Sulk décida de mettre de côté ses interrogations et leur côté terrifiant pour le moment. Si Yahzin avait bien raison sur une chose, c'était que cela allait faire du bien de voir la réaction de Galij.
Lors de son dernier combat, Galij avait battu son adversaire en un temps record. Il avait ensuite profité de cela pour tenter d'impressionner Sulk.
Peut-être était-ce dû aux frictions de leurs deux instincts guerriers, ou tout simplement car Sulk avait soutenu son regard avant le début du tournoi, mais Sulk ignorait pourquoi Galij semblait s'en prendre à lui uniquement.
Au final Sulk s'en moquait.
A l'instant précis, tout ce qu'il souhaitait était de voir le visage de Galij quand il allait passer devant lui.
Exactement comme il l'avait laissé quelques temps auparavant, Sulk vit la silhouette du vétéran assis dans son coin. Il marcha ostensiblement dans sa direction et s'arrêta seulement lorsqu'il fut à sa hauteur, à moins de deux pas de distance.
Galij avait la tête baissée, les mains l'une dans l'autre en attendant son tour.
Sulk s'étira bruyamment et de manière exagérée. Du coin de l'œil il vit Galij relever la tête, attiré par son mouvement.
Contre toute attente, et pour sa plus grande déception, Sulk ne vit aucun étonnement ou choc sur le visage du vétéran. Tout au contraire, Galij souriait.
Il ne dit rien mais regarda simplement Sulk. Son sourire était étiré d'une manière terrifiante et dangereuse, et pourtant radiait de chaleur.
"Il est... content pour moi ?" se demanda Sulk.
Sans son regard, Sulk crut voir une sorte de fierté, de la curiosité, mais avant tout une flamme brûlante d'envie.
Sulk comprit en un instant, juste avant que la voix de l'invisible Yahzin résonne à ses côtés.
"Tu as éveillé son instinct de combat. Pour la première fois Galij te vois maintenant comme une adversaire potentiel."
Sulk ne répondit pas, il se dirigea simplement vers le couloir le plus proche. Yahzin continua à parler, ressemblant à un général s'adressant à ses troupes.
"C'est une bonne chose ! L'adversité compte parmi les meilleurs choses qui forgent un guerrier ! Dans le temple de Silam il y avait parfois des compétitions entre les disciples de même niveau, simplement pour développer leur instinct combatif. Lorsque tu fais de quelqu'un un ennemi et que tu concentres toutes tes émotions dans l'optique de le battre, tu peux voir naître en toi une force insoupçonnée."
Sulk profita de l'une des rares fois où Yahzin semblait content de parler pour lui poser des questions sur le temple de Silam. C'était quelque chose que Yahzin de faisait pas souvent, presque jamais à vrai dire, et Sulk ne pouvait pas passer à côté d'une telle occasion.
Après tout il était peut-être le dernier descendant des traditions, du savoir et de la magie du temple de la Foudre Éternelle de Silam. Yahzin lui avait dit que tout serait révélé en temps et en heure comme les Huits Préceptes mais Sulk était impatient et avide d'en savoir plus.
Sulk se dirigeait à présent dans les veines de la Main Sombre, en direction de la Seizième Division. Il avait quitté l'Arène après son second combat, n'ayant plus rien de prévu avant le lendemain soir.
C'était ainsi qu'était organisé le Tournoi des Deux Mains. Le premier soir était une phase de qualification durant laquelle le nombre de participants des deux Arènes passait d'environ quatre vingt à seulement vingt.
Les combats étaient encore simples puisque inégaux, ainsi deux matchs par combattants était normal. Dès le deuxième soir cependant, les plus forts allaient commencer à se rencontrer.
C'était seulement le troisième soir qu'apparaissaient les vétérans encore en activité.
Sulk avait hâte de les rencontrer. C'étaient les idoles de toute la mine, ceux qui avaient triomphé de leurs adversaires par la force et souvent la brutalité.
Mais Sulk n'avait qu'un seul but dans tout cela. A vrai dire c'était la raison pour laquelle il avait commencé les combats clandestins et avait choisi de participer au Tournoi.
Il voulait rencontrer Genki.
Genki était lui aussi un cultivateur, peut-être le seul emprisonné dans la mine comme Sulk. Seul un cultivateur pouvait en repérer un, comme le prouvait le fait que le clan Fen n'ait toujours pas arrêté Genki.
Sulk espérait que sa rencontre avec le combattant masqué dont personne ne connaissait la véritable identité allait lui apporter beaucoup de savoir, et peut-être même des techniques de cultivation.
Même pour Yahzin, cette rencontre était importante. Coincé dans une rune magique pendant des milliers d'années, le Patriarche avait évité le massacre et la disparition de son peuple.
Il avait au début pensé que Sulk était le seul tierran à avoir hérité du savoir des siens, et même s'il ne l'avouerait jamais, savoir qu'au moins un second existait lui réchauffait l'âme d'un bonheur immense.
Bientôt, Sulk fut hors de portée du bruit de la foule. Il hésita un instant à faire marche arrière, intrigué de voir Galij combattre, mais se ravisa finalement. Cela ne servirait à rien.
Sulk avait déjà eu une expérience de ses combats lorsqu'il avait suivi l'action avec sa Trace.
A ce stade là de la compétition, Galij était loin de donner tout ce qu'il avait, et réservait à coup sûr sa vraie capacité pour les jours suivants. L'observer maintenant était inutile et peu représentatif de son style de combat. Seule sa barbarie était apparente.
En y réfléchissant bien, Sulk était même certain de savoir à l'avance ce qui allait se passer.
Sulk se dirigeait vers l'arche voûtée des bains de la Seizième Division, tout en écoutant Yahzin. Sous l'eau fraîche contrastant avec la chaleur ambiante, Sulk profita du lieu désert pour méditer quelques temps. Une partie de son esprit se concentra sur la rotation de son méridien, absorbant une Pierre de Sang qu'il venait d'utiliser, une autre partie écoutant les histoires de Yahzin. La troisième partie imagina ce qui continuait de se passer dans le cercle enflammé qu'était l'Arène de la Main Sombre.
Après avoir enflammé son esprit combatif au dernier tour, Sulk avait provoqué Galij comme il ne l'avait pas été en plusieurs années. Le vétéran avait cessé les combats suite à une blessure il y a longtemps, avait-il entendu dire, et seulement récemment Galij avait-il recouvré toute sa force et même peut-être plus.
Lors de son second combat il était certain que Galij allait redoubler de brutalité. D'après l'ordre des combats, Sulk savait que son adversaire ne valait rien ou presque. C'était un quasi-débutant qui avait été chanceux au premier tour.
Il allait probablement succomber aux coups experts de Galij.
Comme Yahzin l'avait dit précédemment, dans ce monde la force était maîtresse de tout.