« Asgorath, dépêche-toi, viens, exhorta Kilss. Ta mère, ils vont l'exécuter avec une vingtaine d'autres personnes.
-Quoi ? Qu'est-ce qui s'est passé ? ne put s'empêcher de questionner Asgorath. Son esprit était en état de choc ; il ne comprenait pas comment on en était arrivé là.
-Tout ce que je sais, c'est qu'il y a quatre jours, elle a été conduite par les gardes à la grande tour où se trouve ce foutu général et sa suite, expliqua Kilss. Après ça, on ne l'a plus revue. Enfin, jusqu'à ce matin.
-Pourquoi personne ne m'a rien dit ? s'énerva Asgorath
-On avait peur que tu fasses une connerie, répondit simplement son compagnon d'infortune. »
Ils commencèrent à courir vers la grande tour avant même d'avoir fini de parler. C'était toujours là-bas qu'avait lieu les exécutions. Les deux jeunes démons mirent toutes leur énergie dans cette course afin d'arriver le plus tôt possible. Lorsqu'enfin ils arrivèrent, les deux adolescents virent vingt personnes, dix hommes et dix femmes. Les prisonniers étaient montés sur une grande estrade en bois identique à celles qui étaient utilisées au Moyen-âge, et même après, pour les pendaisons, les décapitations et autres exécutions publiques. Les seules différences venaient de la taille, car celle sous les yeux d'Asgorath avait dessus vingt personnes toutes alignées, et de la fonction de cette estrade. Les démons étaient attachés de manière à rappeler un écartèlement, mais ils ne pourraient pas subir ce châtiment dans ces circonstances. 'Que veulent-ils donc faire, ces enfoirés,' se demandait Asgorath.
Il ne comprenait pas non plus pourquoi les gardes allaient les exécuter. Il chercha sa mère et la trouva. A cet instant, plus rien d'autre ne compta à ses yeux. Sa mère était vide, sans énergie et résignée à son sort. Néanmoins, au fond de son cœur, elle n'en demeurait pas moins un peu heureuse. Son fils, sa seule raison de vivre, ne faisait pas partie des «élus» et survivrait donc. Asgorath regarda les yeux des condamnés et vit dans ceux des hommes de la colère, de la rage et de l'humiliation alors que ceux des femmes étaient soit vides, comme si leurs âmes avaient aspiré hors de leurs corps, soit du dégout et de la haine. Mais ce qui surprit le plus le jeune démon était que ce dégout n'était pas dirigé vers leurs tortionnaires, mais vers elle-même.
Seule Grevya semblait ne pas ressentir ces sentiments, alors qu'elle cherchait son fils dans la foule. Elle finit par le retrouver, puis s'excusa d'un regard et d'un faible sourire. Asgorath regardait, choqué. En observant les femmes, leurs regards et leurs expressions, le réincarné se souvint d'articles qu'il avait lus et vus dans sa première vie. 'Elles agissent comme des femmes violées,' pensa Asgorath, 'enfin une certaine catégorie.'
Un éclair de compréhension le frappa. Sa mère et les autres avaient été ... Asgorath chercha des yeux qui l'avaient fait, la colère grondant en lui. Il savait que ni les gardes, ni le chef du camp n'avaient déjà fait ce genre de choses. Ils détestaient et étaient dégoutés des démons. Ils ne les auraient pas touchés. Asgorath tourna donc son regard vers ceux qui contrôlaient le camp depuis une semaine. Deux des soldats avaient un sourire lubrique pendant qu'ils regardaient les exécutés, semblant se souvenir de quelque chose. La colère au sein du démon enfla et se fit plus violente. Il n'avait jamais ressentie une telle colère au cours de ses deux vies. Sous son effet, son cœur battit plus fort, plus violemment et le sang coula plus vite dans ses veines. Cette dernière était telle que le jeune démon n'entendait plus que les battements de son cœur et le sang à ses tempes. Malgré tout, il continua à regarder et se contrôla du mieux qu'il pouvait. Son corps se crispa et ses mains se serrèrent jusqu'au sang.
