"Aiden, je veux une danse fluide, pas une danse d'ivrogne."
"Tes pas sont trop rapprochés. Recommence."
"Oui ! Là, c'est mieux."
Après mon réveil, j'ai enfin compris où je me trouvais. Ce sont deux sorcières qui m'ont tout expliqué. Enfin, "expliqué", c'est un grand mot : elles étaient tellement impressionnantes que je n'ai pas retenu la moitié de ce qu'elles disaient. Tout ce que je sais, c'est que je les ai reconnues immédiatement : Yennefer et Triss. Elles étaient encore plus impressionnantes en vrai.
Et là, je dois l'avouer… J'ai réagi comme un idiot. Dès que mon regard a croisé celui de Yennefer, j'ai senti mes joues chauffer. C'était plus fort que moi. Elle avait cette aura, cette beauté presque irréelle. Toute ma vie, j'avais vécu entouré de murs d'hôpital, loin de ce genre de personnes. Alors, face à elle, j'étais complètement désarmé.
Yennefer, bien sûr, n'a pas laissé passer l'occasion. Elle s'est mise à me taquiner dès qu'elle en avait l'occasion, une petite étincelle moqueuse dans ses yeux violets. Triss, en revanche, était beaucoup plus douce.
Elles étaient toutes les deux à Kaer Morhen pour nous entraîner, Ciri et moi. Triss m'a pris sous son aile, car mes capacités étaient plutôt orientées sur l'offensif, tandis que Ciri travaillait avec Yennefer. Entre elles, l'ambiance était... tendue. Je ne comprenais pas tout, mais on sentait qu'il y avait une histoire entre elles. Yennefer taquinait souvent Ciri, mais chaque fois que je lui demandais pourquoi, Ciri changeait de sujet. Peut-être une crise d'ado ?
Quant à moi, après mon réveil, j'ai repris directement l'entraînement. Geralt m'avait prévenu que l'épreuve des herbes approchait. Il fallait que je sois prêt. Environ onze mois, d'après lui. Onze mois pour transformer mon corps et mon esprit en armes capables de survivre à l'impensable.
"Allez, ça suffit pour aujourd'hui," lança Geralt en me regardant d'un œil critique.
Reprenant mon souffle, je me mis à m'étirer. La douleur dans mes muscles était presque insupportable. Ce n'était pas de la fatigue, mais une brûlure constante, le signe que je repoussais mes limites. La danse-escrime de l'école du Loup était tout sauf une simple danse. C'était un mélange de mouvements fluides et de réflexes aiguisés. Chaque geste devait devenir un réflexe, une seconde nature.
"Tu t'améliores," ajouta Geralt. "Mais tes pas sont encore trop raides. Ton corps s'habituera avec le temps."
Je hochai la tête en silence. J'essuyai la sueur sur mon front, mais mon esprit était déjà ailleurs. L'épreuve des herbes. Ce mot seul suffisait à faire naître un malaise dans mon ventre. J'avais lu des récits sur cette étape du chemin des sorceleurs. Tous ne survivaient pas. Moi ? Est-ce que j'avais la moindre chance ? mais j'avais besoin de cette force pour protéger Ciri
"Va. Triss t'attend."
En sortant, je retrouvai Triss dans la plaine. Une vaste étendue d'herbe s'étalait sous un ciel clair, et elle m'attendait, son sourire doux illuminant son visage.
"Alors, comment tu te sens ?" demanda-t-elle.
"Mmh… ça va," répondis-je en haussant les épaules, un peu hésitant.
"Tu es sûr ? Si Geralt te pousse trop, dis-le-moi. Je m'en occuperai."
Son ton était calme, mais sincère. Et pour une raison que je ne comprenais pas totalement, ces quelques mots suffirent à faire naître un nœud dans ma gorge. Je ne savais pas pourquoi cela me touchait autant. Peut-être parce que personne ne m'avait parlé avec cette douceur depuis longtemps… depuis ma mère.
J'avais cru que je pouvais vivre sans ce genre d'attention, sans cette chaleur humaine. Mais à cet instant, je compris à quel point elle m'avait manqué.
Je détournai les yeux, gêné. Une larme roula sur ma joue, sans même que je m'en rende compte.
"Aiden… tu pleures. Qu'est-ce qui ne va pas ?" murmura Triss, s'approchant de moi.
Je portai une main à mon visage, surpris. Je frottai mes yeux rapidement, essayant de cacher ma faiblesse.
"Non, ce n'est rien," dis-je d'une voix tremblante. "Je suis juste… heureux, je crois."
Triss me fixa un instant, ses yeux scrutant les miens comme pour lire ce que je ne disais pas. Puis, elle hocha légèrement la tête.
"Viens, on a du travail."
Elle se détourna et commença à marcher à travers la plaine. Je la suivis en silence, appréciant l'apaisante légèreté de ses pas. Après quelques minutes, elle s'arrêta près d'une souche d'arbre qui semblait parfaitement placée, comme si elle nous attendait.
"Assieds-toi," dit-elle simplement.
Je pris place, un peu nerveux. Triss resta debout, le vent jouant avec ses cheveux. Son visage, qui jusque-là était chaleureux, se fit plus sérieux.
