La forêt, jadis sanctuaire de vie et de mystère, était devenue un lieu de cauchemar. Les arbres, autrefois majestueux et protecteurs, se dressaient maintenant comme des monuments de mort. Des corps pendaient de leurs branches, les membres mutilés cloués aux troncs, tandis que des viscères suspendues oscillaient doucement au gré du vent, telles des guirlandes macabres. L'air, saturé de l'odeur de chair en décomposition et de sang coagulé, semblait vibrer de désespoir. Ce spectacle d'horreur, orchestré avec une minutie glaciale par le chef des chasseurs, n'était pas seulement une démonstration de cruauté, mais un message destiné à instiller la peur. Quelques survivants avaient été épargnés, uniquement pour porter ce message au plus grand nombre.
Un homme, couvert de sang, tremblant de tout son être, émergea de la forêt. Ses yeux, écarquillés par la terreur, cherchaient désespérément Aniaba. Lorsqu'il le trouva entouré de son groupe, il s'effondra presque en pleurs.
— Ils… ils ont dit… ils ont dit que leur prochaine cible est… le village de la colline ! bafouilla-t-il, la voix entrecoupée de sanglots.
Aniaba ferma les yeux, ses poings se serrant si fort que ses ongles s'enfonçaient dans ses paumes. Chaque fibre de son être savait que c'était un piège. Pourtant, les images d'horreur décrites par le garçon, mêlées à ses propres souvenirs, ravivèrent une rage qu'il tentait tant bien que mal de contenir.
Nyala, la mambo, s'approcha doucement, posant une main ferme sur son bras.
— Aniaba, c'est ce qu'ils veulent. Tu ne peux pas…
Il tourna un regard glaçant vers elle, interrompant ses mots.
— Ils doivent payer pour cela. Tous.
Se levant avec une détermination inébranlable, Aniaba ne prit pas le temps de consulter davantage son groupe. Sa silhouette imposante, illuminée par les faibles lueurs du camp, projetait une ombre intimidante sur ceux qui l'entouraient. Sans ajouter un mot, il se mit en marche, laissant derrière lui un silence lourd, ponctué seulement par le bruissement des feuilles sous ses pas. Personne n'osa le suivre.
Plus tard, alors qu'il aiguisait ses armes dans sa hutte, Aniaba entendit des pas hésitants. Lorsqu'il sortit, il trouva le jeune marron qui l'avait abordé quelques jours auparavant, debout au milieu du chemin, l'attendant avec une détermination maladroite.
— Maître Aniaba, dit-il avec assurance, je veux vous aider.
Son visage exprimait une dévotion presque fanatique. Aniaba soupira intérieurement. Ce garçon était un miroir de son propre passé, plein de naïveté et de rêves de justice.
— Écoute, gamin, répondit-il doucement. Je comprends ton envie d'aider, mais ce n'est pas un jeu. Même moi, je risque ma vie chaque fois que je pars. Vous êtes l'avenir de notre peuple, toi et les jeunes comme toi. Ne gâche pas cette chance.
Le jeune homme insista, son regard suppliant.
— Mais je connais bien la forêt. Je peux vous aider !
Aniaba le considéra un moment, un sourire en coin.
— Très bien. Si tu arrives à me suivre, tu pourras rester. Sinon, retourne voir Jean-Baptiste. Pari tenu ?
Le garçon, rayonnant de fierté, acquiesça vigoureusement.
— Vous verrez, Maître Aniaba, je ne vous ralentirai pas !
Le sourire d'Aniaba s'élargit légèrement, presque amusé.
— Nous verrons bien. Suis-moi, gamin.
Alors qu'ils s'enfonçaient dans la forêt dense, le jeune homme suivit Aniaba avec enthousiasme. Mais après quelques minutes, distrait par sa rêverie, il glissa sur une racine moussue et perdit de vue son idole. Désorienté, il tourna en rond, espérant retrouver sa trace, sans succès.
