V
L'arrivée à Madagascar est violente... Je viens de La Réunion, c'est-à-dire d'un pays riche, moderne, urbanisé, policé. Débarquer à Tananarive est une plongée dans les années soixante... sans doute la décennie de la construction de l'aéroport de Tananarive... Tana, pour les intimes...
Des amis de Simon sont venus nous chercher... Quand j'ai vu le genre des types... je n'étais pas vraiment rassuré... Simon m'avait prévenu... son pote était officiellement une sorte d'agent immobilier... et officieusement plutôt dealer, une sorte de chef de bande... je ne sais plus bien... Mais toujours est-il que le gars en question n'était pas venu seul. Et pour finir, Simon m'avoua qu'il lui devait du pognon... super... bel accueil...
Après la douane et les bagages, ils nous accueillent virilement, souriants... Le gars en question est accompagné de trois ou quatre bonshommes plus jeunes que lui, mais qui ne sont pas ses neveux... Plutôt le genre gardes du corps... nous les suivons à leurs voitures... Nous montons dans un beau 4x4 aux vitres fumées...
Deux voitures démarrent en même temps, nous sommes dans la première avec Simon et son pote, le chef, nommé Billy. Pour un Malgache, ça me fait marrer, intérieurement...
Le Billy a une bonne gueule de black, mais avec une pointe d'expression asiatique... quelque chose dans les yeux et la finesse des traits... Il s'appelle Billy... il fait comme il veut... Moi j'm'en tape. Content d'être pris en charge... Merci les gars... Bonjour chez vous...
À la sortie de l'aéroport, l'on passe des années soixante aux années trente... puis directement au Moyen-âge, c'est hallucinant... Avec comme seule transition, bien visible de la route... un complexe rutilant, des bâtiments design et ultra sécurisés, c'est l'ambassade américaine... d'une modernité incongrue au milieu des rizières et des charrettes à bras...
L'arrivée sur Tana est néanmoins magique... La ville est entourée de douze collines qui se reflètent dans les grandes rizières de la plaine... Nous passons au milieu de l'eau... de digue en digue avant d'arriver... en plein embouteillage, au centre de la ville...
Des voitures sans âge, des camions hors d'usage s'entremêlent dans un flot de circulation anarchique... Le plus impressionnant est encore les enfants, qui tirent ou traînent des chariots géants entre ces files d'automobiles sauvages, au beau milieu des voies rapides... Il y a aussi des charrettes tirées par des zébus... cette foule indescriptible tantôt à pied, tantôt en bus, ou à vélo se dirige vers différents quartiers de la capitale...
Nous traversons le secteur des grands hôtels et de l'ancien gouvernement colonial, devenu résidence du Premier ministre... Nous nous arrêtons juste après, au Jean Laborde, un hôtel-bar-restaurant... le QG de Simon... dans le quartier d'Isorak...
Tout le monde descend et je suis le mouvement. Dans l'établissement... je passe devant un agent de sécurité à l'entrée... puis un étroit couloir... et nous arrivons dans une pièce... sombre... toute en bois.
Un comptoir, quelques tabourets et des étagères avec des bouteilles bien alignées... font office de bar et de réception pour l'hôtel... Dans un coin s'ouvre une salle de restaurant, quelques tables et un couloir sombre qui mène vers des chambres...
Une grande fresque au mur de l'entrée, au trait naïf... représente une vue de Tananarive... et au premier plan... un militaire... au nom de l'établissement... ce mystérieux Jean Laborde... un militaire... inconnu au bataillon pour moi...
Sur des étagères poussiéreuses trônent des modèles réduits de voitures, en métal de récupération... produit classique de l'artisanal malgache... L'une des reproductions miniatures est celle du bus 67... Un bus parisien qui relie Pigalle à la porte d'Italie, un bus que j'ai pris pendant une bonne dizaine d'années pour aller bosser... Ça me rapproche de Paris... je sens bien l'endroit...
Des touristes déposent des clés et passent au milieu de nous... Une femme de chambre s'active au fond d'une pièce, tandis que l'on perçoit du bruit venant de la cuisine...
Simon me présente derrière le bar et les volutes bleues de sa cigarette... à un personnage immobile... Les cheveux gominés et tirés en arrière... une chemise impeccable sous une veste à rayures... un verre à la main... C'est Dominique...
Le flegmatique Maître des lieux... un port de tête impérial... jupitérien même ! Une vraie tête de tonton flingueur... on le croirait sorti d'un film en noir et blanc... sapé à l'ancienne... comme à Pigalle... Vintage qu'il est le Dominique... un régal pour les yeux... tanqué derrière son bar... les bouteilles à portée de main... Il semble régner sur cet univers hôtelier... en seigneur incontesté...
On prend l'apéritif... un verre... deux verres... trois verres... Dominique nous sert presque sans bouger ni parler... J'aime vraiment bien l'endroit... Un parfum de mystère et de nostalgie s'en dégage...
J'ai l'impression d'être dans une maison de passe... mais version... "Au bon vieux temps des colonies"... genre Lulu la Nantaise... en Malgachie...
L'exact inverse de ces hôtels modernes à la déco pseudo-locale... palmiers nains et chaises en bambou... décor préféré, mais trop répandu du voyageur éco responsable moyen contemporain...
Billy et ses acolytes ne boivent pas et nous laissent assez vite... Rita arrive... Rita est la femme de Simon, Malgache, jolie femme aimant la musique et la fête... Rita a débarqué avec leur fils... Adam, âgé de cinq ou six ans... le petit joue dans un coin... Nous remplissons de nouveau les verres...
Nous racontons à Rita et Dominique, notre rencontre avec Simon, nos péripéties... Simon me remercie sans arrêt de lui avoir permis de rentrer à Mada une semaine ou deux avant la date qu'il avait prévue initialement... il est vrai que cela lui permet de revoir Rita plus tôt... Rita est enjouée et nous fait rire... Simon, râle encore... contre je ne sais plus quoi... mais est bien moins bougon que d'habitude...
Dominique me raconte un peu Mada et Tana, comme l'on dit ici... et l'histoire aventureuse de ce Laborde... Dom a donné ce nom à son établissement... en mémoire de ce pionnier de la présence française sur l'île... Une clope et un verre à la main... je me sens bien... mieux qu'à La Réunion...
D'un coup, la lumière s'éteint... Ils m'expliquent que c'est une coupure due à un mouvement de grève du personnel de la JIRAMA... la compagnie publique d'électricité locale... Tout le monde se marre... On est bien dans une ancienne colonie française... Le temps que Dominique trouve une bougie, la lumière revient... Ils me disent que ça arrive souvent dans le pays... tout le charme de l'Afrique...
Dominique reprend sa conversation sur Jean Laborde, cet authentique aventurier du XIXe siècle... J'apprends que c'est le Français le plus connu de Madagascar... un héros national... un bienfaiteur même... des rues portent encore son nom dans toutes les grandes villes de l'île...
Jean Laborde a eu une vie et un destin hors du commun... né en 1805 à Auch, il part de Bordeaux à vingt-deux ans courir l'aventure, d'abord en Inde, à Bombay puis échoue, à la suite d'un coup de vent fatal pour son navire, à Madagascar...
Il y restera toute sa vie, exerçant tous les métiers, de simple colon, à fabricant de fusils, avant de devenir premier conseiller de la Reine et même le premier consul de France à Madagascar...
Dominique me glisse que le Laborde serait même allé jusqu'à se taper Sa Majesté... pour mieux asseoir sa prépondérance face à l'ambassadeur English qui manœuvrait de son côté... avec les mêmes armes... dans le but inverse... Bon... allez savoir la vérité... mais Dominique en profite pour en tirer des généralités sur les femmes en général... et malgaches en particulier... Je me marre...
Jean Laborde, missionné par Ranavalonana Première du nom... devint un industriel brillant, créateur de nombreuses manufactures locales... admiré, envié puis déchu... ruiné... exilé, mais quelques années plus tard, rétabli dans ses biens et titres, par la reine suivante, il eut même droit à des funérailles nationales ! Beau parcours... pour un naufragé...
Il eut une vie exceptionnelle avec tous ses ingrédients romanesques; l'aventure, la guerre, l'argent, l'amour, la reconnaissance, les succès... et les échecs. Mais il fut aussi et surtout au service de tout un peuple... Reconnu aujourd'hui par les Malgaches comme un homme ayant œuvré au-delà de lui-même, au bien-être de Madagascar, à son développement économique et à sa modernité... jusqu'à même en devenir l'un de ses tout premiers héros nationaux...
Certains critiquent une époque... coloniale... mais il faut bien comprendre que Jean Laborde pour y avoir consacré sa vie entière... aimait forcément et ardemment ce peuple et ce pays... comme la grande majorité d'ailleurs, des Européens nés ou éduqués en Afrique ou en Asie et qui ont aimé passionnément, ces espaces immenses, envoûtants et mystérieux...
Simon me dit que la maison historique de Jean Laborde a même été préservée, à travers les siècles, malgré les révoltes et les révolutions... dans ce pays singulier où rien ne semble pouvoir durer... la ferme d'un colon, sauvegardée et même offerte en souvenir à l'ancienne puissance impérialiste... la France... ce n'est pas rien tout de même...
J'ai les crocs. Nous laissons Dominique derrière son comptoir et allons dîner, Rita, Adam, Simon et moi dans un restaurant de la ville... au standard européen... Je suis surpris... Je vois que l'on vit bien aussi dans la capitale malgache, malgré la misère extérieure, le dénuement complet, que l'on voit le long des rues... Le restaurant est plein. Bon... surtout par des clients européens, les Malgaches présents sont principalement des femmes...
Ravis de notre arrivée, nous trinquons et dînons dans une atmosphère légère... Ça me change agréablement de la case avec les chats... Nous rentrons directement après le resto, enfin dormir chez eux, grâce à leur chauffeur privé et à sa voiture... une vieille guimbarde... marrant...
À Mada, tout le monde a une voiture avec chauffeur... qui est souvent, aussi, un peu garde du corps, en cas de vol à l'arraché ou à la portière... il faut se méfier... surtout en voiture... et la nuit... m'explique Simon...
La maison est assez loin du centre-ville, excentrée, presque en banlieue. Il s'agit d'une grande maison... dans un quartier résidentiel...
Nous arrivons... Le chauffeur klaxonne deux petits coups secs... un grand portail s'ouvre... Les résidences, dans le coin, sont toutes entourées de hauts murs et ont de lourds portails... par protection... contre qui ? De possibles émeutes... me dit Rita...
Un gardien nous ouvre, deux chiens dobermans sautent comme des fous dans les phares de la voiture... nous montons une forte rampe avant de nous arrêter devant une belle façade... nous descendons, une femme vient nous aider avec le gamin et les bagages... Il y a du personnel... la maison a effectivement l'air géante... le gardien et le chauffeur disparaissent... Il fait nuit... Nous rentrons dans la maison...
Au rez-de-chaussée, il y a un dédale de couloirs, une cuisine... presque vide... à nouveau un couloir vide... puis une première pièce, grande, énorme même, avec juste une table à un bout... Après un autre salon, totalement vide, lui aussi, aucun meuble, rien aux murs... nous montons à l'étage, au premier où il y a encore une grande pièce... quelques meubles fatigués... une télé... une table basse encombrée... un canapé... c'est leur salon...
Rita me montre ma chambre, au deuxième étage... La maison est vraiment énorme... mais entièrement vide... à part ce petit salon, et leurs chambres...