"Aiden, que sais-tu de la magie ?" demanda-t-elle.
Je réfléchis un instant avant de répondre, tâchant de formuler mes pensées.
"Je dirais… qu'elle est partout. Tout le monde peut l'utiliser, non ? Enfin, si on sait comment faire."
Un léger sourire effleura ses lèvres.
"Pas tout à fait. Tu as raison sur un point : la magie est omniprésente. Elle imprègne tout ce qui existe, l'air, la terre, les êtres vivants. Mais tout le monde ne peut pas y accéder. Certains y sont sensibles, d'autres pas. Et même ceux qui peuvent la manipuler ont souvent des limites."
Elle leva la main, et une flamme douce naquit au creux de sa paume.
"Les sorceleurs, par exemple, utilisent des signes, une forme de magie simplifiée. Mais si leurs doigts sont cassés, ou s'ils sont trop fatigués, ils ne peuvent plus les tracer. La magie a toujours un prix."
Je fixai la flamme, fasciné, tandis qu'elle la referma dans sa main, l'éteignant d'un geste.
"La magie peut être une bénédiction ou une malédiction, selon celui qui la manie," reprit-elle. "Aujourd'hui, je vais t'apprendre à sentir la tienne. À la contrôler."
Je hochai la tête, un mélange d'excitation et de nervosité bouillonnant en moi.
"Ferme les yeux," dit-elle. "Respire profondément. Vide ton esprit."
Je fis comme elle disait. Inspirant lentement, j'essayai de chasser mes pensées parasites. Les bruits autour de moi, le vent, les oiseaux,s'éloignèrent peu à peu, jusqu'à ne devenir qu'un murmure lointain.
"Bien. Maintenant, je vais poser ma main sur ton dos pour provoquer une réaction. Tu risques de sentir un picotement."
Sa main se posa doucement contre mon dos. Mais ce que je ressentis n'avait rien d'un simple picotement. Une vague de pression m'envahit, comme si mon corps était comprimé sous un poids invisible. Ma respiration se fit lourde, et un froid intense se propagea à l'intérieur de ma poitrine.
"Imagine ta magie," murmura Triss. "À quoi ressemble-t-elle, selon toi ?"
Je ne savais pas quoi répondre. La magie pouvait ressembler à tellement de choses… Mais une image claire s'imposa à moi.
"De l'eau," dis-je enfin.
"Bien. Imagine une rivière qui coule en toi."
Je fermai les yeux plus fort, laissant cette idée se matérialiser dans mon esprit. Je visualisai une rivière limpide, remplaçant mon sang. Son courant était doux, presque hypnotisant. Puis, en suivant ce flot, je vis une grotte où l'eau s'accumulait en un lac gelé. À côté de cette surface figée, un carré de verdure éclatant abritait un petit buisson. Perché dessus, une hirondelle me fixait.
L'oiseau tourna la tête, me regardant avec une intensité étrange. Puis il s'envola vers moi. Avant que je ne comprenne ce qui se passait, tout s'effaça.
Je revins à moi en haletant, trempé de sueur. Triss se tenait devant moi, un bouclier de flammes brillant autour d'elle.
"Ça va ?" demanda-t-elle, visiblement inquiète.
"Oui… je crois. Qu'est-ce qui s'est passé ?" balbutiai-je.
Je regardai autour de moi. Tout était gelé : l'herbe, les pierres, même l'air semblait figé.
"Tu es entré en méditation profonde, normalement réservée aux sorciers expérimentés," expliqua Triss. "Mais toi, tu as dégagé un froid si puissant que j'ai dû invoquer ce bouclier pour éviter que tout ne gèle. Qu'est-ce que tu as vu ?"
Je lui racontai tout, de la rivière au lac gelé, jusqu'à l'hirondelle. Triss resta silencieuse un long moment, son regard pensif.
"Ce que tu as vu, c'est ton noyau de mana. Chaque mage le perçoit différemment, en fonction de sa nature. Mais… un lac gelé et une hirondelle ? C'est la première fois que j'entends parler de ça."
Je baissai les yeux, frustré. Je voulais comprendre. Déjà que les pouvoirs de Ciri me paraissaient incompréhensibles, maintenant je me retrouvais avec cette magie étrange. Je voulais des réponses.
Triss dut sentir ma déception, car elle s'assit à côté de moi et tira doucement ma tête sur ses genoux. Ses doigts glissèrent dans mes cheveux, un geste rassurant.
"Ne te prends pas trop la tête, Aiden. Les réponses viendront en leur temps. La vérité finit toujours par se révéler à ceux qui savent attendre."
Son sourire doux chassa un peu de mes doutes. Alors, presque instinctivement, je lui posai une question.
"Triss… Comment as-tu rencontré Geralt ?"
Elle rit légèrement.
"Tu veux vraiment savoir ?"
"Oui, raconte-moi !"
"Très bien… Alors, tout a commencé…"
Pendant qu'elle racontait, un homme appuyé contre un arbre, un peu plus loin, nous observait. Ses cheveux blancs luisaient sous la lumière. Il sourit en silence avant de repartir vers le château. Un autre entraînement attendait le second enfant.
Petit commentaire ? ;)