Le sable humide et froid s'infiltrait sous les ongles d'Aniaba. Il reprit conscience dans une obscurité diffuse, bercé par le bruit des vagues s'écrasant doucement contre le rivage. Il tenta de se redresser, mais ses bras semblaient pris dans une gangue de sable épais. Il comprit alors qu'il était enterré dans une tombe peu profonde, creusée à la hâte. Un vent frais soufflait depuis la mer, emplissant ses narines de l'odeur saline et de l'humus mélangé de la forêt proche.
Avec une force renouvelée qu'il ne comprenait pas encore, il arracha son corps au sable et roula sur le côté. Il haleta, cherchant à comprendre ce qui venait de se passer. Tout lui semblait flou, réduit à des éclats de douleur et de déséquilibre. Il s'étouffa presque en voyant une silhouette familière, assise calmement sur une souche proche. Le Baron Samedi.
— Bienvenue à nouveau, mon prince, dit le Baron avec un sourire narquois. Alors, ça fait quoi d'être mort et vivant à la fois ?
Aniaba ne répondit pas tout de suite, ses yeux fixés sur l'homme — ou plutôt la créature — qui semblait toujours jouer avec les ombres. La lumière lunaire projetait autour du Baron une aura presque palpable, comme si le monde lui appartenait.
— Qu'as-tu fait ? murmura Aniaba, sa voix rauque et chargée de méfiance.
Le Baron tapota nonchalamment le chapeau haut-de-forme sur sa tête, un sourire en coin.
— J'ai tenu ma promesse, mon prince. Je t'ai ramené. Mais ne te méprends pas. Ce n'est pas un cadeau, mais un pacte. Je t'ai offert le pouvoir de réclamer ce qui t'appartient, mais chaque pouvoir vient avec un prix.
Aniaba se redressa, sentant une énergie qu'il n'avait jamais connue. Ses douleurs avaient disparu, remplacées par une froideur constante dans ses veines, comme si une rivière glacée coulait en lui.
— Quels sont ces pouvoirs ? demanda-t-il, les poings serrés.
Le Baron s'approcha lentement, ses mouvements fluides et presque dansants.
— Tes blessures ne te ralentiront plus. Ton corps guérira rapidement, tant que ton esprit reste fort. Tu es plus rapide, plus fort, plus résistant que n'importe quel homme. Et les morts… Les morts t'écouteront. Pas tous, pas encore. Mais assez pour que tu comprennes ce que signifie être "la Main des Loas".
Aniaba plissa les yeux, confus.
— La Main des Loas ? Qu'est-ce que cela veut dire ?
Le Baron éclata d'un rire sonore.
— Oh, mon prince, c'est un titre. Un privilège. Une charge. Et un fardeau. Mais tu n'en comprendras la véritable signification que lorsque le moment viendra. En attendant, ton devoir est simple : libérer cette île du joug des oppresseurs.
Aniaba se releva complètement, ses pieds s'ancrant dans le sable humide. La lueur dans ses yeux brillait d'une mélange de rage et de détermination.
— Et mes ravisseurs ? Ceux qui m'ont trahi ?
Le Baron sourit, mais cette fois, son sourire était teinté de mystère et de malice.
— Ah, les trâîtres. Ils sont toujours si fascinants, n'est-ce pas ? Mais cela n'a pas d'importance pour l'instant. Termine ton travail ici, et je t'aiderai. Avec mon aide, même les morts peuvent parler.
Aniaba se figea, ses poings serrés, mais le Baron avait déjà disparu, ne laissant derrière lui que l'écho d'un rire lointain et l'odeur persistante du tabac et du rhum. L'objectif était clair, mais les chemins pour l'atteindre restaient obscurs.
Il leva les yeux vers les étoiles, jurant en silence de réclamer justice, pour son peuple, pour lui-même. Mais au fond de son âme, il ne pouvait s'empêcher de penser que ce pacte pourrait être sa plus grande victoire… ou sa perte ultime.