Rita et le gamin vont se coucher... Nous prenons une dernière bière avec Simon, qui me fait faire le tour du propriétaire... il me montre le jardin, en friche... la piscine, verte, hors service... les différentes pièces du rez-de-chaussée... toutes vides... Une coupure d'électricité stoppe net notre visite... Simon m'explique à la lueur d'une bougie qu'il a lâché le boulot peu à peu... fait de mauvaises affaires et bazardé les meubles petit à petit pour payer les créanciers...
Sur cette dernière coupure... nous allons nous coucher... contents d'avoir quitté La Réunion et son humidité permanente... Ici au moins je respire bien, l'air y est frais. C'est vrai que Tana est à plus de mille mètres d'altitude... La journée a été longue... et après un dernier regard du balcon, au grand ciel étoilé, nous rentrons pour tomber dans les bras de Morphée...
Je prends juste une dernière douche avant de me coucher... et dans une vraie salle de bain pour la première fois depuis un mois et demi... Un seul filet d'eau coule... mais elle est chaude... Quel luxe ! Ça me change quand même de la case... Noir... tiens... nouvelle coupure... Bienvenue à Mada...
Je dors super bien pour la première fois depuis plus d'un mois et demi... sans mes araignées et mes blattes... quel bonheur !
Le lendemain, je me lève tôt dans la matinée... et descends... me faire un café, la priorité du matin pour moi... Dans cette grande maison vide, au détour d'un couloir, je finis par retrouver la cuisine... Je vois une antique bouilloire abandonnée sur un des quatre feux d'une énorme cuisinière... C'était bien du café... mais merde... vide...
Je me demande comment en refaire au moins une tasse, lorsqu'une dame sortie de nulle part... me propose, en langage des signes, de s'en charger... J'accepte sans attendre et sors dans le jardin... Je m'installe à une table, sous un frais soleil... face à une vue idyllique de la campagne malgache...
La banlieue de Tana dans ce coin-là, c'est la vision pittoresque, le cliché de Madagascar... Un fond de vallée verdoyant, des rizières alimentées en eau par un canal, ses maisons hautes et étroites avec cet ocre caractéristique, qui donne son nom à l'île rouge...
La gentille dame m'apporte mon café... Bon... Je fais le point... Me voilà dans un pays inconnu, chez de parfaits étrangers... pour une durée minimum d'un mois... Nous avons des billets aller/retour pour une durée de trente jours... Simon devra retourner à La Réunion à cette date-là, remplacer un dentiste... Moi, mon visa pris la veille à l'aéroport dure un mois également... J'ai donc tout ce temps-là, pour visiter le pays...
Je fais le tour du jardin et de la maison... C'est vraiment une belle maison et un grand jardin... Il y a déjà des gens dans tous les coins... Un gardien, le chauffeur de la veille qui s'active autour de sa voiture, une vieille Peugeot pourrie... Une cuisinière, celle qui m'a fait mon café... et aussi une femme de ménage qui nettoie les sols... à genoux sur le carrelage... à l'ancienne... dans cette grande maison vide... le décor est parfaitement surréaliste... J'adore...
Je me demandais seulement comment Simon payait tout ce petit monde et la baraque en prime... vu qu'il était fauché... Sa femme... peut-être... d'ailleurs, Rita apparut rayonnante... Simon suivit immédiatement derrière... déjà au téléphone...
Après son coup de fil, Simon me salua, mais pressé, me dit qu'ils allaient en centre-ville dans dix minutes... je les accompagnai...
Je pris mon appareil photo, et j'eus tout le loisir, durant les embouteillages de me rendre compte de la misère malgache qui défilait sous mes yeux... Des gamins couraient pieds nus entre les voitures et des mères assises à même les trottoirs avec des enfants dans les bras semblaient attendre une improbable charité, au milieu d'une foule de piétons pressés... Cette misère semi-rurale mélangée à ce vrai prolétariat urbain, zolien, faisait vraiment mal au cœur à voir...
Pour un Occidental moyen, toute cette populace vêtue de haillons, fréquemment handicapée, amputée, atrophiée, survivant et dormant au beau milieu de la rue... c'était dur... Je n'avais qu'une envie, c'était de m'arrêter au premier feu rouge et de descendre les aider tous... ou bien... de déguerpir direct à l'aéroport pour un pays à la pauvreté moins frappante...
Au bout de trois jours... cette sensation disparaît... C'est terrible à dire, mais on s'habitue à la misère comme à tout... on n'y pense plus, on n'y fait plus attention... comme tout le monde, les cons de touristes insensibles, les expats ou les Malgaches eux-mêmes...
On arrive enfin dans le centre-ville, nous prenons un solide petit déjeuner dans un ex-grand hôtel colonial décrépi, Le Colbert... À l'ameublement, on pourrait se croire en 1960. Simon téléphone encore... Il semble avoir mille choses à régler, mille personnes à voir...
De la terrasse, nous surplombons la ville et faisons face à l'une de ses collines... Une grande bâtisse carrée émerge de son sommet. Rita m'explique que c'est la cité royale de Manjakamiadana... conçue en partie par Jean Laborde et plus connue sous le nom de château de la Reine Ranavalonana, première du nom...
Les noms des lieux à Madagascar sont non seulement imprononçables, mais aussi difficiles à retenir... C'est bien la caractéristique principale de la langue malgache, ces noms à rallonge... J'apprends d'ailleurs qu'on élude à l'oral, la dernière syllabe d'un mot ou d'un nom, un peu comme en corse quoi... Et c'est pourquoi Antananarivo, la capitale, qui signifie la cité des mille guerriers... devint pour nous, Tananarive...
Nous passons la journée à suivre Simon dans ses rendez-vous, aux douanes, au resto d'un pote, au bureau d'un autre... Je suis docilement et ce n'est pas plus mal comme ça... je visite la capitale en ayant un bon aperçu de la vie locale...
Une caractéristique sympathique pour nous... c'est le nombre de voitures françaises qui roulent encore dans les rues de Tana... Les taxis sont presque tous des 2 chevaux Citroën ou des 4L Renault de la grande époque, délabrées au possible, rafistolées dans tous les sens... un nombre incalculable de fois... Mais elles bravent quotidiennement encore et toujours depuis plus de quatre-vingts ans les collines et les embarras de la capitale malgache...
Je suis monté dans des tacots vraiment improbables ici, les portières ne fermaient pas, ou bien l'on voyait défiler la route sous nos pieds à travers le plancher rouillé... ou bien encore et plus inquiétant... le chauffeur avait son réservoir de carburant personnel, une bouteille en plastique à côté de lui, pleine d'un liquide jaunâtre, de l'essence, reliée au moteur par un tuyau en plastique... Défense de fumer...
On croise aussi beaucoup de Peugeot de toutes les époques... de tous les modèles... 203, 403, 404... J'ai vu aussi des dauphines bicolores, des tractions avant rutilantes... de belles voitures anciennes en excellent état... Madagascar est le Cuba français en fait...
À tel point paraît-il que comme à La Havane pour les vieilles américaines, l'exportation est interdite... ces vénérables véhicules sont carrément déclarés patrimoine national...
Mis à part ces reliques franchouillardes... les voitures modernes que nous croisons aujourd'hui sont comme dans tous les autres pays du monde, de gros 4X4 asiatiques aux vitres teintées et plus rarement quelques berlines allemandes noires...
Sinon la voiture de monsieur Tout-le-Monde, si l'on considère la classe moyenne, ce serait plutôt une Renault Dacia ou une Toyota d'occasion... Comme chez nous, de tristes carrosseries sans âmes...
La France est le méchant colonisateur historique... mais son influence disparaît peu à peu du pays au profit notamment des Chinois, qui goudronnent les routes, ou des Canadiens qui exploitent le sous-sol minier... en virant, si l'on en croit la presse locale, des villageois de leur terre pour en forer le sol... Charmant... C'est à se demander ce qu'ils ont gagné au change depuis l'indépendance de 1960... La liberté ? Personnellement... je préfère avoir à manger avant d'être libre... et libre de quoi ? en général... de crever... d'une balle... ou de faim... et de toutes manières il suffit de regarder l'histoire de l'humanité pour comprendre qu'on est toujours le colonisé de quelqu'un d'autre...
Avec tous ces évènements, les très jeunes ne parlent plus vraiment le français... Ils ne l'apprennent plus à l'école, quand ils y vont... au profit, comme quasiment partout, d'un anglais de cuisine...
Cette influence tricolore devrait perdurer malgré tout, car les Malgaches adorent discuter, râler, lire, écrire, danser ou chanter ! Bref, ils sont hédonistes et inconséquents... un peu comme des Gaulois...
Seuls les Malgaches, âgés de plus de cinquante ans, donc nés avant l'indépendance, parlent encore un très bon français... Ces anciens ont d'ailleurs très souvent encore, la double nationalité... privilège envié sur toute l'île... ironie de l'histoire...
Il faut lire aussi la presse francophone pour constater que les journalistes malgaches utilisent quotidiennement une langue française délicieusement surannée et créolisée... comme d'ailleurs et c'est même plus important... les milieux artistiques et universitaires...
Et puis, par-dessus tout... lien indéfectible avec l'ex-mère patrie... Les Malgaches sont champions du monde de pétanque ! Cocorico ! Seul "sport", pour l'instant, où la fierté nationale peut exulter sans entraves...
Je me suis laissé dire quand même, par Simon, qu'ils devraient devenir bons un jour au Rugby. Ils ont de beaux gabarits en réserve, petits, mais très costauds et misère oblige... durs au mal...
Nous finissons l'après-midi au Jean Laborde, le bistrot où nous sommes arrivés hier soir. Dominique en bon taulier est toujours là... derrière son comptoir... tiré à quatre épingles comme hier, dans un pays où tout le monde se balade en tee-shirt... Faut l'faire... Ça me donne presque la nostalgie du pays... Ça s'arrose...
Il est 18 heures et nous prenons l'apéro, puis nous entamons la soirée, le dîner et la nuit en boîte. On enchaîne comme si de rien n'était et nous voici à 23 heures à nous trémousser sur une musique locale de merde, un verre à la main et une clope au bec... entourés de gonzesses... contents...
J'ai rien vu passer de la soirée... Je suivais... Après le dîner, dans je ne sais plus quel resto, nous sommes maintenant dans un bar-discothèque... Le Manson... Une fois franchie la sécurité et montés les escaliers, la musique m'envahit. Devant un comptoir qui fait le tour d'une grande pièce... se pressent un tas de mecs, des touristes... et puis des filles... plein de filles...
Il y a un étage de plus, une terrasse sympa, du monde et de la musique partout... Ça à l'air d'être le bon endroit pour faire la fête, surtout pour moi, qui depuis ma dernière conquête à La Réunion, n'avais plus rien eu à me mettre sous la... dent...
Au comptoir, nous commandons à boire, les filles s'agglutinent autour de Dominique... Il a l'air d'être connu comme le loup blanc ici... Elles viennent le saluer... d'ailleurs, tout le monde salue Dominique ici... et le patron du club en premier... Depuis plus de vingt ou trente ans qu'il est là... Ça ne m'étonne guère... Il a l'air d'être un peu le papa de tout le monde... sinon le Parrain...
Les verres ne coûtent rien, trois à quatre fois moins chers qu'en face à La Réunion... La bière et le rhum coulent à flots... Nous sommes là depuis à peine dix minutes que déjà trois filles en talons hauts et petites robes sexy... sont venues se frotter à moi...
Sous le regard goguenard de Simon et Dom, je ne tarde pas à jeter mon dévolu sur l'une des nanas qui se dandinent devant moi... Simon ne m'a pas menti... Mada question gonzesse c'est le paradis... Ça va être dur de résister... genre carrément impossible... il y en a des tas et quelques-unes de réellement jolies en plus...