De loin, Aniaba observait la scène, un sourire amusé sur les lèvres. Lorsqu'il vit le garçon rebrousser chemin, il se retourna et reprit sa route, son visage redevenu dur. Son regard, chargé de colère et de détermination, fixait l'obscurité devant lui. Ce soir, la vengeance l'attendait.
Le village de la colline était déjà un enfer lorsqu'Aniaba arriva. Des flammes dévoraient les huttes, illuminant la scène d'un rouge apocalyptique. Les chasseurs, ivres de cruauté, ricanaient bruyamment parmi les corps sans vie. L'un d'eux jouait avec une mèche de cheveux coupée, tandis qu'un autre traînait un cadavre vers une pile de corps en train de brûler. Ce spectacle aurait brisé le cœur du plus stoïque des hommes. Mais pour Aniaba, ce fut la goutte d'eau.
Sa rage explosa, le transformant en une tempête de violence. Il se jeta dans le camp avec une vitesse fulgurante, une ombre mortelle dans la lumière tremblotante des flammes. Le premier chasseur, pris par surprise, ne vit qu'un éclat avant que sa gorge ne soit tranchée. Le second tenta de lever son mousquet, mais Aniaba brisa son bras d'un coup sec avant de l'étrangler avec une brutalité glaçante.
À mesure qu'il avançait, une force surhumaine semblait l'habiter. Ses coups étaient précis, chaque mouvement porté avec une puissance et une rapidité défiant les lois de la nature. Même les blessures qu'il recevait, qu'elles soient profondes ou superficielles, se refermaient presque immédiatement sous les yeux horrifiés de ses ennemis. Une lame plongea dans son flanc, mais il l'arracha comme si de rien n'était, retournant l'arme contre son assaillant avec une efficacité implacable.
Terrifiés, les chasseurs commencèrent à reculer. Pourtant endurcis par leur métier sanglant, ils n'étaient pas préparés à affronter une telle force. Aniaba était devenu une incarnation de la vengeance, une entité impitoyable qui semblait se nourrir de leur terreur. Les corps mutilés s'entassaient autour de lui, chaque coup porté avec une précision cruelle, faite pour infliger une douleur maximale.
Roche, le chef des chasseurs, observant la scène de loin, comprit que la bataille était perdue. Il recula lentement, son regard sombre scrutant la silhouette d'Aniaba avec une fascination mêlée de haine. Puis, dans un élan de pragmatisme froid, il tourna les talons et disparut dans l'obscurité. Ce n'était pas une retraite définitive. Pour lui, Aniaba était devenu une obsession, son Némésis, qu'il jura intérieurement d'abattre, quel qu'en soit le prix.
Lorsque la rage d'Aniaba s'apaisa enfin, il se retrouva seul au milieu d'un champ de cadavres. Le sol était saturé de sang, les flammes vacillantes jetant une lumière fantomatique sur son visage. Son souffle était rauque, ses mains tremblantes. Mais ce n'était pas la fatigue qui l'ébranlait. C'était le poids de ses actions, le fardeau de ce qu'il devenait.
Des bruit s de pas se firent entendre subitement. Aniaba releva la tête, s'était la mambo, elle se dirigeai vers lui doucement. Aniaba se demandant comment la vielle prêtresse avait put arriver ainsi jusqu'ici. Cependant il laissa cet question inutile de coté cela devait encore etre un tour des Loas.
Nyala arriva peu après, ses yeux emplis de tristesse. Elle posa doucement une main sur son épaule, mais Aniaba ne réagit pas.
— Ils te transforment en ce qu'ils veulent que tu sois, murmura-t-elle. Un monstre. Mais tu peux encore choisir.
Aniaba releva lentement la tête, croisant son regard. Ses yeux, brûlants d'une intensité presque inhumaine, exprimaient une douleur qu'il ne pouvait verbaliser.
— Et si le monstre était la seule chose capable de les arrêter ? répondit-il d'une voix froide, empreinte de douleur et de tristesse.
Nyala ouvrit la bouche, mais aucun mot ne sortit. Elle comprenait que la bataille la plus féroce d'Aniaba se jouait désormais en lui-même.