« Le père est un miroir dans lequel la petite fille puis l'adolescente, peut discerner les prémices de la femme qu'elle deviendra. »
Geneviève Bersihand
Aujourd'hui, nous avons rendez-vous chez Éric pour passer l'après-midi ensemble. Je pose le dernier morceau de fraise sur la tarte que j'ai préparé et l'emballe pour qu'elle survive au trajet. Je suis sûre que Tam sera plus contente de la voir que de me voir moi.
J'enfile ma doudoune, et mon écharpe : l'hiver prochain s'annonce rude. Nous ne sommes qu'en début de Décembre et les températures varient déjà entre 2 et 5°C. J'ai un frisson rien qu'en pensant à cette saison dont je pourrais bien me passer : je détester l'hiver ! Je mets mon casque audio qui occupera aussi la fonction de cache oreilles et débute mon trajet en découvrant le nouvel album de Camila Cabello, Romance. Éric habite dans le douzième arrondissement de Paris ce qui s'avère être à une vingtaine de minutes de chez moi en métro.
Je suis à environ cinq minutes de chez Éric quand First Man résonne dans mes oreilles. Plus les paroles s'enchaînent, plus la tristesse m'envahit. C'est lorsque j'entends le dernier couplet de la chanson que je laisse mes larmes couler.
« You're looking at me, while walking down the aisle
With tears in your eyes, maybe he deserves me
You don't even know how much it means to me now
That you were the first man that really loved me »
« Tu me regardes, en marchant dans l'allée
Les larmes aux yeux, peut-être qu'il me mérite
Tu ne sais même pas à quel point c'est important pour moi maintenant
Que tu sois le premier homme qui m'ait vraiment aimé »
Je ne connaitrais jamais ce bonheur, je n'aurais pas la chance d'avoir mon père à mes côtés lorsque je remonterai l'allée, Je n'aurai personne avec moi lors de ce jour si spéciale, mon papa est parti et ne reviendra jamais…
La tristesse me submerge et je m'assois sur un banc pour me calmer avant de rejoindre mes amis. Les larmes coulent à flot et je n'arrive pas à les faire cesser. Après ce qui me parait être une éternité, une main me tend une pochette en tissu, je relève les yeux et constate qu'il s'agit de Timothée. Nous nous regardons pendant une dizaine de secondes, analysant la situation puis je tends la main et attrape le bout de tissu. Il s'installe sur le banc à côté de moi et regarde devant lui pendant que je sèche mes larmes. Je lui suis reconnaissante de me laisser un peu d'intimité tout en m'aidant.
Des larmes silencieuses continuent de glisser sur mes joues. Timothée tend son bras et me réconforte sa main se déplaçant de haut en bas sur mon dos.
- Tu veux en parler ?
- Je ne préfèrerais pas…
- D'accord
Quand j'arrive à me calmer, nous nous levons et nous dirigeons vers l'immeuble d'Éric. Lorsque nous arrivons devant le grand immeuble haussmannien caractéristique de la ville de Paris, Timothée me prends par les épaules et me tourne vers lui. Il relève mon visage en soulevant mon menton avec deux doigts pour que mon regard croise le sien que j'essayais d'éviter.
- Je ne sais pas ce qui t'arrive, mais il faut que tu saches que je suis là si tu as besoin de parler à quelqu'un. Je suis extrêmement doué pour écouter et j'ai toujours un mouchoir sur moi…
A ce moment-là, je ne sais pas ce qui me prend, c'est peut-être dû à ses paroles touchantes ou à son regard bienveillant, je le prends dans mes bras et pose ma tête sur son torse en chuchotant :
- Merci d'avoir été là…
Il resserre notre étreinte et me répond :
- De rien, les amis sont faits pour ça non ?