Nous enchaînons un peu plus tard avec une autre boîte... La plus ancienne de Tana... Le Caveau... où Dominique a du monde à voir... Nous partons, j'embarque la fille avec nous...
Après cinq minutes de taxi à travers la ville endormie, nous voilà à l'entrée de ce temple des dancings de Tananarive connu de plusieurs générations de militaires et de mercenaires en tous genres... Une survivance étonnante de la grande époque...
Même ambiance, mais en sous-sol... moins de touristes, mais tout autant de filles... Pas mal de Malgaches... costauds, secs et nerveux, des militaires sans doute...
La cave est enfumée comme à Saint-Germain-des-Prés à la grande époque du jazz... On nage dans la fumée de cigarette... Ça pique un peu au début, mais c'est toujours plus supportable que l'odeur âcre de la sueur dans les boîtes non-fumeurs d'aujourd'hui... La seule façon pour moi, de rester dans un sous-sol sombre et bondé, c'est vraiment de pouvoir fumer...
À Mada, on peut encore partout s'en griller une... quelle sensation de liberté ! Pourvu que ça dure...
Dom et Simon discutent avec le patron du coin... un vieux Malgache black, imposant et bien sapé comme Dominique... la classe... Au bout d'un moment... je salue tout le monde et je sors... Je laisse la bande au comptoir... Je suis cuit... et puis surtout je rentre avec la petite Malgache, sa petite robe verte et sa perruque traficotée... chez Dom... J'ai négocié avec lui, une chambre au Laborde, juste à deux pas d'ici...
Dans la chambre d'hôtel, j'aperçois de la salle de bain où j'essayais de prendre une douche sous un mince filet d'eau maronnasse... la nana allongée de tout son long sur le ventre et sur le lit... le bras tendu... vers la poche de mon pantalon qui était par terre... tenter de choper du bout de ses petits doigts des billets de la grosse liasse de fric malgache qui s'y trouvait...
Il faut dire qu'à Mada, quand on retire du liquide, aux rares distributeurs de la ville... juste cent euros par exemple... on se retrouve en général avec plus de trente ou quarante biftons à la con... Ça fait beaucoup pour une seule poche de jeans...
J'enlevai la liasse de sous ses yeux... mais ne lui repris rien... Dom et Simon m'avaient mis au courant des us et coutumes de la nuit tananarivienne... Les filles ne parlent pas d'argent le soir... Mais le lendemain matin, si je prenais le risque de la laisser dormir avec moi, ce qu'ils m'avaient franchement déconseillé, elle ne devait me demander que des frais de taxi... un petit billet pour rentrer chez elle... l'équivalent de trente euros... C'était bien la moindre des choses que je pouvais faire pour elle... et ça ne changeait finalement pas beaucoup pour moi... J'avais connu des petites bourges parisiennes qui m'avaient demandé bien plus pour filer en tacot...
Après avoir caché préalablement mes talbins ailleurs que dans mon pantalon... Je passai assez agréablement le reste de la nuit...
J'eus, cependant, ce matin-là, un peu mauvaise conscience d'avoir eu recours, pour la première fois de ma vie, à une relation non pas tarifée, mais disons... pudiquement... dédommagée...
Je me rachetai une conscience en lui donnant le double ou le triple de ce qu'on m'avait conseillé... Comme m'avait dit Simon la veille... céder au plaisir une fois à Mada... c'est une histoire d'amour, deux fois ça devient du tourisme sexuel... Je m'en tins donc à cette unique... fois... enfin... pour ce premier mois...
Je rentrai aussi, après avoir quitté l'hôtel, chez Simon par mes propres moyens... Ce fut assez facile... les chauffeurs taxis parlent tous un français de base... et j'avais noté l'adresse... imprononçable...
Les jours qui suivirent se passèrent à peu près de la même manière... Nous partions ensemble de la maison le matin et nous vaquions chacun à nos occupations. Nous nous retrouvions au Laborde aux heures de l'apéro... assez variables dans ces contrées lointaines... ce qui n'était pas pour me déplaire...
VI
Un dimanche, nous sommes invités chez Billy, le gars qui est venu nous chercher à l'aéroport... avec sa bande... Nous arrivons peu après le déjeuner... Comme partout ici, un large portail et de hauts murs cachent un grand jardin et une grosse maison...
Après le portail, une demi-douzaine d'hommes s'activent pour nous faire signe de nous garer à un endroit précis, devant une rangée de 5 ou 6 bagnoles... toutes récentes et aux vitres teintées... Nous descendons, Billy s'avance vers nous les bras ouverts... En arrière-plan se dessine un beau jardin exotique, derrière encore, après quelques marches, une énorme maison moderne sans charme, en béton, inachevée, montre par endroits, des travaux en cours... Sur un des côtés se trouve une grande terrasse où une famille termine de déjeuner...
Dans de grandes cages grillagées, des lémuriens apathiques nous regardent passer... le long des allées, des chiens courent entre nos jambes... le gravier du jardin mène à une fontaine centrale, kitsch à souhait... Je suis un peu sur le cul... J'ai vraiment l'impression d'être en Sicile là...
Nous approchons de la maison, montons sur la terrasse et saluons la famille, Billy nous propose de faire le tour du propriétaire... Simon et moi le suivons... Rita reste avec les femmes et les enfants. Les hommes de sécurité ou de mains je ne sais toujours pas... nous encadrent toujours...
Simon m'explique que Billy fait aussi dans l'immobilier... Il nous montre, fier et orgueilleux, les aménagements de sa fastueuse maison... De grandes pièces, un énorme escalier, et même une sorte de tour de guet d'où l'on voit tout le quartier alentour... Une fois finie, la maison devrait avoir une surface habitable de pas loin de mille mètres carrés... dans un des pays les plus pauvres du monde... bravo... Il y en a au moins un qui s'en sort bien...
De retour sur la terrasse désertée par la famille... nous nous asseyons autour de la grande table... Billy sort deux petits pots en terre cuite... Il enlève les couvercles... l'un est rempli d'une poudre blanche, l'autre d'une poudre marron... D'accord...
Simon et Billy se mettent à parler de leurs affaires... J'ai encore prêté un peu d'argent à Simon pour qu'il puisse régler ses comptes avec ce mec... Je n'écoute pas la conversation... de toute façon je n'y comprends rien, ils discutent moitié en créole, moitié en malgache... Ça a l'air d'assez bien se passer...
Billy, prolixe, beaucoup plus que la première fois, part encore dans ses histoires immobilières... la construction d'un complexe touristique... au nord du pays... en bord de mer... à la place d'un village de pêcheurs... J'ai un peu de mal à comprendre dans quel secteur d'activité exerce exactement notre hôte... Simon me dit qu'il a commencé pieds nus dans la rue... qu'il a travaillé comme un chien avant de pouvoir jouir de tout ce que nous voyons aujourd'hui autour de lui... Un self made man... une success-story version malgache...
Nous prenons encore un verre... Mais Billy reçoit un coup de fil et s'éloigne... nous restons entre nous, on s'active autour des pots... La famille à l'écart joue avec les enfants... Les autres hommes parlent entre eux, rigolent...
Nous avons juste le temps de fumer... avant de ranger les pots... quand Billy revient... Il nous dit être désolé, mais il a un contretemps, un rendez-vous et doit partir immédiatement...
Je comprends que nous devons y aller aussi... Ses hommes s'agitent, Billy donne des ordres, la famille rentre sans moufter... Nous nous levons sans mot dire... et retraversons le jardin, les voitures démarrent... un convoi s'organise...
Billy s'excuse encore une fois... mais il doit voir le ministre de l'Intérieur... Je tombe des nues... Un ministre ! Et de la Police encore ! Ça, c'est la meilleure ! Il est flic ou voyou ce gars-là ? "Les deux, Garçon !" me dit Simon.
Bienvenue à Mada... Toute une file de voitures s'élance à travers le portail de nouveau grand ouvert... Avant de partir, je remarque des barbelés sur les hauts murs... nous roulons... le portail se referme aussitôt derrière nous... Drôle de pays...
Nous retournons au Jean Laborde, raconter notre aventure à Dom... Il n'en fut pas plus surpris que ça... il nous raconta ses propres histoires lorsqu'il fut confronté, vingt ans plus tôt, lors de son installation, à la corruption malgache... Il était intarissable sur le sujet... tout au long de son monologue, il me fit penser à ce personnage de télévision... nommé Higgins... un ancien combattant so british de la série hawaïenne... Magnum...
De son arrivée trente ans auparavant dans l'océan Indien, de l'île Maurice à Madagascar... Dominique avait vécu à peu près tout et en savait des tonnes sur les affaires locales et les histoires de mœurs... ce n'était pas triste...
Ce qui chez nous, en Europe, enverrait n'importe qui derrière les barreaux, est considéré ici comme la manière la plus normale du monde de faire des affaires... Après ce que j'avais vu chez Billy... je n'en doutais plus un instant...
À Madagascar, le plus drôle reste que l'on sent chez toute cette classe corrompue, c'est à dire chez à peu près tout le monde... politiques comme fonctionnaires le souci de légitimer administrativement, toute extorsion de fonds...
Ici, abrités derrière la Loi... certains d'entre eux vous rendent visite poliment... et vous informent d'un nouvel impôt, malheureusement obligatoire... d'une assurance ou d'une licence supplémentaire à prendre... certes désagréable, mais indispensable... Ils vous disent que ce serait mieux pour tout le monde... non seulement pour votre propre sécurité, mais aussi et surtout pour celle de votre famille... Bref... tout le monde se fait siphonner...
Sauf que ça se complique quand ils sont plusieurs à venir vous taxer... Et c'est là me dit Dominique... qu'il faut être protégé... avoir des relations... et lui en avait... Elles lui avaient servi plus d'une fois !
Dom me raconte encore, que le Malgache est souriant, mais qu'il peut péter un câble assez soudainement... Pour une raison apparemment anodine pour nous... mais qui, pour lui, va prendre une ampleur extraordinaire... question d'honneur et de dignité... Un casus belli... un affront lavable uniquement dans un bain de sang... C'est sans doute leur côté asiate... puisqu'ils viennent, paraît-il, de par là-bas... Un atavisme profond... un côté extrêmement chatouilleux venu du fond des âges extrêmes orientaux... Allez savoir...
Les enlèvements de personnes sont également légion dans le pays... Ils ne visent pas seulement les blancs... mais aussi les Malgaches... Tout le monde paye sa rançon... ou pas... avant de se venger... toujours... ce qui crée des guerres de familles, de clans, de tribus... d'ethnies... à n'en plus finir...
Comme les Corses, les Malgaches ne sont pas îliens pour rien... ils ont le sang chaud et les crimes de la société malgache d'aujourd'hui se superposent aux coutumes tribales... ce qui leur donne d'ailleurs un côté assez pittoresque...
Dom me relate aussi l'histoire d'une vieille et gentille madame, une de ses anciennes cuisinières... Un jour, dans la rue à côté du Laborde se forme un attroupement... Un présumé voleur est arrêté et on lui passe plusieurs vieux pneus autour de la taille, pour l'immobiliser... La foule s'apprête à l'asperger d'essence... à l'enflammer (coutume locale) pour le punir de son soi-disant délit... mais ils n'ont pas d'essence... Alors la vieille et gentille petite dame serait rentrée à l'hôtel demander poliment à Dominique de l'essence pour foutre le feu à l'autre pauvre malheureux... Au secours le niveau d'empathie... Bienvenue au Moyen-âge... c'est les Visiteurs...
