Je… Je ne peux pas vous porter, » s'excusa rapidement Wynblow.
« Ah, je vois… C'est dommage... » Dit la vieille femme, visiblement abattue.
Une expression qui fit ressentir à nouveau de la culpabilité à la dragonne.
Elle ne pouvait certainement pas la mettre sur son dos sans risquer d'être percée à jour. Mais peut-être…
« Je… Je peux vous proposer de vous appuyer sur moi, » proposa Wynblow.
« Oh, je vois. Faisons donc ça ! » Acquiesça la vieille femme.
Oui, comme ça, la vieille femme ne suspecterait probablement rien.
Wynblow souleva alors sa longue queue et la tourna pour la placer entre elle et la vieille femme, avant de légèrement toucher l'épaule de l'humaine avec son côté.
« Vous pouvez vous tenir à mon bras », mentit Wynblow.
Les écailles vers l'extrémité de sa queue étaient bien plus petites, alors avec un peu de chance…
« Oh, vous avez une peau vraiment rugueuse… Vous êtes un soldat ou un chasseur ? » Demanda avec curiosité la vieille femme, tout en s'appuyant sur la queue de Wynblow.
« N-Non… J'ai toujours eu la peau comme ça... » Prétexta rapidement la dragonne.
« Vous devez être du sud, alors ? » Dit la vieille femme.
« Ah… Oui... » Mentit à nouveau Wynblow.
Du moment qu'elle allait dans le sens de la vieille femme, tout irait bien. Elle n'avait qu'à l'emmener chez elle ou à proximité d'un village, et ensuite, elle repartirait sans se faire remarquer.
Passer inaperçu et ne pas éveiller les soupçons. C'était ce qu'il y avait de mieux à faire.
Le duo avait déjà commencé à partir vers un autre flanc de montagne depuis plusieurs minutes, la vieille dame ayant remis sur panier de bois sur le dos et s'appuyant toujours avec ses mains frêles et ridées sur la queue de la dragonne, quand l'humaine posa une autre question.
« Au fait, je n'ai pas saisi votre nom, jeune fille, » remarqua-t-elle.
« Ah.. Euh… Wynblow... » Répondit rapidement la dragonne.
« Oh, un nom en ancien langage ? C'est rare, de nos jours… » S'étonna la vieille femme. « Vos parents devaient sûrement le parler, pour que vous ayiez ce nom... »
« Sûrement…. » Dit avec gêne Wynblow.
Elle ne se rappelait même pas des évènements au-delà d'une année, alors se rappeler de son enfance ou de ses parents, c'était beaucoup en demander. Elle ne savait même pas si les dragons élevaient leurs petits ou les abandonnaient dès la naissance.
Puis, de toute façon, ce n'était pas un parent qui lui avait donné ce nom. C'était…
Cette vieille femme sait comment tourner les choses à son avantage…
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