Sa rage, telle un feu de forêt, enflait toujours, plus forte à mesure que les secondes s'écoulaient. Asgorath n'était déjà plus capable d'entendre, ni même de remarquer, l'orateur qui s'était avancé sur l'estrade, tant la colère grondait en lui. Ce dernier affublait les vingt démons alignés de différents crimes, les principaux étant une tentative de révolte et de corruption des âmes. Personne n'était dupe, ces accusations étaient impossibles et stupides. Tous le savaient, mais aucun démon ne pouvait réagir à cause du collier d'esclavage. Ces accusations, bien qu'ineptes, étaient proclamées avec force et de manières grandiloquentes, créant un flot de paroles attribuant tous les malheurs aux démons. C'était un discours long, expressif et frappant, toujours fort, parfois crié comme au sujet du massacre complet des démons, qui fit le plaisir du général Jorges Aryl et de tous les fanatiques présents. Asgorath n'entendit aucun des mots prononcés, mais il n'en avait pas besoin pour savoir de quoi il parlait : il connaissait ce genre de scène grâce à sa vie antérieure. Elles étaient toutes semblables et seuls quelques mots étaient changés afin de correspondre à tel tyran, à tel despote, à telle doctrine religieuse fanatique, quel que soit l'époque. Cela avait toujours fonctionné sur Terre, aussi bien à l'Antiquité qu'au 21ème siècle.
Pour terminer, l'orateur appela avec un sourire celui qui servirait de bourreau : Marc Aryl, le fils du général. Le jeune homme s'avança, un sourire sadique aux lèvres, tout en dégainant lentement son épée dans un crissement fort et aigu. Les spectateurs, les gardes aussi bien que les esclaves-prisonniers, s'attendaient à voir des décapitations ou des cœurs transpercés. Le jeune bourreau les étonna et les écœura presque tous lorsqu'il se mit à découper méthodiquement les démons avec son épée. Il commença par les jambes, frappant avec sa lame à l'horizontal. Marc les débita en de nombreux morceaux faisant une dizaine de centimètres chacun. Une fois aux hanches, il choisissait un bras au hasard et répétait les mêmes actions. Il éminça ainsi quatorze des condamnés avant de s'attaque à leurs torses sur lesquels il se déchaina. A chaque fois que la lame pénétrait les chairs de l'une des victimes, ses hurlements de douleur résonnaient dans la prison ... ... ... et ravissaient profondément le bourreau. Son sabre arrachait de grands morceaux de chairs et des os qui arrosaient les démons aux premiers rangs.
Ces derniers ne pouvaient ni bouger pour esquiver ce qui arrivait, ni s'essuyer, ni même haïr l'être qui était en face d'eux à cause de leurs colliers. Toutes les victimes crièrent alors qu'elles se faisaient transformer en une masse informe et sanguinolente. Le sang, parfois rouge, vert ou jaune, une seule fois noire, coulait lentement des blessures infligées et semblait crémeux. Le sang épais coulait lentement de l'estrade sur le sol, même si les coups d'épée le faisaient bien gicler partout. Les exécutés se vidaient lentement de leur sang. Les démons ne pouvaient qu'espérer une mort rapide. Malheureusement, cela leur était refusé. Leur seul choix était de se vider lentement de leur sang. Et de souffrir le martyr en attendant la mort libératrice.
Et c'était ce que Marc Aryl souhaitait lorsqu'il ordonna à ses hommes de forcer les démons à boire certaines potions et drogues. Celles-ci avaient plusieurs effets. Elles provoquaient une hyper-sensibilité à la douleur, épaississaient le sang et aidaient le corps à tenir malgré ce qu'il subissait. Grâce à ces potions, torturer les démons était devenu plus plaisant. Après avoir transformé un treizième démon en masse de chair informe et sanglante, il s'arrêta et regarda les sept derniers à exécuter. Quatre hommes, trois femmes. Dont Grevya Strÿnkar.
Le jeune tortionnaire fit un signe de tête à deux des gardes encadrant le général. Ces derniers se tournèrent vers leur chef, guettant son approbation, qu'il donna d'un faible mouvement de la tête. Ils s'approchèrent du jeunot. Celui-ci leur ordonna de donner du mou aux cordes qui tenaient les bras, avant de passer dans le dos de l'exécuté. Il sortit un couteau qu'il utilisa afin de découper la peau des omoplates, tout en la laissant accrocher en partie. Cela ressemblait à une aile d'oiseau : la peau était entièrement laissée au vent, excepté une partie la rattachant au corps. Le fils du général continua ensuite en déboîtant les bras des démons pendant qu'il les remontait en l'air.