Nous restons enlacés pendant un certain temps avant de nous séparer et de rejoindre le septième étage où se situe l'appartement d'Éric. Nous sommes reçus par un Éric enjoué comme à son habitude qui nous accueille en plaisantant :
- Vous êtes enfin là ! Je commençais à me demander si vous ne m'aviez pas oublié.
- « Une personne aussi envahissante que toi n'est pas facilement oubliable ». Rigole Timothé.
- « Ah Ah Ah, très drôle au moins moi je sais sourire » ajoute Éric pour se défendre.
Ces deux-là, ont une dynamique très intéressante. Ils s'adorent mais ne peuvent pas s'empêcher de se lancer des piques. Ils sont l'un pour l'autre comme un frère qu'aucun des deux n'a jamais eu.
Je tends ma tarte à Éric et lui explique :
- J'ai fait une tarte aux fraises !
- Merci pequeñita. Donne je vais la mettre au frais. Toi au moins tu as la politesse de ramener quelque chose. Je n'ai même pas besoin de vérifier pour savoir que M. grognant ici présent est venu bras ballon.
Après cette dernière pique, il me fait un bisou sur le front et se dirige vers ce qui semble être la cuisine.
Une des choses que j'ai apprise sur Éric après ces quelques mois passés ensemble, c'est qu'il est très tactile. Rien n'est trop osé pour exprimer ses sentiments : il adore les câlins et les bisous. Il plaisante souvent en disant qu'il rattrape le manque d'affection de ses parents qui ont toujours été trop occupés avec leur travail. Au début, cet excès de contact physique était très gênant pour moi, pourtant, maintenant, ces gestes affectifs me réchauffent le cœur.
- « Vous pouvez poser vos manteaux dans l'armoire ! » Nous crie-t-il de la cuisine.
Nous suspendons nos manteaux puis je suis Timothée dans le salon.
- Ana tu veux boire quelque chose ?
- Oui, un Schweppes si tu as.
- Tim comme d'habitude ?
- Ouaip
Éric arrive deux bouteilles de 1964 et une bouteille de Schweppes et s'installe à côté de moi sur le canapé. L'appartement d'Éric est décoré avec beaucoup de coup. Un canapé rouge, dans une pièce au mur blanc et au sol noir, fait face à un écran plat accroché au mur. En continuant mon inspection, mon regard se pose sur une console de jeux vidéo posée dans le meuble entourant la télé.
- Ta console marche Éric ?
- Bien sûr, oui.
- On se fait une partie ?
Les deux garçons me dévisagent et s'exclament :
- Tu veux jouer ?
- Ouaip ! Street fighter ?
- Comment tu sais que j'ai ce jeu ?
- Comment pourrais-tu ne pas avoir ce jeu ? C'est la base !
Ils se fixent un long moment puis Éric me dit :
- Petite Ana, tu sais que je t'adore hein ? Mais je ne vais pas te laisser gagner.
- Je ne pense pas te l'avoir demandé, si ? Allez ! Lance le jeu !
Éric me regarde avec un regard empli de pitié en réfléchissant sûrement à un moyen de me rassurer après m'avoir battu au jeu. Timothée lui, me sonde comme s'il essayait de lire mes pensées. Je détourne mon regard de ces yeux dorés perspicaces et attrape une manette.
La première partie se fait entre Éric et moi. En quelques minutes, il est vaincu.
- « Alors mon petit Éric pas trop déçu ? » plaisanté-je.
- « Je t'ai laissé gagner » grogne-t-il presque
- Mais bien sûr… Allez Timothée, viens que je te fasse manger la poussière.
Après une bataille acharnée, je m'incline devant Timothée. Éric me fixe bouche bée et s'exclame :
- Tu es hyper forte ! Jamais personne n'a tenu aussi longtemps contre Tim ! Qui t'a appris ?
- Mon père.
- Il devrait faire une partie contre Timothée pour voir qui va gagner !
Je prends une inspiration pour refouler les larmes qui menacent d'émerger et je réponds :
- Il n'est plus là, il est mort.