Sinon, il y a aussi au palmarès des turpitudes malgaches, les voleurs de zébu... les Dahalos comme on les appelle... Des bandes de plusieurs dizaines d'hommes parfois plus... qui volent quotidiennement des zébus à des élevages privés ou à d'autres villages... Coutume guerrière ancestrale ou banal crime vénal ? Sans doute un peu des deux...
Et le détail qui tue si j'ose dire... La presse chaque jour fait le décompte morbide du nombre de zébus volés et surtout celui des voleurs, exécutés sommairement par les forces de l'ordre... parfois plus de cinquante à la fois...
Tout cela est la conséquence de la culture malgache si l'on y tient, mais aussi et surtout aujourd'hui de cette corruption généralisée... À côté de cette pauvreté extrême, insupportable... visible à tous les coins de rue de la capitale, ces enfants sur des tas d'ordures, pieds nus, ou ces familles de mendiants à même le trottoir, qui demandent la charité à des gens à peine plus riches... Quel scandale ! Et la population n'est que de vingt millions d'habitants pour un pays plus grand que la France !
Le plus impardonnable, dans tout cela, c'est que ce pays est riche, très riche ! De son sous-sol, de son sol fertile et de ses côtes maritimes, de ses ports... On y trouve de tout ! De la vanille au aux pierres précieuses (sauf le diamant), des essences de bois exotiques en quantité. Sans parler des "terres rares"... cette ressource minérale de première importance pour les batteries électriques d'aujourd'hui... Pays béni des dieux aussi par son climat généreux, malgré les tornades, avec une mousson qui donne deux récoltes de riz par an...
Ce pays a tout pour être heureux... mais son bonheur est confisqué. Pas par une seule, mais par des classes dirigeantes, de chaque grande ethnie malgache... Elles se partagent l'alternance démocratique, se répartissent chacune à leur tour, les postes et les dividendes, à tous les niveaux... Classique et pitoyable à la fois... Décidément, la nature humaine ne surprend jamais et déçoit toujours...
Et Dom de me citer de Gaulle qui aurait dit un jour : "Madagascar est un pays d'avenir... et il le restera". Sur ce coup-là... il ne s'était pas trompé...
Malgré la colonisation, les Français paraissent toujours assez bien acceptés... Dominique me parle d'un sujet un peu tabou... les insurrections de 1947, date à laquelle le Mouvement démocratique de la révolution malgache (MDRM), lança une rébellion sanglante... s'attaquant indifféremment aux colons français comme aux Malgaches travaillant pour l'administration locale... la répression fût sans pitié... Le bilan total pour la période se monte à 11 000 morts selon le recensement de 1950 ou à plus de 100 000 pour certains partis malgaches...
La réalité est sans doute, plus ou moins, entre ces deux nombres... mais d'après la majorité des historiens, la plupart des victimes furent prises entre deux feux et moururent plus souvent de la famine engendrée par cette révolte que sous les balles françaises... On parle de 20 000 à 30 000 morts. Il ne faut pas non plus oublier que le conflit était aussi interethnique... le MDRM, voulant en effet se débarrasser de l'ethnie dominante, les Merines, d'origine indonésienne et favorables à la France...
Noir... Coupure... d'électricité... de 5 minutes... Nous finissons la journée au Jean Laborde avant d'entamer la tournée vespérale habituelle, un resto, le Manson et le Caveau... Parfois une autre boîte encore... comme le fameux Glacier... historique et glauquissime bar à musique... et à hôtesses... avant un arrêt à l'aube... au Colbert, pour un café et une pâtisserie... puis retour au Laborde, où j'avais désormais mes quartiers...
J'ai en effet quitté la maison de Rita et Simon, un peu trop éloignée du centre-ville et de la fête... pour venir m'installer chez Dominique...
Au Jean Laborde, j'étais à pied d'œuvre, si j'ose dire... J'avais tout à portée de main, il y avait un bar à l'accueil et un bon restaurant... que demander de plus ? Les boîtes... elles étaient juste à côté...
J'étais même devenu pote avec le patron du Manson, Marco... J'ai passé quelques soirées à discuter avec lui... à parler de gonzesses et de business... Son bar-boîte sur trois étages marchait très bien... toujours plein... et répondait aux trois règles infaillibles du commerce... 1, l'emplacement, 2, l'emplacement, et 3, l'emplacement... vieille blague... que me serinait jadis mon paternel et qu'il tenait lui-même d'un Auvergnat propriétaire du seul restaurant de toute l'esplanade de la Défense... Tu parles ! Il avait le seul resto potable au milieu de centaines de milliers de mètres carrés de bureaux...
Marco était vendeur... dans les 280 000 euros... Le soir même et avec mon petit capital... j'étais tenté... mais le matin suivant, dégrisé, je finis par me dire que je n'étais pas fait pour ça... ni venu ici pour cela...
Je passai alors mes premières journées seul, à essayer d'apprivoiser la ville, à me repérer... à flâner aux terrasses des cafés et des restaurants, bien pratiques pour observer à la fois la ville et les gens. Je regardais passer la population locale... dans ce milieu urbain, bordélique et pollué...
Le fait de devoir acheter chaque jour des cigarettes permet aussi de découvrir rapidement son environnement, de parler la langue, de demander son chemin... pour trouver un débit de tabac... En partant de Paris, j'avais vaguement eu la velléité d'arrêter de fumer, mais lorsque je vis que le prix du paquet de cigarettes local était à un euro ! C'en fut fini de mes bonnes résolutions...
Rita me fit découvrir, pendant que Simon cherchait toujours du boulot, un endroit vraiment agréable pour déjeuner et passer du temps au calme... En pleine ville... tout au bout de l'avenue de l'indépendance, anciennement avenue de la République. Artère principale de Tananarive, la plus large et qui se termine classiquement par une gare...
La gare de Soarano est à l'image de l'île de Madagascar, extrêmement attachante... Il y a bien un pays, mais plus d'Etat... et là il y a bien une gare, mais plus de voie ferrée... plus de trains de voyageurs...
Le bâtiment pourtant, d'une pure architecture française néo-classique 1910, dans son style comme dans ses lignes... est d'une fonctionnalité parfaite... Sur le plan d'une vraie grande gare européenne... en miniature...
L'on devine par ailleurs, au fronton cintré de l'entrée d'honneur de cette basilique des transports ferroviaires, des trous dans la pierre qui devaient servir à maintenir en place des grosses lettres formant, je suppose, les mots de République française... jusque dans les années soixante au moins...
En tous les cas, quel dommage qu'elle soit désaffectée ! Il paraît qu'il n'y a plus personne pour investir dans la restauration de cette vieille ligne de chemin de fer datant du XIXe siècle... Il reste encore des petits tronçons de ligne en service à Mada... mais curieusement pas de wagons de voyageurs jusqu'à la capitale... Trop chère et pas assez rentable, sans doute...
Quelqu'un a quand même eu l'heureuse idée de remettre en fonction le buffet de la gare transformé en restaurant... rénové, mais pas trop... dans un style industriel, métal, bois sombre et fauteuils club... Des cartes postales anciennes dévoilent, sur les murs, la gare en pleine activité, au temps de sa splendeur... des locomotives fumantes... des quais chargés de colis et de voyageurs... toute une époque révolue...
Après un beau comptoir en demi-lune et une grande salle où des clients déjeunent, une belle baie vitrée ouvre sur un jardin... sur une pelouse anglaise, où se tiennent quelques tables et un vieux wagon posé sur deux bouts de rails... Il a l'air d'attendre un improbable départ... il est transformé en toilettes... le pauvre...
Le reste de la gare est reconverti en galerie marchande... et la salle d'attente du premier étage en espace d'exposition. Dans un coin du rez-de-chaussée il y a une petite boutique... bien sympathique... d'artisanat local...
On y trouve de tout, de la vanille, des épices des piments, différents poivres, du savon au jasmin ou à la cannelle... ou encore des meubles, des tissus locaux, en soie ou en coton... Les incontournables petites voitures en ferraille aussi... Et bien sûr des bijoux, des pierres précieuses...
Cette gare est un espace de sérénité absolu, d'une tranquillité parfaite pour s'isoler de cette ville grouillante de milliers de piétons, constamment bruyante de son trafic anarchique et si polluée par ses embouteillages monstres...
Je retrouvais le soir, Dominique, Rita et Simon pour l'apéro, nous finissions comme d'habitude... au Caveau... Un soir, je rencontrai une belle jeune femme... Grande, fine, élégante... prénommée Nive... Un beau visage cuivré sur un corps d'ébène magnifique... de Fort Dauphin... de la pointe sud de la grande île...
Nive avait habité quelque temps en France, du côté de Bordeaux... et s'exprimait parfaitement en français... À part Rita qui n'avait pas d'accent non plus, c'était la première fois que je rencontrais une Malgache totalement francophone... Nous dansons et buvons plusieurs verres... Sur cette île aux énergies telluriques supposées suractives, les sympathies se transforment vite en amitié amoureuse... nous rentrons ensemble au Jean Laborde...
Devenus bons amis, Nive me fait découvrir sa ville... les musées, tous fermés... le zoo... délicieusement désuet... qui ressemble un peu au jardin des plantes de Paris... mais les cages sont à peu près toutes vides... Elle me montre enfin le palais de la Reine... fermé également pour rénovation, depuis plus de quinze ans pour cause d'incendie criminel... Bien décidés à visiter quelque chose... nous descendons du taxi et allons voir de plus près... à travers les grilles de l'entrée...
Nous sommes apostrophés par une bande de gamins envahissants, comme il y en a autour des monuments touristiques du monde entier... Contre quelques billets, nous faisons le tour de ce sommet de colline royale, par un sentier antique et dépavé... en suivant les enfants... La vue panoramique sur Tananarive que nous avons d'ici nous montre une ville accrochée à ses collines, une urbanisation dense et anarchique, le tout dans des tons gris et ocre rouge... Un nuage de pollution flotte au-dessus de la ville dans les derniers rayons du soleil du soir...
J'intégrais aussi une nouvelle bande d'amis par l'intermédiaire de Nive... pour la plupart des couples franco-malgaches dont je ne voyais jamais la moitié française... les maris... Ils travaillaient en Afrique, ou dans des villes voisines...
Je sortais donc souvent avec leurs femmes et on faisait la fête, parfois jusqu'au lendemain soir... Elles appartenaient à la classe supérieure, une infime minorité dans ce pays de misère et d'exploitation...
L'une d'elles avait un gros 4x4 avec chauffeur, grâce auquel nous nous déplacions dans Tana de boîte en boîte, jusqu'au bout de la nuit. Le chauffeur nous attendait dehors et dormait habituellement dans la voiture... On le réveillait quand nous sortions, ivres, pour changer de bar...
C'était confortable... pas besoin de taxi ou de voiture de location... Il était de toute façon pour moi hors de question de prendre le volant... On m'avait prévenu... et raconté une histoire.
Un Français conduisait tranquillement quand un homme poussa sa femme sous les roues du véhicule... Heureusement, il freina à temps... La femme n'eut rien... mais le conducteur avait échappé de justesse à un lynchage populaire... Il fut sauvé par sa copine, une Malgache... Tout ça dans l'espoir de toucher une compensation financière dérisoire pour nous... quelques centaines d'euros... et encore... Quoi qu'il en soit... il ne faisait pas bon de conduire pour un blanc, dans la capitale malgache...