Les condamnés restant se mirent à crier et à pleurer. Avant d'être dans ce camp, la majorité des démons avait vécu des vies presque entièrement similaires à celles des citoyens des pays humains. Ils n'avaient jamais souffert comme cela, et ne s'étaient jamais battus. Parmi les sept, seul la mère d'Asgorath ne réagissait pas, enfouissant la douleur là où elle ne pourrait pas la ressentir. Lorsqu'il eut fait les sept, il repassa devant et se servit de son couteau pour ouvrir les poitrines. Les côtes apparurent, protégeant le cœur, les cœurs pour deux des suppliciés, ainsi que les poumons. Sous les coups de couteau trop larges, les intestins ne furent plus bloqués et ils se répandirent sur le sol.
Une nouvelle fois, Marc Aryl arrêta son geste, laissant les souffrances et la terreur monter chez ses victimes, s'en gavant sans cesse, comme un ivrogne avec de l'alcool. Un grand sourire fendit son visage, un sourire écœurant qui fit frissonner aussi bien les démons que les gardes ordinaires du camp. Il devenait difficile de savoir, pour les personnes présentes, qui était au juste l'être malveillant et démoniaque qui aimait détruire, massacrer et répandre la souffrance. L'exécuteur attrapa ensuite les côtes de la personne la plus proche avant de tirer, les faisant sortir de la poitrine. Certaines des côtes se brisèrent lorsqu'il le fit. Les poumons et le cœur perdirent leur protection. Faire cela à toutes les côtes de tous les démons prit de longues minutes qui passèrent dans des cris profonds et puissants. Malheureusement, ces cris ne firent que le rendre plus heureux. Ils l'excitèrent même, le rendant plus brutal et vicieux à mesure que le temps passait. La souffrance ressentie fit crier tous les exécutés le plus fort qu'ils le pouvaient. Quelques-uns crièrent si forts qu'ils se brisèrent les cordes vocales.
L'une des trois démones, chanceuse comparée à ses camarades, cria si longtemps sans respirer qu'elle mourut d'asphyxie, échappant à la torture mortelle. Car tout en étant une torture, c'était également une exécution. Une exécution lente, douloureuse et sauvage pouvant durer des heures, parfois mêmes des jours. Leurs organes, que ce soit le cœur, les poumons, les reins, le foie et bien d'autres étaient à l'air libre. S'amusant de la situation, Marc Aryl écrasait les intestins, les broyait en bouillis sanglante avec les pieds. Le tortionnaire se gorgeait de leurs souffrances. Il s'excitait des râles des démons à un tel point que ses yeux se voilèrent de plaisir tandis que ceux des torturés s'écarquillaient sous la douleur. Les yeux semblaient jaillir des orbites tandis que les visages se tordirent dans des expressions écœurantes. Pour les suppliciés, une seconde était une heure, une minute devenait une journée et les heures se transformaient en mois. Douze minutes passèrent ainsi, l'agonie des suppliciés résonnant tant tout le camp. Jorges Aryl appréciait grandement ce qu'il voyait, ce qu'avait réalisé son fils. Il avait cependant d'autres choses à faire, et devait partir.
« Mon fils, déclara-t-il fortement, nous devons y aller, alors descends. »
Le jeune homme se retourna et dévisagea son père quelques secondes. Il se dirigea ensuite Grevya Strÿnkar et de lui murmura à l'oreille des phrases inaudibles à tous les autres. Mais elle ne réagit pas comme il s'y attendait. Elle ne désespéra pas plus qu'avant. Au contraire, elle sourit, enflammant la rage qui sommeillait en son bourreau. Il regarda à nouveau son père et, avec une expression mi- suppliante à son égard, lui demanda :
«Père, ne pouvons-nous pas rester ici plus longtemps ?
-Non, répondit le général abruptement, j'ai des obligations auxquelles je ne peux me soustraire.
-Dans ce cas, puis-je rester ici avec quelques gardes, proposa-t-il finalement après un court silence de réflexion.»