Nive devait partir bientôt avec deux copines en voyage, dans le grand sud... en voiture... Un périple de plus de mille kilomètres à travers toute l'île, de Tananarive à Tulear... ville portuaire sur le canal du Mozambique...
J'étais déjà depuis plus de quinze jours à Tana. La ville, embouteillée, polluée, poussiéreuse, miséreuse et aux activités limitées, malgré les boîtes... commençait à me peser... Je ne sais plus quand Nive me le proposa... mais j'acceptai tout de suite de les accompagner, ravi de partir à la découverte de ce pays dont, pour l'instant, je ne connaissais que la capitale...
VII
Quelques jours plus tard, nous partons. J'étais chez Nive, ses copines devaient arriver le matin avec la voiture... Les filles allaient conduire... plus de mille kilomètres... sur des routes mal entretenues... Défoncées, m'avaient prévenu Dom et Simon. Des risques d'accident, de ponts emportés par les pluies, de faux barrages de police ou de bandes armées... et recommandation primordiale... surtout ne pas conduire de nuit...
Nive était partie faire quelques courses, du haut du balcon, je vis le gros 4x4 arriver... Les copines de Nive, Fara et Fany en descendirent, je leur fis signe... Fara était une belle brune, métissée aux traits indéfinis... moitié asiatique moitié black... typiquement Malgache... Fany était également Malgache, mais elle avait des traits complètement asiatiques... Dans la voiture... je vis que nous allions être seuls, Nive et moi, comme des pachas à l'arrière... les deux autres seraient à l'avant... Nive arriva enfin avec des provisions de dernière minute... que de la bière... de la THB, locale, légère et fraîche qui passait très bien sous la chaleur de cette fin d'été... et avec tout ce que nous avions acheté d'autre... nous étions parés à toute éventualité...
On se mit en route pour le sud, par la nationale 7... Sept... drôle de numéro... car il n'y a que quatre routes nationales qui partent de la capitale... numérotées de 1 à 3... La quatrième... celle qui va vers le sud, porte étrangement le numéro 7... Bizarre... sans doute un clin d'œil... à la célèbre nationale 7 française, qui file, elle aussi, vers le sud...
Confortablement installé à l'arrière... entre les coussins et Nive... je regardais défiler le paysage... la pauvreté de la rue, me paraissait maintenant cruellement naturelle... Après la banlieue qui entourait Tananarive... la misère devenait photogénique... Je me laissais enchanter par cette campagne mystérieuse... la couleur de sa terre, les tons ocre rouge, la lumière de son ciel et les formes de ses maisons traditionnelles si hautes et étroites à la fois... ces rizières si vertes... J'étais content d'être en route... de ressentir encore une fois, cette impression incroyablement libératoire du voyage... ce plaisir simple d'être en mouvement... Un sentiment de liberté totale... où le temps lui-même semble suspendre son cours...
La musique rythmait les virages de la route... "The look" de Metronomy tournait en boucle sur une carte mémoire de l'autoradio... les bouteilles de bière défilaient... celles de 75 centilitres... Boire et conduire, elles avaient choisi... les filles...
Fara conduisait bien, mais vite, pressée de rejoindre son petit ami... en cachette de son mari... Quelques coups de frein nous projetaient de temps à autre, Nive et moi, en avant, contre les sièges... Il faut avouer que la circulation sur ces routes anciennes et sinueuses n'était pas des plus aisée... Comme en ville, des poids lourds côtoyaient des chars à bœufs ou des 4x4, qui les doublaient en trombe...
Aucun contrôle de vitesse, pas de ceinture obligatoire, aucun flic à l'horizon... Ce pays me plaisait de plus en plus... mais je n'étais quand même pas totalement rassuré... J'estimais régulièrement, de la banquette arrière, l'état de la route devant...
Nous nous arrêtions environ tous les cent kilomètres, pour faire le plein d'essence (les stations sont rares) et le plus souvent de bières... Les filles profitaient de l'arrêt, pour aller à tour de rôle aux toilettes... Il est vrai qu'on a connu mieux que l'alcool pour la concentration...
Nous passons par une première grande ville. Antsirabé... ville d'eau et de villégiature avec un superbe établissement thermal très Second Empire... Puis par une autre grande ville, Fianarantsoa... plus agricole et capitale du vin local... Les filles m'apprennent qu'en plus du vin, les Malgaches font aussi du foie gras de canard ! La France n'a donc pas laissé que de mauvaises choses...
Passé Fianarantsoa, c'est la porte du grand sud... Encore six cents kilomètres à faire et plus une grande ville avant la mer, avant le canal du Mozambique et le légendaire port de Tuléar...
La circulation devient presque inexistante, les hautes terres à rizières font place à présent à une sorte de garrigue... Les virages ont disparu et des lignes droites interminables se dessinent dans ce paysage dépeuplé...
Nous avançons maintenant dans une demi-obscurité crépusculaire... Je me souviens de ce que m'a dit Simon... Surtout ne pas conduire de nuit... Nous devons faire étape chez le petit ami de Fara, y dormir et repartir le lendemain... Il ne restera que deux cents bornes à faire pour atteindre la mer...
La voiture commence à gémir à chaque coup de frein... il faut dire que Fara a une conduite sportive... Après sept ou huit cents kilomètres à foutre des coups de patin et à piler derrière les charrettes et les camions... ils ont l'air d'avoir pris cher... ils commencent à miauler méchamment...
Le soleil est couché. Nous sommes paumés en pleine nuit noire... exactement ce que nous voulions éviter... Nous cherchons la maison du copain... qui répond au nom de Fred, un Français aussi... Sortis de la Nationale, de la route principale, nous scrutons les panneaux, indiquant un hôtel... C'est là que nous avons rendez-vous... Nous sommes maintenant en plein désert... des massifs de rocs géants bordent la route... quelques cactus géants... Il fait encore chaud... Les filles se repèrent et trouvent enfin la bonne route... ou plutôt la bonne piste... qui nous mène au parking de l'hôtel...
En fait, le Fred en question, gérait l'endroit... un bel et grand établissement... récent, design... pour touristes assez fortunés... Fourbus par la dernière partie désertique de la route... nous entrons couverts de sable sous de grandes charpentes traditionnelles, la vaste réception donne sur deux grandes salles ouvertes sur un patio, qui laisse voir un grand espace gazonné parsemé de bungalows avenants... Juste après le patio se trouve une grande piscine illuminée... Près du bar... dans la salle de restaurant... une grande table est dressée...
Nous sommes aiguillés vers nos chambres... les bungalows sont tous neufs... nous sommes tous ravis de ce confort après la longue route... et nous prenons, chacun dans nos chambres mitoyennes, une bonne douche avant de nous préparer pour le dîner...
Pendant que les filles s'apprêtent en riant... moi, aussitôt prêt, douché et rasé, je fais un tour dehors... Les bungalows posés sur ce champ sont desservis par un sentier balisé qui mène à la réception... de grosses tortues à la carapace bombée se baladent sur le chemin éclairé... J'arrive au bar... Je fais la connaissance du fameux Fred, rentré de son footing... un grand sportif, au top de sa forme, bronzé, cuivré par le soleil, il me serre la main fort virilement...
Nous reprenons un verre avec un de ses amis, nous discutons de la région en attendant les filles et avant de nous mettre à table... Fred est en fait le fils du propriétaire, fondateur de l'établissement, il est enthousiaste pour la saison qui s'annonce... Une vieille piste d'atterrissage, près du village voisin, vient d'être remise en service, le parc national, réserve naturelle de l'Isalo (prononcer : Ichal) est de plus en plus visitée...
Nous sommes plus de dix personnes à dîner à la même table... Ce sont pour la plupart des familiers et des employés de l'hôtel qui entament la saison... Parmi eux... se trouve une responsable des lieux, une belle brune, d'à peine trente ans... Toulousaine, nouvellement arrivée...
Le repas est délicieux et le vin malgache aussi, nous continuons à parler du pays... le village voisin est à visiter. Un village champignon... dont la population a explosé, depuis la découverte et l'exploitation intensive de mines de pierres précieuses aux alentours...
Des mines de saphirs notamment, dont le gisement serait le plus grand du monde... On trouve aussi toute sorte de quartz... des pierres fines, dites semi-précieuses... Fred nous propose de nous faire visiter le coin...
Nous acceptons... un jour de plus ou de moins, quelle importance... personne ne m'attend nulle part... Nous finissons de dîner dans la nuit chaude... je regarde la belle brune du coin de l'œil... surpris de croiser une aussi jolie fille dans ce trou perdu...
Le lendemain, nous visitons les environs quasi désertiques du village... écrasé par la chaleur, fait de bric et de broc qui s'étire pauvrement le long de cette route désespérément rectiligne de la nationale 7... Nous pouvons juste apercevoir au loin, les gisements de pierres précieuses où de nombreux Malgaches perdent parfois leurs vies à extirper pour trente ou quarante euros par mois, des pierres précieuses, de ces mines de sables qui menacent de s'effondrer à tout moment...
Le soir même, après l'apéro... nous dînons de nouveau tous ensemble... mais beaucoup plus tôt que la veille... Après le repas, Fred nous emmène au village, boire un verre au bar de l'un de ses amis...
Le rade était une maison en dur, rare dans le village, mais totalement décrépite... Après l'entrée sur la rue, le bâtiment s'ouvrait sur une grande cour... Sur la gauche, sous un patio, un grand comptoir en bois faisait office de bar... de l'autre coté seulement quelques tables et à l'étage, une espèce de magasin local...
Nous commandons des bières, il y a peu de monde et surtout des Malgaches. Mais un groupe arrive peu après nous... c'est la belle brune et deux ou trois autres personnes... La soirée s'anime... Fred me présente le propriétaire de l'endroit, un Suisse... un mec jeune, mais à l'air affranchi...
Je parle avec lui, il est installé ici depuis quelques années déjà, il achète des pierres en différents endroits du pays, les fait tailler, monter et les vend à Tana ou à l'étranger... Ça m'a tout l'air d'être bon business... mais non seulement il faut s'y connaître un maximum en gemmologie pour ne pas se faire avoir, mais aussi prendre un bon nombre de mesures de sécurité pour ne pas se faire dépouiller...
Il me fait monter à l'étage, à sa bijouterie... Il déverrouille une porte et allume la pièce... Je découvre là, sur des présentoirs, sous verre, des quantités de bijoux et de pierres de toutes sortes, brutes ou taillées, montées ou non, des bracelets, des colliers, des bagues...
Je fais le tour des vitrines dans l'idée d'acheter éventuellement un truc... Le mec a l'air plutôt honnête et sympa... mais rien ne me plaît... tout est très kitsch... Je m'arrête devant une grosse bague assez drôle... en argent et en forme de fleur, dont les cinq pétales sont ornés de cinq pierres fines... péridot, tourmaline, citrine, grenat et turquoise... Mystère de l'objet qui vous appelle... je l'achète dans la seconde... quelques centaines d'euros...
De retour dans la cour... je montre la bague... toutes les filles s'approchent... et surtout, comme je l'espérais bien... la belle brune... Elles me complimentent... Nive croit un instant que c'est pour elle... mais non... je lui dis que c'est pour ma mère ou pour ma sœur... elle trouve alors la bague sans intérêt et s'éloigne avec ses copines...
La belle brune reste... et nous enchaînons sur autre chose que la bague... nos vies respectives... nous conversons longuement... trop longuement... Nous étions au centre de la cour et je sentais, tout le monde sentait, que nous étions aimantés l'un par l'autre... Ses yeux ne quittaient pas les miens...
Nive et le mec de la brune, s'incrustent entre nous... il était plus jeune que moi... peut-être, mais je lui trouvais une bonne tête de cocu à ce mec-là... et même si nous l'avons tous, cette tronche-là, un jour ou l'autre... certains semblent quand même l'avoir un peu plus que d'autres...
Il ne disait rien... mais sa présence cassa fatalement le rapprochement en cours... j'abrégeai notre conversation qui devenait trop visiblement aux yeux de tous, une espèce de parade prénuptiale... Je me rapprochai alors sagement de Nive... qui ne me dit rien non plus, mais n'en pensait pas moins...
Après seulement un autre verre... Nous rentrons à l'hôtel... nous devions partir le lendemain... et parcourir les derniers kilomètres avant la mer...
Nous partons finalement après le déjeuner et j'ai seulement le temps, le matin, de croiser la fille de la veille... de lui dire au revoir... nous parlons innocemment de nous revoir à Tana... Elle connaissait les filles... j'étais ravi...
Nous sommes à deux voitures... Fany, Nive et moi dans le 4x4... Fara et Fred ensemble, dans un vieux pickup rouillé, en tête, pour nous indiquer la route... les filles sont fatiguées... On a quand même pas mal bu la veille... et Fany a l'air d'avoir aussi bien profité de sa soirée...
Elle me propose de prendre le volant du 4x4... Conduire ici comporte moins de risques qu'en ville et la circulation est rare... j'accepte volontiers, car je n'ai plus conduit depuis La Réunion...
La route est vraiment belle à partir de ce village jusqu'à la mer... elle descend toute droite au milieu d'une sorte de désert semi-aride... Nous traversons des villages, justes composés de quelques huttes alignées le long de la nationale... de petits troupeaux de zébus passaient lentement sur les côtés... des baobabs géants se dressaient vers le ciel...
J'admirais, tout en conduisant, ce paysage de Far West, ces fragiles habitations, cette minuscule présence humaine dans cet espace immense sous un ciel d'un bleu intense... J'étais bien... j'étais libre...
Nous traversons encore un autre de ces maigres hameaux de bois et de tôle, lorsque des zébus qui marchaient le long de la route traversent soudainement... je pile brusquement... Nive colle son pif au pare-brise... Heureusement, les freins répondent... et les zébus passent en zeuglant... sains et saufs devant nous... seulement, nous avons entendu sur la courte distance de freinage, comme des cliquetis de métal sur la route... et je comprends que les plaquettes viennent de se faire la malle...
Les freins n'ont pas résisté à la conduite sportive de Fara pendant les sept ou huit cents bornes de l'avant-veille et j'ai fini de les achever avec mon freinage brutal... Nous descendons de la voiture, récupérer les plaquettes brûlantes sur le bitume... Tronche de Fany... Quant à moi, je cochais mentalement la troisième case, dans la colonne de mes accidents de voiture de l'année... Je commençais à me demander ce que j'avais bien pu faire pour mériter tout ça...
Nive appelle Fara... Ils font demi-tour... Nous faisons le point... Fred me dit qu'il reste bien encore cent kilomètres... En l'absence de tout garage dans cette région, avant la ville... nous n'avons pas le choix et je reprends le volant du 4x4... sans freins...
Je conduis lentement et prudemment, je laisse un maximum d'espace entre les véhicules qui nous précédent et nous... Fred nous suit par sécurité...
La nuit tombe et nous arrivons en vue de Tuléar... Ici, la route rectiligne laisse la place à de grands virages qui descendent vers la ville... Je mets les phares et redouble d'attention... J'ai l'impression d'être dans le film Le salaire de la peur. J'arrive à ralentir grâce au frein moteur... Après les premiers faubourgs de la ville, nous arrivons enfin à bon port...
Nous n'avons fait que deux cents kilomètres, mais entre ces routes dangereuses, on l'on dépasse rarement le soixante, notre mésaventure, les arrêts pipi, photos et la nuit, nous y avons mis le temps... presque cinq heures... Nous prenons le premier hôtel venu... et nous nous couchons tôt sans avoir rien vu encore du légendaire port de Tuléar...
VIII
Le lendemain, je fais avec Nive, qui ne connaît pas non plus, le tour de la ville... Toliara, Tuléar, un des premiers comptoirs français, pile sous le tropique du Capricorne, où le temps semble s'être définitivement arrêté... La ville "européenne" n'a qu'une centaine d'années... officiellement nommée Tuléar à la fin du XIXe siècle par Gallieni, alors gouverneur de Mada...
Déjà à Tananarive, la capitale, l'on se croirait encore au temps des colonies, rien ou presque n'a changé, les bâtiments et les voitures sont seulement un peu plus décrépis qu'en 1960... avec très peu de bâtiments modernes... Mais à Tuléar... là... c'est carrément les années 1900... Les rues ne sont pas goudronnées, on marche dans le sable, l'on voit des bâtiments vieillots avec leurs enseignes de l'époque française... Et chose extraordinaire pour un Occidental... les pousse-pousse et les chars à zébus sont toujours plus nombreux dans les rues que les automobiles...
Tout cela donne à la bourgade un tranquille air d'antan et il y a aussi cette douceur toute provinciale, aux heures les plus chaudes de la journée, ce temps de sieste, encore respectée ici... qui faisait jadis le charme de nos tranquilles sous-préfectures...
Nive négocie un pousse-pousse, je ne suis pas certain d'en avoir envie, mais enfin soit, comme c'est le transport attitré ici... je me laisse faire et nous montons dans la carriole... Le porteur, un homme d'une bonne trentaine d'années, maigre, mais musclé et qui doit peser moitié moins que moi, agrippe les bras de la charrette, soulève, trouve l'équilibre, et démarre... c'est-à-dire qu'il nous tire, en courant ! Et en petite foulée... j'ai un peu honte... Nive pas du tout... me déplacer en charrette tirée par un homme... j'avais jamais fait... Ça remet les pendules à l'heure... de l'esclavage... c'est tout à fait l'impression que j'ai... J'observe cet homme de dos, courant dans cette chaleur et dans le sable des rues, tirant peut-être près de trois cents kilos de charge en équilibre, impassible, constant dans l'effort, soucieux de garder le rythme, pour profiter de la force cinétique qui nous propulse en avant... il n'y a heureusement aucun feu rouge pour l'arrêter...
On s'y fait facilement, finalement, à l'esclavage... il faut bien dire que c'est très agréable de se promener à l'ombre, confortablement installé, brinquebalé à la fraîche par les rues...
Nous arrivons à destination et je règle la course... c'est le cas de le dire... largement... je félicite le gars pour sa condition physique... sans doute pour mieux faire passer ma gêne...
Nous sommes maintenant au bord de la mer, ou plutôt le long de restos et de boîtes qui bordent le rivage... mais c'est marée basse et nous ne la voyons pas... Nous nous installons à la première terrasse qui s'offre à nous... il n'y a pas trop de touristes à l'horizon... à part moi...
Les clients de l'endroit comme les proprios sont Français... et assez pittoresques... pas de la première jeunesse non plus... on se croirait au Bar de la Marine... Raimu n'est pas là, mais ce ne sont pas les grandes gueules qui manquent... Tuléar est, paraît-il, le Marseille malgache... Entre des vieux mercenaires et des ex-mafieux corses, en rupture de ban avec leur île d'origine... On trouve beaucoup de nationalités différentes à Tuléar, tout un petit monde à l'écart du grand...
Dans le bar, un groupe joue aux cartes, un vieux à casquette de marin hèle la serveuse en plaisantant... tandis qu'une paire d'amis déboule dans le bar et salue bruyamment... La vie a quand même l'air d'être assez douce dans le coin...
Fred qui arrive avec Fara et Fany nous détrompe immédiatement... ce n'est pas vraiment le cas... surtout en ce moment... Un drame affreux vient de se produire... un couple de jeunes français, restaurateurs nouvellement installés à Tuléar a été assassiné sur la plage d'à côté... Fred en parle justement avec un type qui s'est assis avec nous, je lui serre la main...
Pour le mec en question, restaurateur lui aussi, c'est sans doute un problème avec des locaux. Un mobile crapuleux, mais pour deux téléphones et quelques billets, cela paraît une attaque bien démesurée ou bien certains Malgaches n'auraient pas supporté de voir ce couple se baigner nus sur une plage supposée sacrée... Ils les auraient alors massacrés à coups de bâtons et de hachettes... juste pour cela... Tous les deux... enfin tous les trois, la jeune femme était enceinte de trois mois...
On n'en sut pas plus sur le moment, mais ça jetait quand même un froid niveau sécurité... À Mada, une émeute pouvait toujours éclater soudainement et il était possible de se faire découper en morceaux... avant même de comprendre de quoi il retournait... Les filles me rassurèrent cependant... c'était excessivement inhabituel... Fred me dit quand même qu'il avait une arme dans la voiture... un coupe-coupe de bonne taille... au cas où... J'appris quelque temps plus tard par les journaux que le gars à qui j'avais serré la main avait été soupçonné d'avoir commandité le meurtre, pour une sombre histoire de jalousie commerciale... Je crois qu'aujourd'hui encore, même si les assassins "directs" sont en prison... personne ne connaît vraiment le fond de l'histoire...
Fany, un peu bougonne depuis l'histoire des freins, avait pris le parti de rentrer à Tana. Elle avait demandé la veille à son chauffeur de venir immédiatement en bus, de Tananarive, mille kilomètres de nuit... pour réparer les freins... Il était vraiment taillable et corvéable à merci le chauffeur... Je ne m'en mêlai pas, elle était chez elle... pas moi...
De toute façon aussitôt que sa voiture serait prête, elle rentrerait... Fred et Fara devaient continuer eux, leur voyage adultérin, vers le nord, où il avait une maison en bord de mer... Ils nous proposèrent de les suivre...
Nive et moi avions donc deux possibilités soit rentrer le soir même avec Fany en voiture à Tana... soit continuer avec les autres et rentrer plus tard par nos propres moyens. Nous finissons de déjeuner et décidons à la fin du repas de poursuivre l'aventure avec les amoureux...
Nous laissons Fany et son chauffeur, arrivé le matin même avec les pièces pour réparer. Il avait déjà presque fini le remontage... Tout ira donc bien pour elle. Ils pourront faire pas mal de kilomètres avant la nuit...
Dans le sens inverse, après avoir mis nos bagages sur la plate forme arrière du vieux pick-up Toyota de Fred, nous roulons sur une piste ocre en direction du nord, nous longeons la mer...
À Tuléar même, nous ne l'avions pas vraiment vue. Les bars et les hôtels sont juste devant et la cachent... mais sur cette piste, au milieu de cet après-midi, la mer était là... et je voyais plein ouest, pour la première fois de ma vie, le canal du Mozambique...
J'imaginais déjà l'Afrique, ce continent si vaste juste en face... à moins de mille kilomètres à vol d'oiseau...
La ligne d'horizon concave est ici aussi au format panoramique... et la barrière de corail, le Grand Récif comme ils l'appellent ici, n'est pas comme à La Réunion, à cinquante mètres du bord, mais bien plus sérieusement à deux ou trois kilomètres du rivage... et se prolonge par intermittence tout au long de la côte ouest de Mada... On distingue à peine du bord, l'écume des vagues au loin... sur les récifs... tout juste un filet blanc dans le lointain...
La végétation, entre la route et le bord de la falaise qui descend vers la plage, est un mélange d'arbustes et d'herbes sèches, d'aloès Vera, et de cactus aux énormes piquants... La piste s'éloigne de la mer et on passe soudainement entre des dunes énormes... Au loin, une belle maison de maître en pierre sur une hauteur... abandonnée, en ruine, suite à un drame très ancien, mais qui marque l'endroit et les esprits aujourd'hui encore, nous raconte Fred.