Jorges observa intensément son fils moins d'une minute, principalement les yeux de ce dernier. Il y reconnut une lueur familière et trop bien connue. Il soupira intérieurement. Jorges était fier et heureux du caractère sadique et haineux que montrait son fils. Mais il était incapable de se restreindre, de contrôler et maîtriser ses pulsions sanglantes. Cela le rendait dangereux pour ses alliés et prévisible pour ses ennemis. 'Cela pourrait lui couter la vie un jour prochain,' pensa le général, 'mais qui oserait faire ça alors que je suis son père.'
«Très bien, mais pas plus d'un mois, concéda le père. Et après, tu retournes directement à Bladerok. Axel, Henri, vous vous occuperez de lui. Sur votre vie.
-Oui, monsieur !
-Merci, père. »
Tout en remerciant son père, Marc parcourut les démons à la recherche d'un individu. Sa proie repérée, il fit un signe à ses deux nouveaux gardes, Axel et Henri, leur intimant un ordre qu'ils réalisèrent séance tenante.
Asgorath ne dit mot durant toute l'exécution. Aucun de ses muscles ne se contracta et son esprit était comme éteint. Il ressemblait à un cadavre. Mais c'était tout, il ne faisait que «ressembler» à un cadavre. En réalité, il en était très loin. Plus les exécutions avançaient, plus son sang chauffait et son cœur battait fort sous l'effet de la rage et de la haine. Entièrement concentré sur les morts de ses compatriotes, de ses amis et de sa famille, il ne remarqua rien des échanges vocaux et physiques du tortionnaire. Alors que son esprit était blanc, les yeux du jeune démon voyaient rouge et son âme hurlait sa fureur. Une fureur violente qui balaierait tout sur son passage, si elle était libérée. Et son cœur battait plus fort, toujours plus fort. Le rythme des battements s'amplifiait sans cesse, formant une mélodie très personnelle, empreinte de souffrances et de rages.
*Boum, Boum.
Le sang chauffait encore et toujours, sans s'arrêter. Le cœur battait dans ce rythme qui accélérait et devenait plus grave. La mélodie de son cœur changeait, mais sa nature restait la même. Le tempo devenait plus rapide et le son plus fort. Et Asgorath était le seul à l'entendre, cette mélodie dont la vitesse et la force ne pouvaient que s'amplifier sans cesse.
*Boum, Boum.
Grevya Strÿnkar fut tué. A l'instant où l'exécution débuta, le sang du démon se mit à bouillir littéralement tandis que la mélodie du cœur se mua en symphonie. Une symphonie si puissante qu'elle détruirait les tympans si des instruments la jouaient.
*Boum, Boum.
La peau de Grevya se faisait lentement, délicatement couper au couteau pendant que la chair d'Asgorath fumait et brulait en lui. Les bras se firent relever et déboîter. Asgorath ne bougeait pas, il se contentait de regarder, choqué comme depuis le début, incapable de bouger.
*Boum, Boum.
Sa mère se fit disséquer vivante et montrait ses organes à tous pendant que ceux de son fils se liquéfiait. La symphonie du cœur changea encore, devenant plus destructrice et plus violente.
*Boum, Boum.
Des côtes furent brisées. Un cri féminin résonna. Une discussion s'entama. La symphonie du cœur se mua, se transforma en une symphonie où le cœur, l'âme et l'esprit étaient mélangés, s'entremêlant étroitement dans une soif de vengeance.
*Boum, Boum.
Les paroles cessèrent et le silence s'installa. Asgorath était figé, les yeux fixés sur le cadavre de sa mère. Et la symphonie changeait et s'amplifiait sans arrêt. La symphonie spirituelle fit surgir une vague d'énergie dans le corps du démon.
*Boum, Boum.
Des mains attrapèrent le démon. Les mains de ceux qui avaient participés dans ces meurtres odieux. La symphonie s'emballa. L'esprit du Kzhan'La hurla vengeance, à l'unisson avec son âme et son cœur.
*Boum, Boum.
Un coup, puis le néant. Seul restait cette symphonie spirituelle qui semblait impossible à arrêter. Cette symphonie de violences, de souffrances et de destructions qui ne voulaient que la vengeance. Cette symphonie née des désirs d'Asgorath.