À quelques minutes de là... nous nous arrêtons dans un petit village de pêcheur... nous devons faire des courses pour le dîner. Fred compte ici, acheter du poisson et des crabes... Il salue les habitants qui se trouvent là, embrasse une femme qu'il connaît et discute avec un vieil homme... nous arrivons derrière et saluons à la suite, poliment...
Nous entrons dans une cabane en bois au sol en ciment, une femme nous montre deux seaux au milieu de la pièce, le premier contient des crabes, sombres, pleins de sable, l'autre est rempli de petits poissons... La femme parle avec Fred, qui semble d'accord, elle remplit un sac plastique de crabes et un autre de poissons...
Des enfants nous entourent, les gens ont l'air tout juste en bonne santé. Ils vivent à l'écart de tout, dans un village traditionnel en bord de mer, sans aucune maison en dur, ni électricité, ni école, ni dispensaire, rien. Nive et Fara m'empêchent de donner du fric aux gamins qui en réclament... mais un vieux me fait des clins d'œil insistants et me demande un billet discrètement, je lui en glisse un ou deux en douce...
Une femme nous indique, de son doigt, sa joue, sa bouche. Nive me dit qu'elle a mal aux dents et qu'elle voudrait une aspirine ou autre... Les filles lui trouvent quelque chose pour la soulager... et moi je n'ai rien à donner... sinon de l'argent... comme un con de touriste...
Fred discute le bout de gras avec tout le monde, parfaitement à l'aise, il a l'air chez lui. Bien que né en France, il a grandi ici et parle malgache... Je fais trois photos... et nous repartons...
L'après-midi s'avance, nous roulons sur une piste bien ensablée... La voiture dérape et semble aller vite, mais, en fait, nous ne dépassons pas le quarante ou le cinquante kilomètres à l'heure... La piste change souvent d'aspect, soit dure et compacte, soit molle et fluide comme de l'eau... Il faut adapter sa conduite... anticiper les glissades... heureusement, on ne croise quasiment personne...
Soudain, Fred pile et s'arrête... il descend sans attendre... Surpris, nous le suivons et nous le retrouvons au pied d'un caméléon vert fluorescent qui se tord sur lui-même, la gueule béante... Il expire... Nous venons de lui rouler dessus... Fred s'en prend à lui-même. Il n'y a plus rien à faire, le caméléon, dans un dernier sursaut, se raidit définitivement.
Nous reprenons la route plus lentement... Ce décor, vert et ocre, humide et chaud, dans cette garrigue démesurée, piquante, entre des dunes, abrite une vie animale endémique luxuriante... Fred me montre des lémuriens dans les arbres, des oiseaux multicolores... et de petits baobabs qui se font de plus en plus nombreux dans cette savane côtière...
Nous traversons un nouveau village, plus grand que le précédent, qui s'étend sur les deux bords de la route. La population est plus nombreuse, mais aucun véhicule à l'horizon, juste quelques charrettes, pleines de légumes, tirées par des zébus... Il y a deux ou trois bâtiments en dur, un bar, une épicerie. Nous passons un carrefour, un énorme bus arrive à notre encontre... Il s'arrête à notre hauteur... il est plein de monde, il y a des gens jusque sur le toit. L'antique camion s'immobilise, des gens montent et descendent, des dizaines de mains se lèvent vers les fenêtres sales pour faire passer des baluchons, proposer des cigarettes, vendre des fruits...
Un troupeau de chèvres est au beau milieu de la rue, mais nous nous dégageons de la cohue et continuons la route... Nous sortons d'un coup, de cette sorte de sous-bois exotique où nous roulions à l'ombre des arbres et de nouveau la route dégagée rejoint la côte, les dunes et la mer... L'air est chaud... le jour tombe... la piste est déserte... On sent la mer... les plantes... nous arrivons... Un portail est ouvert... Fred s'engage sur un chemin et se gare près d'une maison. Un homme nous attend, c'est le gardien. Sa femme se tient derrière lui. Nous descendons et saluons avant de pénétrer, avec les bagages, dans la maison...
C'est une belle case récente en pierre, dans le style local, surélevée, carrée, avec une terrasse en bois qui l'entoure et abritée du soleil par le chaume du toit. La charpente du salon, puissante, massive surplombe un ameublement simple, mais confortable. Une baie vitrée ouvre sur la terrasse où, par quelques marches l'on descend sur le sable, vers le bord de la petite falaise qui avance au-dessus du rivage... Au-delà, le canal du Mozambique étend son horizon démesuré...
Nous dînons à l'extérieur, des crabes et des poissons qu'a préparés la femme du gardien... la nuit est rafraîchissante et le ciel d'un noir pur constellé d'étoiles... Nous passons la soirée à écouter Fred nous relater les histoires de la région... comment son père a trouvé cet endroit paradisiaque, loin de tout...
Fred nous propose de visiter le coin le lendemain... Il doit rendre visite à ses voisins qui tiennent les hôtels voisins... Il veut aussi en profiter pour faire du kitesurf avec un de ses potes... Nous pourrons même faire du bateau et de la plongée... le programme s'annonce plutôt bien...
Le matin, un bon petit déjeuner bien copieux est déjà servi à la cuisine. Je sors avec un café, fumer ma première clope du matin, dans le jardin où le soleil solitaire dans un ciel sans nuages tape déjà fort...
Le gardien ratisse le sable... marrant... je le salue... je me demande pourquoi il fait ça... De loin, je vois les stries régulières qu'il dessine avec son outil... et en m'avançant, je me rends compte de ce qu'il efface... Des dizaines de traces de lézards ou de serpents courent sur le sable, dans tous les sens, on peut suivre exactement les parcours de chacun...
D'imaginer que durant la nuit autant d'animaux potentiellement dangereux rampent et serpentent tout autour de nous... je frémis. Je comprends mieux pourquoi la maison est surélevée... et pourquoi ce gars-là ratisse avant que les filles ne sortent...
Nous partons à la mer, tous heureux d'aller nous baigner enfin. Après un court trajet en voiture, nous nous garons sur le parking d'un hôtel proche du rivage... Une grande bâtisse donne sur une plage de sable, parsemée de palmiers et de petits bungalows blancs, circulaires aux toits de paille... Pas un seul touriste en vue... Des bateaux de pêche sont sur la plage... des Malgaches jouent au foot sur un côté... Fred nous présente son ami, qui est aussi le fils du proprio de l'endroit... Nous prenons une bière... et les filles vont se baigner... Je les suis peu après... des vagues d'eau fraîche viennent mourir à mes pieds... la mer est chaude, mais moins qu'à La Réunion, ce n'est vraiment pas le même bouillon de culture à plus de trente degrés...
La plage doit faire plusieurs kilomètres de long et nous sommes seulement trois dans l'eau... Fred défie à la lutte un des Malgaches présents et qui se livrent déjà, entre eux, à ce jeu... Il est costaud, mais le jeune malgache en face de lui l'est encore plus... Il doit être marin, nager, ramer ou naviguer tous les jours ça muscle... Fred au terme d'un court combat est renversé sur le dos...
L'ami de Fred nous propose un peu plus tard une sortie en bateau... Il a aussi une grande bouée jaune gonflable sur laquelle deux personnes peuvent s'allonger... Les filles se positionnent dessus et le canot à moteur accélère en décrivant des virages de plus en plus serrés... elles ne tardent pas à être éjectées... Nous essayons à notre tour, Fred et moi de tenir le plus de temps possible sur cette bouée... C'est très marrant, mais on est sûr d'être éjecté si le pilote sait bien s'y prendre...
De retour à terre, nous déjeunons et passons l'après-midi au soleil, sur des transats... en fin de journée le vent se lève, Fred et son pote préparent leurs kitesurfs...
Ils se mettent à l'eau peu après... Bien que le vent soit encore faible, ils partent d'un trait vers le large... Ils maîtrisent vraiment ces voiles... Ils passent et repassent devant nous de plus en plus vite... puis font des sauts impressionnants à plus de cinq ou dix mètres de haut... nous admirons du rivage...
Après une bonne heure à manier sa planche volante, Fred replie son jouet... Le jour commence à baisser. Le vent devient réellement puissant... nous nous replions à la maison... Nous décidons de ressortir après la douche, prendre une bonne bière dans un bar du village le plus proche...
Nous arrivons en ville, enfin en village de brousse... Le bar décrépit est composé d'une unique et vaste pièce, mal éclairée, un méchant comptoir improvisé en occupe tout le fond... Fred et moi sommes les seuls blancs. Les Malgaches dansent autour de nous, la musique bat son plein. Les filles ont vraiment une façon de se trémousser assez particulière ici, comme dans certains pays d'Afrique de l'Est, elles dansent en remuant leurs fesses continuellement, d'une manière particulièrement évocatrice...
Nive et Fara ne veulent pas être en reste et essayent de les imiter... elles y arrivent plus ou moins bien... Nous les rejoignons sur la piste... pas longtemps... avant de rentrer sagement nous coucher...
Nous passons nos journées comme cela, à visiter les amis de Fred, qui ont tous des hôtels en bord de plages... Ils ont du temps, car les chambres sont vides pour la plupart... La saison touristique n'est pas encore commencée... Nous faisons à nouveau du bateau et même de la plongée sous-marine. L'eau est agitée, mais les fonds sont magnifiques... Nous enchaînons le soir les mojitos et les dîners de poissons grillés...
Nous repartons pour Tuléar quelques jours plus tard et nous rentrons à Tananarive en avion, Fara Nive et moi, après avoir dit au revoir à Fred, qui doit rejoindre son hôtel du désert...
IX
Je retrouvai à Tana toute la bande que j'avais quittée quinze jours plus tôt... Notamment Rita et Dom... Simon avait dû retourner à La Réunion pour bosser, remplacer un de ses potes dentiste qui partait en vacances prolongées... J'avais le même billet retour que lui pour Saint-Denis... mais je décidai de rester à Madagascar, avec Nive et même d'habiter chez elle...
Ça faisait donc déjà un mois que j'étais là... Le renouvellement du visa était gratuit... mais il fallait que je fasse tamponner à nouveau mon passeport... Nive m'accompagna remplir ses formalités... et de guichets en bureaux nous perdîmes pour cela une bonne partie de la journée au ministère de l'Intérieur, un horrible bâtiment en béton post-stalinien...
Nive me convainquit aussi d'aller voir un médecin... à l'hôpital... de me faire soigner... car depuis La Réunion, j'avais des plaies aux chevilles, consécutives à des piqûres de moustiques que j'avais régulièrement grattées... Elles ne cicatrisaient plus depuis deux mois... à chaque fois, des croûtes se formaient... tombaient... et au lieu de trouver dessous une peau toute neuve... les plaies pleines d'un liquide jaunâtre se creusaient de plus en plus... J'avais trois ou quatre abcès comme cela sur les pieds et les chevilles...
Je me souvenais juste m'être trempé les pieds un court instant à La Réunion, jusqu'aux chevilles... où je n'ignorais pourtant pas que la baignade était interdite, depuis quinze jours, suite à un violent orage qui avait fait déborder la station d'épuration dans le lagon... J'avais bêtement pensé ne rien risquer, pieds nus dans l'écume des vagues... perdu... C'était donc très probablement à ce moment-là que j'avais attrapé cette infection... Une vraie saloperie... "Peut-être même un staphylocoque doré !" m'avait dit Simon pour m'inquiéter davantage...
Je me résolus donc à me faire charcuter au premier dispensaire du coin... Nive expliqua mon cas à une médecin... en malgache... Je ne comprenais rien... mais elles se marraient bien toutes les deux... Nive me traduisait... Je fus bon pour trois semaines d'antibios et un nettoyage en profondeur des abcès... Allongé sur le divan d'examen, je jonglais grave... Heureusement, Nive me tenait la main, sous l'œil narquois de la doctoresse... Je me demandais si elle ne faisait pas exprès de me faire plus mal que nécessaire... Ça piquait sévère...
Rentré le soir même au Laborde, Dom me dit... en rigolant... à moitié... que j'avais échappé de peu à l'amputation... si ça avait atteint l'os... il aurait fallu tout couper... Je ne m'en sortais finalement pas trop mal...
Je passai deux ou trois jours en convalescence... chez Nive... sans bouger... Son fils était là... Nive l'avait eu six ans auparavant avec un Français... nous profitâmes de sa présence pour faire des activités saines et familiales... comme visiter les parcs animaliers aux alentours de la capitale... Une réserve de tortues géantes plus que centenaires ou un parc plein d'énormes crocodiles destinés à finir en ceintures ou sacs à main... Le gamin était sympa, vraiment pas chiant... mais heureusement qu'il allait à l'école et le soir, jouer avec ses petits cousins...la famille de Nive n'habitant pas loin…
Nous deux, nous sortions toujours beaucoup... régulièrement plus de 48 heures d'affilée. Nous finissions en général chez l'une ou l'autre des copines de Nive à refaire le monde... dans une maison... au salon ou au bord de la piscine... jusqu'à 9 heures du surlendemain matin... Pris en charge par les chauffeurs et ravitaillés par les employés de maison... c'était confortable...
Je découvrais encore de nouvelles têtes, toujours des expatriés français travaillant généralement dans le tourisme... mais je croisais finalement pas mal d'autres nationalités... Des touristes surtout... des Italiennes, un Américain, des Chinois, des Indiens...
Des Karens aussi, des musulmans... indo-pakistanais d'origine... vieille minorité malgache enrichie par le commerce, pratiquants modérés, mais qui suscite pas mal de jalousie chez les Malgaches de souche...
J'en ai rencontré un seul de Karen... mais assez exceptionnel... au Jean Laborde... Il faisait de l'import-export, entre l'Inde et Mada pour son business... Il buvait de l'alcool avec nous... et pas qu'un peu... au comptoir... tranquille... très ouvert... nous discutons pas mal de temps, avant de le voir monter à l'étage... dans une chambre de l'hôtel... avec deux filles, venues l'attendre discrètement dans un coin du bar... J'étais scié... De ce point de vue là au moins... Mada est vraiment un pays aux mœurs assez modernes... naturelles... voire permissives... Dans le monde actuel, ça fait plutôt plaisir à voir !
Je passai donc pas mal de temps à Tana à faire la fête... Mais au bout de quelques semaines d'excès en tous genres... Je décidai de repartir à l'aventure... en brousse... Rester à Tana pour faire les mêmes conneries qu'à Paris, ce n'était vraiment pas la peine...
Bien que pour les nanas... c'était quand même bien la fête du slip... une vraie boucherie... Dans les boîtes, c'est carrément l'inverse de l'Europe... Ce sont les filles qui chassent... Le mec reste cinq minutes au comptoir et une gonzesse arrive... et ce n'est pas glauque comme l'on pourrait l'imaginer...
Tout se fait ici naturellement, sans parler d'argent... Ce n'est pas seulement l'appât du gain comme je l'avais cru au début, malgré un salaire moyen autour de 35 euros mensuel. C'est aussi comme m'avait dit Dom et malgré les religions importées par les Européens, que le sexe ici n'est pas aussi tabou que chez nous... On s'y adonne beaucoup plus facilement... Une question culturelle... et soi-disant aussi d'ondes telluriques... un peu comme à La Réunion... Décidément, on a la croyance ésotérique facile dans l'océan Indien...
Toujours en était-il que j'en avais ma claque de faire le con dans la capitale... d'autant plus que l'hiver austral arrivait... Ce qui se traduit ici juste par une baisse minime de température, mais des journées bien venteuses et nuageuses... pour tout dire moroses, suffisamment en tout cas pour me donner envie de repartir... au niveau de la mer... là où l'hiver n'a aucun effet...
J'en discutai avec Dominique qui me conseilla de partir pour Morondave... une petite ville de la côte ouest, célèbre pour ses plages et ses baobabs séculaires... Dom me trouva aussi une voiture et un chauffeur, tout fut organisé en deux jours... Je proposai à Nive de m'accompagner au soleil... elle accepta direct...
Nous descendons encore une fois un beau matin, en pente douce vers la mer... Des hautes terres, à plus de mille deux cents mètres d'altitude, vers l'océan... Un périple de plus de sept cents kilomètres... à travers l'île... La chaleur revient dès que l'on quitte le brouillard de la capitale...
Nous mettons deux jours à atteindre notre destination... sans encombre... excepté quelques contrôles routiers... Il y a des soucis de sécurité dans cette région ouest de l'île et donc, par moment, des militaires à l'entrée ou à la sortie des villages... Nous avons dû montrer nos passeports et quelquefois donner un peu d'argent...
Il peut y avoir aussi des barrages de faux flics... Notre chauffeur a d'ailleurs eu un bon réflexe la nuit dernière... celui de refuser à un militaire armé d'un fusil mitrailleur de monter dans la voiture pour faire un bout de chemin... On ne sait jamais, nous dit-il si c'est un vrai soldat... ou un gars qui va tourner son arme contre vous...
La route d'accès à Morondave, nouvellement bitumée par les Chinois, s'arrête pile-poil sur la plage. Nous nous garons face à la mer et nous nous installons à une vieille table en bois, sous un parasol qui nous cache à moitié d'un soleil de plomb. Nous prenons l'apéritif local, bière fraîche, piments et mini-brochettes de poissons grillés... pieds nus dans le sable... chaud...
Plus petite que Tuléar, la ville a aussi l'air plus accueillante, davantage tournée vers la mer... Les hôtels y sont plus récents, et les petits bars de plage plus nombreux... Il y a aussi plus de touristes attirés par la fameuse allée des baobabs et les tsingys, ces fameux massifs en dentelles de pierre, aiguisés comme des couteaux...
Nous trouvons un hôtel tenu par un Suisse... un hôtel aussi propre qu'à Genève... l'eau coule en abondance dans la douche... le rêve... Avec vue sur une immense plage de sable dorée au soleil couchant...
Le lendemain matin, je cherche un café tranquille et sympa où prendre le petit-déj et lire le journal local... J'en trouve un, juste à côté, encore plein de vieux expats... et qui comme à Tuléar, ont l'air de tous se connaître... Bien que peu grégaire, j'aime assez ces personnalités du bout du monde, aux parcours éclectiques... installés loin de tout, de la vie citadine et moderne...
Les uns sont dans le tourisme, les autres à la retraite... L'un a un bistrot, le deuxième une maison d'hôte et le troisième un hôtel... Et comme d'habitude, ils ont tous des femmes malgaches...
Le soir, Nive retrouve, par hasard, une de ses amies qui possède avec son mec, un Italien pur jus, une boîte de nuit sur une autre plage... un peu à l'écart de la petite ville... Comme à Tana, le patron veut me céder son fonds de commerce... C'est marrant, mais à Mada, les mecs parlent du pays comme d'un paradis, mais veulent tous me refourguer leurs bastringues...
Je me méfie, j'ai de l'argent à investir, c'est vrai... mais de là à acheter un truc, une maison ou un bistrot dans un pays étranger, insécurisé, corrompu... Faut pas y compter... Ne disent-ils pas eux-mêmes que pour devenir millionnaire à Mada il faut y arriver milliardaire ? Ce qui prouve qu'on se fait bien siphonner dans ce pays...
Nous passons nos soirées dans cette boîte typique... toute en bois... La baraque suite le rhum et une musique locale hurle dans les enceintes... Une étagère sur quatre niveaux, derrière le comptoir contient toutes les traditionnelles bouteilles de rhum "arrangé". Et il y a le choix... rhum banane, rhum ananas, rhum orange, rhum cannelle, rhum vanille, rhum gingembre, rhum café, rhum coca... rhum baobab... et j'en passe... impossible de retenir tous les noms inscrits sur les étiquettes des bocaux... Nous goûtons aux mélanges les plus improbables... Plus les verres se vident et plus ma mémoire se déconnecte... Je me souviens d'un politique français sympa, fraîchement divorcé, venu dans ce bout du monde oublier ses malheurs... Il nous ramena d'ailleurs quelques fois à l'hôtel, à fond, bien perchés tous les trois... sur un quad dans le sable... On rigolait bien...
Nous nous levons tous les jours à midi... mais nous arrivons à visiter avant l'heure de l'apéro, la fameuse allée des baobabs... une des raisons de notre venue dans ce trou perdu... Il s'agit en fait d'une simple piste de sable ocre rouge, rectiligne, le long d'une rizière et bordée par des baobabs millénaires... On parle de plus de huit cents ou mille ans pour les plus vieux d'entre eux... Ces arbres à l'allure majestueuse et un peu difformes inspirent un réel sentiment de respect... Par leur taille, mais aussi par les légendes qui les entourent... Il se dit que dans des temps anciens, les Malgaches enterraient leurs morts debout, dans les baobabs, pensant qu'ils étaient des sortes d'ascenseurs vers le ciel... un peu comme les pyramides ou nos cathédrales...
Il y a bien là, sous ces arbres hiératiques... comme dans nos plus anciennes et sombres églises, une atmosphère sacrée... Un silence métaphysique... et ici aussi, mais sous une nef à ciel ouvert... en pleine lumière... dans un décor orange et bleu... tout le monde murmure...
Au bout de quelques jours de farniente total, de "rhums parties" et de camarons grillés, sorte d'énormes langoustes, sous les palmiers, sur la plage, je cherchais enfin un moyen d'aller visiter ces fameux Tsingys.
Il fallait se farcir une bonne journée de route pour les atteindre... huit heures de 4x4 sur pistes... prendre un bac pour traverser une rivière... se poser à l'hôtel pour seulement une nuit... Le lendemain, faire la visite à pied, le tour du site en quatre ou cinq heures... avec interdiction de fumer... si rare à Mada... ça m'avait marqué... et puis revenir direct le même jour par la même route... Bref... malgré mon envie de voir ces pierres ciselées... uniques au monde... toutes ces heures de voitures... ne m'enthousiasmaient pas des masses...
Un jour, à l'heure de l'apéro, au comptoir du bistrot, alors que je parlais de mon peu d'inclination à visiter ces tsingys... le patron me dit qu'un de ses amis avait un bateau avec lequel il effectuait la liaison entre Morondave et un petit village plus au sud... Belo sur Mer... et que l'on pouvait y trouver des petits hôtels...
Je sautai sur l'occasion... je préférais de loin embarquer sur un rafiot même à voile, au 4x4 cahotant pendant des heures sur des pistes défoncées. Sans compter la sécurité... sur la mer, aucun souci... il n'y avait pas photo... Je ne verrai donc pas les montagnes sacrées, mais je pourrai profiter de la mer... Ça m'allait bien...
Nive qui les avait déjà vues s'en foutait pas mal... Sa copine de la boîte de nuit possédait aussi un petit hôtel sur place... et devait y aller... C'était donc décidé, nous irions passer quelques jours dans ce village de pêcheurs... isolé du monde...
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